CUB 49796
TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
SHELLY MATZ
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire à
l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
Windsor (Ontario) le 4 novembre 1999.
DÉCISION
LE JUGE-ARBITRE GOULARD
La prestataire interjette cet appel à l'encontre de la décision unanime d'un conseil arbitral (le « conseil »), qui a confirmé la détermination de la Commission à l'effet que la prestataire était inadmissible aux prestations ordinaires d'assurance-emploi en raison du fait qu'elle avait perdu son emploi par sa propre inconduite.
La prestataire a travaillé chez Siemens Canada Ltd. du 28 septembre 1998 au 21 juin 1999. Le 4 août 1999, elle a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi, en précisant qu'elle avait été congédiée. La Commission a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite et lui a imposé une inadmissibilité d'une durée indéterminée aux prestations d'assurance-emploi.
La prestataire a interjeté appel à un conseil arbitral à l'encontre de la décision de la Commission; le conseil a rejeté l'appel à l'unanimité. Elle interjette donc appel à un juge-arbitre à l'encontre de la décision du conseil.
J'ai entendu cet appel à Windsor (Ontario) le 5 octobre 2000. La prestataire était accompagnée de son mari. La Commission était représentée par M Derek Edwards.
Les faits dans cette affaire sont explicites. La prestataire travaillait dans une usine où bon nombre de produits chimiques sont utilisés. Pendant sa grossesse, elle a ressenti un malaise et, étant enceinte, elle croyait que sa santé pouvait être affectée par la présence de produits chimiques dans son milieu de travail. Elle a demandé des renseignements sur les effets de certains de ces produits chimiques sur une femme enceinte et son fœtus. Son médecin ne lui a pas donné d'opinion écrite sur le sujet. La prestataire a demandé d'être affectée à une autre section de l'usine où elle ne serait pas exposée aux produits chimiques ou que l'entreprise lui accorde un congé autorisé pendant sa grossesse. L'employeur a refusé ses demandes. La prestataire, avec le plein accord de son mari, a quitté son emploi. Après une absence de cinq jours, suite à une période de congé, l'employeur l'a informée qu'elle était congédiée. Lors de l'audience, la prestataire a indiqué que rien ne l'aurait forcée à travailler dans ce genre d'environnement, car personne ne pouvait contredire les renseignements obtenus sur le fait que certains de ces produits chimiques pouvaient compromettre la santé de son bébé. Elle a indiqué qu'elle était une bonne travailleuse, qu'elle aimait travailler à l'usine et qu'elle était très déçue de l'attitude de son employeur. Elle ne voulait pas quitter son travail en indiquant sa volonté de travailler dans une autre section de l'usine et elle croyait que l'employeur aurait facilement pu l'accommoder ou tout au moins accepter sa demande de congé autorisé.
Il est important de tenir compte du texte intégral de la décision du conseil qui précise ce qui suit :
QUESTION :
Inadmissibilité pour une période indéterminée pour perte d'emploi en raison d'inconduite.
RENSEIGNEMENTS AU DOSSIER :
L'audience a été enregistrée sur bande sonore.
CONCLUSIONS :
La période en question se situe entre le 19 et le 23 juillet. La prestataire était malade et a pris un congé pendant la période précédant la fermeture. Les médecins ont fourni un rapport confirmant sa maladie et son incapacité de retourner au travail. Après la fermeture, l'employeur s'attendait à ce qu'elle retourne au travail. Elle était capable de travailler, mais ne s'est pas présentée pendant toute la semaine. Elle devait téléphoner mais ne l'a pas fait. L'employeur lui a demandé un rapport médical pour justifier son absence et deux médecins ont refusé de lui accorder cette preuve. Le médecin de London n'a pas discuté de sa condition physique durant la semaine de son absence. Un employeur s'attend à ce qu'un employé se présente au travail ou qu'il justifie son absence. Ce refus délibéré de se présenter comme prévu au travail et son incapacité de fournir une preuve médicale pour cette semaine a forcé l'employeur à la congédier. L'entreprise était préoccupée de l'absentéisme abusif de ses travailleurs et a perçu cette absence inexpliquée comme une conduite inacceptable et a congédié la prestataire.
DÉCISION :
Tous les membres du conseil arbitral sont d'accord sur le fait que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, conformément au paragraphe 30(1) de la Loi, et de son inadmissibilité subséquente en vertu du paragraphe 30(2) de la Loi.
