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    CUB 50176

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    JASON BRAUN

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire
    à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à
    Kamloops (Colombie-Britannique) le 14 mars 2000.

    DÉCISION

    LE JUGE-ARBITRE LEMIEUX

    A- Introduction

    Jason Braun (ci-après « l'appelant »), représenté par la compagnie Tax Credit Recovery Consultants, interjette appel auprès du juge-arbitre, en vertu du paragraphe 115(2) de la Loi sur l'assurance-emploi (ci-après « la Loi »), afin qu'il se prononce, à la lecture des éléments du dossier et sans témoignages oraux, sur la décision du conseil arbitral (ci après « le conseil ») datée du 14 mars 2000. Cette décision, par laquelle le conseil avait maintenu la décision rendue par la Commission, le 13 janvier 2000, stipulait que le prestataire n'était pas admissible aux prestations en vertu de la Loi car il avait perdu son emploi (par congédiement) auprès de Little Caesar's Pizza Enterprises Ltd (ci-après « l'employeur »), le 13 décembre 1999, en raison de son inconduite et qu'il était donc soumis à une exclusion de durée indéterminée.

    Le dossier indique que l'employeur a congédié l'appelant pensant « avoir de bonnes raisons de le faire en raison des trois avertissements qui lui ont été transmis le 20 décembre 1998, le 24 mars 1999 et le 12 décembre 1999 ».

    B- La loi

    Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit l'exclusion pour cause d'inconduite dans les cas suivants :

    30. (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

    a) que, depuis qu'il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d'heures requis, au titre de l'article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

    b) qu'il ne soit inadmissible, à l'égard de cet emploi, pour l'une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

    [C'est moi qui ai souligné]

    Les appels interjetés devant un juge-arbitre sont régis par l'article 115 de la Loi qui se lit comme suit :

    115. (1) Toute décision d'un conseil arbitral peut, de plein droit, être portée en appel devant un juge-arbitre par la Commission, le prestataire, son employeur, l'association dont le prestataire ou l'employeur est membre et les autres personnes qui font l'objet de la décision.

    (2) Les seuls moyens d'appel sont les suivants :

    a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;

    b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

    c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

    C- La décision du conseil

    La décision du conseil était unanime. La question en litige a été posée de la manière suivante :

    Déterminer si le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite et si cette exclusion s'appliquerait à chaque semaine de la période de prestations ultérieure à la période d'attente en vertu des paragraphes 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi.

    [TRADUCTION]

    Le conseil a indiqué qu'il avait étudié toutes les preuves et entendu le témoignage de l'appelant, de son représentant et de l'employeur.

    Le conseil affirme avoir entendu le prestataire confirmer qu'il n'avait pas déposé les rentrées de fonds de la compagnie au dépôt de nuit de la banque, le vendredi soir, parce qu'il y avait des jeunes en planches à roulettes autour de la banque et qu'il jugeait que ce n'aurait pas été prudent. Les rentrées dataient du jeudi. Il a travaillé toute la journée de vendredi et ne pouvait donc pas y aller avant le vendredi soir. Il a fini par déposer les rentrées le samedi matin avant 10 h. Les motifs de la décision du conseil se reflètent dans les trois paragraphes suivants tirés de sa décision :

    Quelles étaient les options du prestataire? Il aurait pu essayer d'y aller plusieurs fois vendredi soir jusqu'à ce que le chemin soit libre pour faire le dépôt. Il aurait pu retourner au bureau et remettre le dépôt dans le coffre. Il aurait pu appeler son employeur et lui faire part du problème afin d'obtenir des directives sur la ligne de conduite à adopter. Il aurait pu ramener l'argent chez lui et le déposer le jour suivant. L'employeur a confirmé que le prestataire avait la possibilité de l'appeler (par téléphone ou par téléphone cellulaire).

    Le conseil n'est pas convaincu que le prestataire a évalué toutes les solutions raisonnables avant de choisir la moins sûre, en l'occurrence ramener l'argent chez lui. À la lumière de ses agissements antérieurs, son hésitation et sa réticence à laisser le dépôt s'accumuler dans le coffre ou à faire appel à son employeur est peut-être compréhensible. Ce qui l'est moins, c'est son manque de persistance à attendre de pouvoir faire son dépôt à la banque en toute sécurité. Quoi qu'il en soit, à titre de gérant, il était de sa responsabilité de faire le dépôt, ce qu'il n'a pas fait. Étant donné qu'il s'agit de la troisième infraction documentée, il est raisonnable de conclure qu'il a perdu son emploi en raison de ce comportement irresponsable. Quand on sait que son travail est en jeu, il est irresponsable, au point que ce comportement frôle le caractère délibéré, de ne pas remplir ses tâches.

    Le conseil est convaincu que le prestataire a perdu son emploi parce que le dépôt avait été manipulé pendant qu'il était sous sa garde et que celui-ci n'avait pas fait ce que ce que la compagnie lui avait demandé; ses raisons ne tiennent pas. Le conseil se fonde sur le CUB 39979, où le juge-arbitre a rejeté un cas semblable dans laquelle le prestataire avait omis, à plusieurs reprises, de respecter les politiques de la compagnie. Les effets cumulatifs de plusieurs agissements qui vont à l'encontre des directives de l'employeur constituent de l'inconduite. Dans la présente affaire, le conseil rend la même décision. [TRADUCTION]

    [C'est moi qui ai souligné]

    D- Les arguments du prestataire

    Comme nous l'avons noté, l'appelant a soumis ses déclarations par l'intermédiaire de Tax Credit Recovery Consultants, à l'aide d'une présentation écrite. Dans cette présentation, les conseillers affirment que les motifs de l'appel sont que le conseil arbitral a fondé sa décision ou sa conclusion sur une conclusion de fait erronée rendue de manière absurde ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments qui avaient été portés à sa connaissance.

