TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
ROBERT COURT
et
d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par le prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Sault Ste. Marie (Ontario) le 15 octobre 1999
DÉCISION
LE JUGE-ARBITRE R.E. SALHANY, C.R.
Cet appel a été instruit à Sault Ste. Marie (Ontario) le jeudi 30 septembre 1999.
Dans cette affaire, il faut déterminer si le prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification. Mme Beth Walden, avocate du prestataire, a présenté un certain nombre d'arguments importants dans un plaidoyer fort habile. En premier lieu, elle a souligné que le conseil arbitral n'avait pas rendu une décision concluante relativement à la question en litige. Elle a cité la raison suivante que le conseil a invoquée pour justifier sa décision : « Que le prestataire ait été congédié (comme l'a indiqué l'employeur) ou qu'il ait démissionné, il a néanmoins quitté son emploi sans prendre aucune mesure corrective pour le conserver. » [Traduction] L'avocate a souligné le fait qu'aucun avis n'avait été remis au prestataire pour l'aviser qu'il avait été congédié en raison de son inconduite, et elle a soutenu que le prestataire avait donc été victime d'un déni de justice naturelle. En deuxième lieu, elle a soutenu que le conseil avait omis de tirer des conclusions concernant les faits essentiels pour étayer sa décision. Enfin, elle a soutenu que le conseil avait commis une erreur de droit lorsqu'il avait conclu que le prestataire était tenu de prendre des mesures correctives.
Dans une lettre datée du 24 septembre 1998, la Commission a informé le prestataire qu'elle ne lui verserait pas de prestations parce qu'il avait quitté son emploi chez Chris Tire and Auto sans justification le 2 septembre 1998. C'est sur ce motif, avancé par la Commission pour expliquer sa décision, que le conseil arbitral devait se pencher. Pour une raison ou pour une autre, le conseil a estimé que la question de l'inconduite était pertinente même si elle n'était pas en litige. Le fait d'accorder quelque importance que ce soit à la question de l'inconduite constituait une erreur de la part du conseil.
Il est exact que le paragraphe 30(1) prévoit qu'un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi. Cependant, compte tenu de son domaine de compétence, le conseil doit se prononcer uniquement sur les raisons données par la Commission pour expliquer le refus de verser des prestations.
Cependant, il est particulièrement important de signaler que le conseil n'a tiré aucune conclusion de fait relativement à l'une ou à l'autre des questions. Le prestataire a contesté l'affirmation selon laquelle il avait quitté son emploi sans justification. Il incombait au conseil d'expliquer pourquoi il avait accepté ou rejeté l'exposé des faits du prestataire. Cependant, le conseil a omis de tirer une conclusion sur cette question, ce qu'il était tenu de faire. Essentiellement, le conseil a déclaré qu'il ne tirait aucune conclusion sur cette question mais que, de toute façon, le prestataire n'avait pas pris de mesures correctives. Cela ne constitue pas une conclusion sur la question dont le conseil avait été saisi. En d'autres mots, il ne s'agissait pas de déterminer si le prestataire avait pris des meures correctives, mais s'il avait quitté son emploi sans justification. Le conseil se devait de tirer une conclusion sur cette question.
Il est important de souligner que le conseil arbitral a pour tâche de tirer des conclusions de fait relativement aux importantes questions en litige dont il a été saisi. À cette fin, le conseil doit souvent tirer des conclusions de fait concernant la crédibilité du prestataire ou celle de tout autre témoin. Dans l'exposé de ses motifs, le conseil doit indiquer pourquoi il a cru tel témoin mais pas tel autre. Il ne lui suffit pas de dire qu'il croit une partie, mais pas une autre. Toute partie à un litige a le droit de savoir pourquoi on n'a pas accordé crédit à son témoignage. Lorsque les conclusions de fait ont été tirées, le conseil doit rendre les décisions qui en découlent. Ces décisions doivent concerner uniquement les questions en litige. Il n'est pas nécessaire que les explications soient longues, mais elles doivent se rapporter aux questions en litige.
Il y a deux raisons essentielles pour lesquelles un tribunal est tenu de donner de telles explications. En premier lieu, toute partie à un litige a le droit de savoir pourquoi le tribunal a donné crédit à son exposé des faits ou l'a rejeté. Si elle n'est pas informée de la décision du tribunal ni des motifs de cette décision, une partie à un litige sera dans l'impossibilité d'exercer son droit d'appel si elle n'est pas satisfaite de la décision. Qui plus est, elle n'aura pas la conviction qu'une décision juste a été rendue dans son affaire, à moins de connaître non seulement la décision, mais également les raisons pour lesquelles le tribunal en est arrivé à celle-ci. En deuxième lieu, un tribunal d'appel a le devoir d'évaluer si le tribunal d'instance inférieure a rendu une décision adéquate. Or, il est impossible de procéder à cette évaluation si le tribunal d'instance inférieure n'a pas tiré de conclusion de fait et s'il n'a pas rendu de décision quant aux importantes questions en litige.
En l'espèce, le conseil arbitral a commis trois erreurs. Premièrement, il a omis de tirer des conclusions de fait relativement à l'importante question en litige. Deuxièmement, il a omis de rendre une décision relativement à la véritable question en litige. Troisièmement, il s'est penché sur une question dont il n'avait pas été saisi, soit celle de savoir si le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite.
Mme Walden a soulevé un autre point dans son habile plaidoyer. Elle a affirmé que le conseil avait commis une erreur de droit en fondant sa décision sur la question de savoir si le prestataire avait pris des mesures correctives pour conserver son emploi. Étant donné que le conseil n'a tiré aucune conclusion de fait et qu'il n'a pas indiqué quelles étaient les mesures correctives que le prestataire aurait été censé prendre, je n'arrive pas à comprendre ce que signifiait cette conclusion.
L'appel est accueilli et l'affaire est renvoyée devant un conseil arbitral constitué d'autres membres.
R.E. Salhany
Juge-arbitre
Sault Ste. Marie (Ontario), le 30 septembre 1999