L'appel est rejeté. [traduction]
Je suis étonné du fait que le conseil ne semble avoir tenu compte que de la position de l'employeur. Le conseil insiste sur la semaine d'absence et conclut que cette absence constitue une inconduite justifiant le congédiement. Ce genre de congédiement ne respecte même pas la politique de l'employeur en matière d'absentéisme inacceptable, comme l'indique le document intitulé « Correction Action Steps For Unacceptable Absenteeism. » Ce document (pièce 5) fait partie du dossier d'appel.
Le conseil écrit : « Ce refus délibéré de se présenter comme prévu au travail et son incapacité de fournir une preuve médicale pour cette semaine a forcé l'employeur à la congédier. L'entreprise était préoccupée de l'absentéisme abusif de ses travailleurs et a perçu cette absence inexpliquée comme une conduite inacceptable et a congédié la prestataire. »
La prestataire n'est pas responsable du problème d'absentéisme abusif auquel l'entreprise est confrontée. Son absence n'était pas « sans explication. » Elle avait été expliquée. La prestataire avait offert à l'employeur deux options possibles et le conseil a ignoré cette preuve en arrivant à sa décision.
Rien n'explique les raisons pour lesquelles le conseil semble avoir totalement ignoré l'explication de la prestataire de refuser de travailler dans un environnement où un bon nombre de produits chimiques sont utilisés et dans lequel elle croyait que leurs effets seraient néfastes pour son foetus. La prestataire n'a pas été capable de fournir de solides preuves scientifiques ou médicales à l'appui de ses préoccupations. Il ne faut pas aller très loin en arrière pour se souvenir que personne n'avait prédit les effets catastrophiques de certains produits chimiques et de médicaments sur le foetus. Voici un extrait de la lettre du Dr Rieder remontant au 10 septembre 1999 et qui fait partie du dossier :
Une exposition à des solvants organiques a été associée à une augmentation du risque de fausse couche durant le premier trimestre de la grossesse. Ce problème se produit particulièrement en milieu de travail. Cependant, des données récentes suggèrent qu'une exposition à des solvants organiques en milieu de travail est aussi associée à une augmentation du risque d'anomalies. Ces données, bien que controversées et très récentes, semblent solides. Par conséquent, nous recommandons aux femmes enceintes d'éviter une exposition aux solvants organiques en milieu de travail. [traduction]
Il existe une jurisprudence bien établie pour préciser que les conseils arbitraux doivent donner les motifs d'acceptation ou de rejet d'une preuve présentée devant eux par une partie. La Cour d'appel fédérale l'a mentionné dans un bon nombre de causes.
Par exemple, dans l'affaire Parks (A-321-97), le juge Strayer mentionne :
« Nous sommes tous d'avis que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de se conformer au paragraphe 79(2). En particulier, nous sommes d'avis qu'il incombait au conseil de dire, du moins brièvement, qu'il a rejeté des parties cruciales de la preuve du demandeur et d'expliquer pourquoi il a agi ainsi. En l'espèce, le conseil disposait de plusieurs documents de l'employeur qui constituaient des éléments de preuve de la nature du ouï dire. Le témoignage par affidavit et les déclarations orales du réclamant devant le conseil étaient incompatibles, sous plusieurs aspects, avec des documents. Le conseil s'est contenté de faire état de ses conclusions sans expliquer pourquoi il a préféré une version des événements à l'autre.
Même si en vertu de l'interprétation que nous donnons au paragraphe (2), nous n'estimons pas que le conseil arbitral soit tenu de décrire en détail ses conclusions de fait, nous sommes d'avis que, pour se conformer à ce paragraphe, le conseil arbitral doit, lorsque la crédibilité fait l'objet d'une question litigieuse, dire au moins brièvement, dans le cadre de ses « conclusions [..] sur les questions de fait essentielles », qu'il rejette certains éléments de preuve sur ce fondement et pourquoi il a rejeté ces éléments. Lorsqu'il omet d'agir ainsi, il commet une erreur de droit. »
Dans la décision McDonald (A-297-97), le juge Linden précise :
« Il faut absolument que le conseil arbitral aborde soigneusement les points litigieux réellement soulevés devant lui, et qu'il explique ses conclusions dans un raisonnement cohérent et logique. Tout ce qui est moindre est inacceptable. »
Dans l'affaire Boucher (A-270-96), le juge Huggeson ajoute :
« Le conseil arbitral avait à choisir entre deux versions des faits. La première, avancée par la Commission, était appuyée par les versions des employeurs et par des déclarations apparemment données par le prestataire à un agent de la Commission et consignées par écrit par ce dernier. La seconde était appuyée par le témoignage du prestataire lui-même rendu à l'audience.
