TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
DIANE SALTER
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire
à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue
à Edmonton (Alberta) le 11 août 2000.
DÉCISION
Appel entendu à Edmonton (Alberta) le 30 janvier 2001.
LE JUGE-ARBITRE HADDAD, C.R.
La question au coeur du présent appel, interjeté par la prestataire, est de savoir si celle-ci a perdu, le 29 mars 2000, l'emploi qu'elle occupait au Little Red River Cree Nation (« la bande ») en raison de sa propre inconduite.
À la suite de son congédiement, la prestataire a soumis une demande de prestations d'assurance-chômage et l'on a établi une période de prestations initiale à compter du 26 mars 2000.
La prestataire, infirmière autorisée, travaillait pour la bande en qualité d'infirmière à domicile et une infirmière embauchée par le gouvernement fédéral était l'infirmière chef à Garden River, en Alberta.
On a porté à ma connaissance une seule version des faits relativement à la conduite de la prestataire. Il s'agit de la version catégorique que la prestataire a présentée pour rendre compte d'une mésentente, d'une prise de bec et d'une altercation physique survenues entre elle et l'infirmière chef. En conséquence, l'employeur a congédié la prestataire sous prétexte qu'elle avait omis d'observer les règles de conduite définies dans la politique du personnel en commettant une faute grave d'inconduite et en utilisant un langage vulgaire et injurieux.
Les conclusions de faits que le conseil arbitral a tirées reflètent les éléments de preuve fournis par la prestataire. Ces conclusions se lisent comme suit :
« En réponse, l'appelante a admis avoir été impliquée dans une discussion animée ayant conduit à une altercation physique et à une hausse du ton. Elle soutient que l'infirmière chef, employée du gouvernement fédéral, l'a bousculée en premier. L'appelante a à son tour bousculé l'infirmière chef et l'a traitée de « bitch » (chienne, garce). L'appelante n'a jamais eu l'occasion de lire, et n'a d'ailleurs jamais reçu, la copie des politiques et des procédures préparées par son employeur. Elle convient que ce qui s'est passé manquait de professionnalisme, mais les antagonistes se trouvaient dans leur bureau, si bien que personne ne pouvait les entendre ni les voir. Elle soutient ne pas s'être rendu compte que son emploi était en jeu au moment de la rencontre consécutive à l'incident (pièce 8).
L'appelante a écrit une lettre d'appel à son employeur dans laquelle elle décrivait les circonstances entourant l'incident et demandait à son employeur de réexaminer la situation et de lui offrir la possibilité de répondre à toute accusation déposée contre elle (pièce 5). À ce jour, l'appelante n'a reçu aucune réponse à cet égard. » [traduction]
En rendant sa décision, le conseil arbitral a présenté un compte rendu précis des principes à observer lorsqu'on définit l'inconduite. Pour rejeter l'appel de la prestataire, le conseil a par la suite appliqué le raisonnement suivant :
« Le conseil arbitral reconnaît que certaines circonstances ont pu occasionner un certain niveau de stress, et même entraîner une provocation quelconque. Le conseil croit néanmoins que la conclusion raisonnable à tirer dans la présente affaire est que les faits et gestes de l'appelante étaient, à tout le moins, d'une nature si imprudente ou négligente qu'il y a lieu d'affirmer que celle-ci a délibérément omis de tenir compte des conséquences de ses actes sur son emploi. Il est clair que l'employeur a cru que la bousculade et le langage outrageant portaient atteinte, soit de façon exprimée ou sous-entendue, à une conduite dite acceptable, et étaient suffisamment graves, dans le contexte des lignes directrices établies par l'employeur relativement à l'inconduite, qu'elles aient été communiquées ou non, pour entraîner le congédiement de l'appelante presque immédiatement après l'incident. » [traduction]
Il convient de faire remarquer que le conseil arbitral a accepté les « directives » de l'employeur relativement à la détermination de l'inconduite et a appuyé sa décision sur ces directives en tenant compte du concept sous-jacent à ce terme aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi. En agissant ainsi, le conseil arbitral a commis une erreur de droit. D'autre part, le conseil a reconnu qu'il existait certaines « circonstances susceptibles de causer un niveau élevé de stress et de provoquer une confrontation » [traduction].