    Les experts-conseils ont étudié la décision du conseil et ont résumé les solutions que celui-ci avait désignées comme s'offrant au prestataire. Ils ont déclaré qu'ils n'étaient pas d'accord avec le conseil pour ce qui est de déterminer le critère de l'inconduite et ont ainsi souligné certaines circonstances atténuantes :

    M. Braun travaillait là depuis six ans, tous ses avertissements précédents concernaient l'accumulation des dépôts dans le coffre de l'employeur. La politique consistait à prendre le dépôt et à le déposer à la banque le jour suivant.

    M. Braun n'a reçu aucune formation ni directives sur la manière d'agir dans les cas où il n'était pas prudent de faire le dépôt. (Cependant, cette circonstance est couverte par la réglementation de la Commission des accidents du travail dans la section « Droit de refuser d'exécuter un travail dangereux ».)

    Nous soutenons que l'événement n'était pas volontaire ni répréhensible pour ce qui est du meilleur intérêt de l'employeur. M. Braun a choisi de ne pas risquer de perdre le dépôt et de ne pas se placer dans une situation risquée en ramenant les rentrées chez lui et en faisant le dépôt le jour suivant, conformément à la politique.

    Nous soutenons que si M. Braun avait fait ce que le conseil arbitral jugeait être une solution raisonnable en remettant le dépôt dans le coffre de la compagnie, il aurait été coupable de laisser les dépôts s'accumuler, ce qu'on lui avait déjà reproché.

    Nous affirmons que M. Braun a fait une tentative raisonnable pour respecter les politiques de la compagnie et s'il ne s'était s'agit d'une situation risquée, le dépôt aurait été fait, conformément à la politique.

    Étant donné toutes les circonstances atténuantes, nous affirmons que le prestataire se trouvait dans une situation difficile, sans formation adéquate pour la gérer. Par conséquent, il ne peut s'agir d'un comportement délibéré et l'événement ne correspond pas aux critères d'inconduite selon la Loi. [TRADUCTION]

    E – Les observations de la Commission

    La Commission a affirmé que le conseil n'avait pas commis d'erreur de droit en rendant sa décision car il avait interprété de manière appropriée ce qui constitue de l'inconduite en se fondant sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans Procureur général du Canada c. Tucker (Appel A-381-85, 27 mars 1986) ainsi que sur les CUB 39979 et 38287. La Commission a remarqué qu'aucune objection n'avait été soulevée quant à l'équité de la procédure et que le prestataire n'avait pas invoqué l'article 115 (2) c).

    F-Analyse

    L'affaire Tucker a permis d'établir que pour que le comportement constitue de l'inconduite, il doit y avoir un élément psychologique délibéré (intentionnel., conscient ou délibéré, par opposition à l'intention délictueuse) ou une conduite si insouciante qu'elle constitue presque un acte délibéré (de l'insouciance totale pour les intérêts de l'employeur) [voir, également P.G. du Canada c. Secours (1995), 179 N.R. 132 (CAF)].

    L'affaire Canada c. Bedell (1984), 60 N.R. 115 (CAF.) a permis de déterminer que le fait de refuser sciemment de respecter les directives légitimes d'un employeur constitue de l'inconduite; pour savoir si la conduite d'un employé à laquelle on attribue son congédiement constitue de l'inconduite, il faut tenir compte des circonstances particulières. Par ailleurs, une erreur de jugement n'est pas synonyme d'inconduite (CUB 21971) et refuser de suivre les ordres d'un employeur n'est pas la même chose qu'une erreur non diligente (CUB 30010).

    Dans le CUB 18850, l'employé n'a pas suivi les directives, mais c'était pour des raisons de sécurité. Le juge-arbitre Martin a déclaré ce qui suit :

    Il est possible que le prestataire ait fait une erreur, mais sachant qu'il a agi ainsi à des fins de sécurité son comportement n'était pas caractérisé par le caractère délibéré nécessaire pour qu'on puisse qualifier son comportement d'inconduite, ce qui le priverait des prestations d'assurance-emploi. [TRADUCTION]

    Le conseil a qualifié d'irresponsable le fait que M. Braun ait omis, à trois reprises, d'effectuer le dépôt. Il a ensuite déclaré que « quand on sait que son travail est en jeu, il est irresponsable, au point que ce comportement frôle le caractère délibéré, de ne pas remplir ses tâches. »

    Conformément à l'opinion de la juge Reed dans le CUB 30010, selon moi, on ne peut affirmer que l'appelant avait, d'un point de vue psychologique, l'intention voulue pour que son comportement soit qualifié d'inconduite. Il a certes enfreint les politiques de la compagnie, mais il a donné une explication tout à fait raisonnable pour ses actes : des questions de sécurité.

    Peut-être qu'il aurait été plus sage d'adopter une des autres solutions énoncées par le conseil; le prestataire a peut-être commis une erreur de jugement, mais on ne peut dire qu'elle ait été délibérée ou négligeante au point de frôler le caractère délibéré dans le but de l'exclure des prestations en vertu de la Loi.

    G – Décision

    L'appel est accueilli, la décision du conseil est annulée et la Commission devra donner suite à la demande du prestataire.

    François Lemieux

    Juge-arbitre

    Ottawa (Ontario)
    Le 29 novembre 2000

    2011-01-16