CUB 52536
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TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
Hong-Luu NGUYEN
- et -
d'un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la prestataire
à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à
Ottawa (Ontario) le 29 mai 2000.
DÉCISION
LE JUGE-ARBITRE GUY GOULARD
La prestataire interjette appel de la décision majoritaire du conseil arbitral (le « conseil ») de maintenir la décision de la Commission voulant qu'elle ne soit pas admissible à des prestations régulières d'assurance-emploi parce qu'elle a quitté son emploi sans motif valable et que ce n'était pas la seule solution raisonnable qui s'offrait à elle.
La prestataire a été à l'emploi de FOLLONE'S COIFFURE du 1er juillet 1997 au 24 décembre 1999. Le 10 février 2000, elle a présenté une demande de prestations indiquant qu'elle avait quitté son emploi pour s'installer à Ottawa et prendre soin de son père qui était souffrant. Une période initiale de prestations a été établie à compter du 6 février 2000. La Commission a par la suite déterminé que la prestataire avait quitté son emploi sans motif valable et que ce n'était pas la seule solution raisonnable qui lui était offerte. Elle lui a donc imposé une exclusion pour une période indéterminée.
La prestataire a interjeté appel à l'encontre de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, qui l'a rejeté dans une décision majoritaire. Elle fait maintenant appel de la décision du conseil auprès d'un juge-arbitre.
J'ai entendu cet appel à Ottawa (Ontario) le 21 août 2001. La Commission était représentée par Mme Patricia Johnston. La prestataire n'a pas comparu à l'audience, mais y était représentée par M. Charles McDonald.
Les faits incontestés entourant cette affaire sont les suivants :
La prestataire, d'origine vietnamienne, a quitté son emploi de coiffeuse à Toronto en décembre 1999 pour emménager à Ottawa et y prendre soin de son père qui souffrait d'une grave maladie pulmonaire. La mère de la prestataire avait une santé trop fragile pour s'occuper de son mari et avait demandé à leur fille de venir s'établir à Ottawa, puisque c'était leur seule fille qui n'était pas encore mariée. La prestataire est issue d'une famille de huit enfants, dont cinq vivent au Canada. Deux de ses soeurs vivent à Ottawa, mais sont mariées et occupent un emploi. L'une d'entre elles a des enfants. Une autre de ses soeurs est mariée, a des enfants et demeure à l'extérieur d'Ottawa. La prestataire allègue qu'il aurait été difficile d'obtenir de l'aide de personnes autres que des membres de leur famille, car son père ne parle que vietnamien. Selon la tradition et la culture vietnamiennes, une fille non mariée est tenue de prendre soin de ses parents.
La question que le conseil devait trancher était de savoir si la prestataire avait invoqué un motif valable de départ et s'il s'agissait de la seule solution raisonnable dans son cas.
Dans une décision majoritaire, le conseil est parvenu à la conclusion suivante :
Nous ne sommes pas convaincus que la prestataire n'avait d'autre choix que de quitter l'emploi qu'elle occupait à Toronto. Bien que nous admettions qu'il puisse y avoir une tradition culturelle vietnamienne qui oblige un enfant non marié à prendre soin d'un parent malade, cela n'est pas pour autant un motif valable de départ. Il existait à notre avis d'autres solutions; les quatre enfants qui travaillaient auraient pu engager une infirmière ou une auxiliaire pour aider M. Nguyen; ou encore, les deux enfants qui demeurent ici auraient pu se partager les responsabilités de prodiguer des soins à leur père pour alléger le fardeau de leur mère.
La prestataire a fait un choix personnel qui pourrait être considéré comme un motif valable. Toutefois, ce n'est pas un « motif valable » de départ au sens où l'entend la Loi.[TRADUCTION]
Le membre dissident, après avoir accepté les faits relevés par la majorité, a déclaré ce qui suit dans sa décision :
La Loi stipule que « le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi [...] si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
(v) nécessité de prendre soin d'un enfant ou d'un proche parent. »
En principe, la famille aurait pu embaucher quelqu'un pour rester au chevet du père pendant la nuit. Je crois toutefois qu'une « solution raisonnable », comme le prévoit la Loi, n'interpellerait pas les membres de la famille à s'offrir à ce point.