La signification du mot « inconduite » est une question d'ordre juridique. Chaque affaire étant différente, le terme s'applique aux faits particuliers correspondants. Dans chaque cas particulier, on doit examiner la conduite d'un employé pour déterminer si sa conduite, en tenant compte des circonstances correspondantes, répond aux critères de « l'inconduite » et permet d'arriver à bien cerner l'intention prescrite par les dispositions législatives. Pour qu'un geste soit considéré comme une inconduite, il faut pouvoir être en mesure de démontrer que la conduite d'un employé nuit à son rendement au travail, ou qu'elle est préjudiciable aux intérêts de l'employeur, ou encore qu'elle cause des torts irréparables à la relation employeur-employé.
En ce qui a trait à l'échauffourée du 11 mars 2000, les éléments de preuve portés à notre connaissance démontrent que la prestataire n'était pas l'assaillante. L'infirmière chef a été l'instigatrice du conflit en bousculant la prestataire durant une prise de bec. La prestataire a riposté à la provocation en bousculant l'infirmière chef et en tenant des propos injurieux à haute voix. L'essentiel de la prudence pour la prestataire aurait été de ne pas riposter à la provocation, mais l'être humain est conçu ainsi et n'agit pas toujours de façon rationnelle pour empêcher un conflit, si insignifiant soit-il. Le langage blasphématoire peut, dans certaines circonstances, être qualifié d'inconduite, alors que dans d'autres cas il n'est nullement perçu de cette façon.
Les circonstances révèlent que l'incident auquel a été mêlée la prestataire n'était rien d'autre qu'une discussion privée entre elle et une autre infirmière. L'incident s'est produit dans un bureau privé, hors de la vue et à l'abri de l'écoute des autres employés. L'incident n'a pas mis en jeu la capacité de la prestataire à accomplir ses tâches et aucun élément de preuve ne permet de conclure que l'incident a été, de quelque façon que ce soit, préjudiciable aux intérêts de l'employeur. Il est déplorable que la prestataire ait fait une remarque outrageante à l'endroit de l'infirmière chef. Dans le contexte qui nous occupe, on ne peut attribuer à la nature offensante des propos la même importance que celle qui est accordée, par exemple, à une série de paroles blasphématoires prononcées à haute voix par un employé envers un ou une de ses collègues, en présence d'autres collègues de travail ou de tiers.
La prestataire ne s'est pas engagée dans une conversation et n'a pas eu de mésentente avec un agent ou un employé de l'employeur. Bien que la conduite de la prestataire peut, selon le point de vue de l'employeur, avoir détérioré la relation établie entre l'employeur et la prestataire d'une façon suffisamment grave pour qu'il se juge contraint de la congédier, la perception de l'employeur relativement à l'inconduite ne rejoint pas nécessairement la signification adoptée aux fins de l'application de la Loi. De plus, indépendamment du fait que l'on peut attribuer une connotation intentionnelle à la riposte et aux propos outrageants de la prestataire, les circonstances qui ont conduit à l'incident étaient inhabituelles et alimentées par un certain niveau de provocation. La prestataire s'est ni plus ni moins retrouvée victime des circonstances.
Le conseil arbitral a commis une erreur de droit en se pliant au point de vue de l'employeur relativement à l'inconduite. De plus, le conseil a aussi commis une erreur de droit en omettant de tenir compte des circonstances qui ont conduit à l'incident et des répercussions minimes de cet incident sur l'employeur et sur la capacité de l'employée à accomplir son travail. En tenant compte de l'ensemble des circonstances, la conduite de la prestataire, selon les concepts juridiques, ne correspond nullement à la signification de l'inconduite telle que la définit la Loi.
Par les présentes, les décisions du conseil arbitral et de la Commission sont annulées et l'appel est accueilli.
W. J. Haddad
W. J. Haddad, C.R. - juge-arbitre
Edmonton (Alberta)
Le 20 février 2001