Dans sa décision le conseil s'exprime ainsi :
« .. les membres du conseil arbitral ayant conclu que la crédibilité du prestataire était davantage reconnue que celle de l'employeur, acceptent l'appel du prestataire...»
Nulle part dans cette décision n'est-il question des déclarations antérieures du prestataire ni de leur incompatibilité avec son témoignage à l'audience. On ignore si le conseil les a considérées et, le cas échéant, pour quelle raison il les a rejetées.
C'est cette omission qui est au fond de la décision du juge arbitre. Il a dit : L'employeur avait versé au dossier des déclarations qui ont été substantiellement atténuées par la suite. Les nombreuses contradictions ainsi que le retrait d'une déclaration antérieure ont sûrement été perçues par le conseil arbitral comme émanant d'une personne peu fiable et peu crédible mais, à mon avis, ce n'était pas la fin de la question que le conseil devait trancher. Admettant que l'employeur n'était pas une personne digne de foi, il incombait au conseil arbitral non seulement de dire qu'il préférait le témoignage du prestataire à celui de l'employeur qui n'avait pas témoigné, mais il incombait également au conseil arbitral de se pencher sur la question ultime, non seulement laquelle des deux versions il fallait préférer mais est-ce que, même en écartant la version de l'employeur, le témoignage du prestataire pouvait être fiable compte tenu des déclarations antérieures? Il se devait de soupeser le témoignage et les déclarations antérieures. C'est là la question que le conseil devait se poser, et malheureusement, la question qu'il s'est posée d'une façon simpliste c'est de préférer le témoignage du prestataire en ignorant les contradictions au dossier.
Nous sommes d'accord. Le conseil arbitral ne pouvait pas ignorer les déclarations contradictoires données par le prestataire. Bien sûr il avait le droit de les écarter mais il ne l'a pas fait. L'intervention du juge arbitre était justifiée. »
Si cette négligence de fournir les motifs pour lesquels le conseil a choisi de n'accepter, dans cette affaire, que le point de vue de l'employeur constituait l'unique faille dans cette décision, je renverrais l'affaire à un nouveau conseil arbitral. Cependant, je remarque une autre faille que je considère encore plus fondamentale.
Un élément essentiel du genre d'inconduite justifiant le congédiement précise que la conduite doit être délibérée et en mépris de son effet sur le rendement au travail. Tel que le juge MacGuigan le mentionne dans l'affaire Tucker (A-381-85), l'inconduite doit être du genre de « conduite indésirable à l'extérieur du vrai chômage visé par la Loi ». Voici un extrait de cette décision :
« Le juge-arbitre a eu raison de conclure que pour constituer de « l'inconduite », l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Cette conclusion est appuyée par la définition fournie dans le dictionnaire pour le mot « inconduite », qui, dans un contexte d'emploi, désigne le « mépris délibéré et volontaire des intérêts de l'employeur. » Il est plus important de remarquer que le raisonnement de l'article 41(1) est d'imposer une inadmissibilité comme genre de châtiment pour une conduite indésirable en dehors du vrai chômage visé par la Loi. Le raisonnement comprend nécessairement la présence d'un élément psychologique, soit un caractère délibéré, soit une conduite à ce point insouciante qu'elle frôle le caractère délibéré. »
De quelle façon peut-on conclure que la conduite d'une femme enceinte qui, selon les renseignements obtenus de son médecin et de publications scientifiques, décide, après avoir proposé des solutions de rechange à son employeur, de demeurer loin d'un environnement qu'elle croit néfaste pour son foetus, soit perçue comme une « conduite indésirable en dehors du vrai chômage visé par la Loi »?
Par conséquent, je conclus que le conseil arbitral a commis une erreur en négligeant de bien expliquer le raisonnement de sa décision et en concluant que la conduite de la prestataire, dans la présente affaire, constituait une inconduite justifiant son congédiement.
L'appel de la prestataire est accueilli.
Guy Goulard
Juge-arbitre
Ottawa (Ontario)
Le 31 octobre 2000