Dans une société pluraliste comme le Canada d'aujourd'hui, les termes de l'alinéa 29c)v) s'appliquent parfaitement au cas qui nous occupe, la « nécessité de prendre soin d'un enfant ou d'un proche parent. »
J'en conclus donc que la prestataire a invoqué un motif valable de départ.
[TRADUCTION]
L'alinéa 29c)(v) de la Loi sur l'assurance-emploi mentionne ce qui suit :
29c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
(v) nécessité de prendre soin d'un enfant ou d'un proche parent,
La jurisprudence a bien établi le principe voulant, comme le prévoit l'alinéa 29c)(v) de la Loi, que quitter son emploi pour prendre soin d'un proche parent, comme un père ou une mère, peut constituer un motif valable (CUB 29760, 44206, 27205, 42689). Il n'y aura cependant motif valable que si le prestataire n'a d'autre solution que de démissionner (CUB 35413).
En l'espèce, la majorité des membres du conseil a déterminé que la prestataire n'était pas fondée à quitter son emploi, car elle n'avait pas prouvé qu'il s'agissait de la seule solution qui s'offrait à elle. Le conseil semble toutefois avoir confondu le concept de « motif valable » avec celui de manque de solution. Il était tenu de juger des faits relatifs à ces deux aspects. Je suis convaincu qu'il a commis une erreur en déterminant que la prestataire n'avait pas invoqué de motif valable. Il est clairement établi, dans la jurisprudence, que des circonstances semblables peuvent constituer un motif valable de départ. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle est parvenu le membre minoritaire du conseil.
Il me revient donc de décider si la majorité du conseil a fondé sa décision relativement à l'existence d'une solution raisonnable sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
J'estime que la majorité du conseil a fondé sa décision sur des hypothèses qui n'étaient étayées d'aucune preuve. Le conseil a déclaré : « Il existait à notre avis d'autres solutions; les quatre enfants qui travaillaient auraient pu engager une infirmière ou une auxiliaire pour aider M. Nguyen; ou encore, les deux enfants qui demeurent ici auraient pu se partager les responsabilités de prodiguer des soins à leur père pour alléger le fardeau de leur mère. » [TRADUCTION] Rien n'indique que ces solutions étaient viables. La prestataire a fait ressortir que la langue posait problème. Le conseil a omis d'en tenir compte. Les deux autres enfants demeurant à Ottawa étaient mariés, l'un d'entre eux avait des enfants. Rien ne prouve qu'ils auraient été disponibles. En revanche, il est prouvé que la culture traditionnelle vietnamienne exige d'une fille célibataire qu'elle prenne soin de ses parents malades. On ne saurait ignorer ce fait. Dans la décision CUB 29760, le juge Stevenson, appelé à rendre une décision dans une affaire semblable, a écrit :
Étant donné la situation dans laquelle se trouvait Mme McLean, je suis convaincu qu'elle n'avait pas d'autre choix raisonnable que de quitter son emploi pour s'acquitter de ses obligations envers sa mère. Ce serait faire preuve d'insensibilité que de laisser entendre que l'achat de soins de santé pour son père ou sa mère, ou les deux, est une solution de rechange raisonnable pour une personne se trouvant dans la situation de Mme McLean.
Je ne m'aventurerai pas à dire que les observations de la majorité des membres du conseil laissent entendre qu'ils étaient insensibles, mais je n'ai aucun doute sur le fait que les raisons qu'ils donnent pour soutenir leur conclusion ne prend pas en considération l'ensemble des preuves qui leur ont été soumises.
Je me suis demandé s'il convenait de renvoyer l'affaire pour réexamen et révision, mais suis arrivé à la conclusion que les preuves établies par le conseil sont suffisamment éloquentes pour me permettre de rendre la décision que le conseil aurait dû rendre.
Je suis d'avis que la majorité du conseil a rendu une décision entachée d'une erreur et accueillerai donc l'appel. Ma décision se substituera à la décision du conseil. La prestataire a démontré qu'elle était fondée à quitter son emploi et qu'il s'agissait de la seule solution raisonnable dans son cas. Je lui donne gain de cause.
Guy Goulard
Juge-arbitre
Ottawa (Ontario)
Le 31 août 2001