CUB 53044
TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
DAVID SOMER
- et -
d'un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par le prestataire à
l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à
North York (Ontario) le 4 octobre 2000.
DÉCISION
Appel entendu à Toronto le mercredi 7 novembre 2001.
LE JUGE-ARBITRE URIE
L'appelant interjette appel de la décision du conseil arbitral rendue le 4 octobre 2000 qui avait confirmé son inadmissibilité en vertu des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi en se fondant sur la conclusion qu'il avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.
Il s'agit du deuxième appel interjeté auprès d'un juge-arbitre à l'encontre de la décision du conseil arbitral dans cette affaire. Le juge-arbitre, dans une décision rendue le 16 juillet 2000, a conclu que le premier conseil arbitral n'avait pas respecté les dispositions du paragraphe 114(3) de la Loi en omettant d'y inclure un exposé de ses conclusions ainsi que les faits essentiels sur lesquels il a fondé sa décision.
Le juge-arbitre a renvoyé l'affaire devant un nouveau conseil arbitral puisque, en l'absence de conclusions de fait adéquates par le conseil, il n'était pas en mesure de rendre la décision que le conseil aurait dû rendre.
Dans cet appel, les faits qui figurent au dossier peuvent être résumés ainsi. L'appelant avait travaillé comme enquêteur des services extérieurs en matière de circulation pour la municipalité de la Communauté urbaine de Toronto pendant environ neuf ans.
Par ailleurs, il avait été élu au Toronto Urban Aboriginal Council, qui agit à titre de voix politique pour les autochtones en milieu urbain. À ce titre, il désirait prendre trois jours de congé pour se rendre à la National Chiefs' Assembly qui se déroulait à Toronto pendant la semaine du 17 mars 1997. À cet effet, il déclare s'être adressé à son supérieur immédiat, Peter Lasagna, pour demander trois jours de congé pour la semaine suivante afin de se rendre à la Chiefs' Assembly. Il déclare que M. Lasagna lui a conseillé de remplir un formulaire de demande de congé qu'il irait chercher plus tard. Apparemment, M. Lasagna n'a pas indiqué à M. Somer qu'il y aurait un problème avec le congé qu'il avait demandé. Par ailleurs, selon ses dires, l'appelant croyait avoir effectivement reçu une approbation. M. Lasagna nie la lui avoir accordée.
La pièce 5.4 est le formulaire de demande de congé dûment rempli préparé par M. Somer le 13 mars 1997. Il déclare avoir conservé le formulaire de demande de congé en sa possession afin de le remettre à M. Lasagna au moment de son retour. Malheureusement, ce dernier n'est pas retourné au lieu de travail le jeudi 13 mars 1997.
Le vendredi 14 mars 1997 était une journée officielle de congé pour les enquêteurs des services extérieurs en matière de circulation, y compris l'appelant. Le lundi 17 mars 1997, l'appelant s'est présenté au travail mais M. Lasagna ne s'est pas rendu au travail; l'appelant n'a donc pas été en mesure de lui remettre sa demande.
L'appelant était un travailleur itinérant qui se déplaçait en voiture pour aller travailler dans divers lieux situés un peu partout autour de la ville. Il ne se rendait pas fréquemment au bureau de son employeur; de ce fait, son aptitude à communiquer avec son superviseur était restreinte et il n'a donc pas été en mesure de lui présenter son formulaire de demande de congé avant la date du dit congé.
Le mardi 18 mars 1997, la première journée de la Chiefs' Assembly, l'appelant déclare avoir téléphoné à M. Lasagna le matin, mais qu'il n'a pas pu lui parler personnellement. Il dit qu'il lui a laissé un message sur sa boîte vocale pour lui rappeler qu'il prenait congé afin de participer à la Chiefs' Assembly qui commençait ce jour-là. En fait, il était également présent à l'assemblée les 19 et 20 mars 1997. Le vendredi 21 mars 1997, M. Somer a appelé M. Lasagna pour qu'on lui indique son lieu de travail pour la semaine à venir. On lui a demandé de se rendre à une réunion avec M. Lasagna et son superviseur le lundi 24 mars 1997. C'est ce qu'il a fait et, à ce moment-là, on l'a informé qu'il était congédié pour ne pas s'être présenté au travail les 19 et 20 mars 1997, mais pas le 18 mars 1997 car on a reconnu qu'il s'agissait de la seule journée de congé autorisée. La demande de prestations d'assurance-emploi de l'appelant a été rejetée. Il a également été avisé qu'il n'était pas admissible aux prestations parce qu'il avait perdu son emploi, le 24 mars 1997, pour cause d'inconduite (pièce 8). Il a interjeté appel de cette décision, mais le conseil a rejeté son appel en stipulant que « le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite, en demandant seulement une journée de congé alors qu'il en avait pris trois ». Il a interjeté appel de la décision auprès d'un juge-arbitre qui, comme je l'ai déjà indiqué, a renvoyé l'affaire auprès d'un nouveau conseil arbitral.
Le nouveau conseil arbitral, comme je l'ai déjà indiqué, a rejeté l'appel de l'appelant.
Dans son témoignage, l'avocat de l'appelant m'a présenté les questions en litige dans cet appel de la manière suivante :
(a) Le conseil a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Plus précisément, le conseil a commis une erreur en statuant que l'appelant n'avait demandé qu'un seul jour de congé alors que les preuves présentées au conseil démontraient qu'il avait, à l'origine, demandé trois jours de congé;
(b) Le conseil a commis une erreur de droit en fournissant des motifs insuffisants qui ne comprenaient pas un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles à la décision, comme l'exige le paragraphe 114(3) de la Loi;
(c) Le conseil a commis une erreur en omettant de mettre en application la définition appropriée du mot « inconduite », qui comporte un aspect volontaire, malgré les directives précises fournies par le juge-arbitre. [TRADUCTION]
Le conseil arbitral a rendu sa décision le 4 octobre 2000. L'ensemble des parties essentielles de la décision se lisent comme suit :
RAISONNEMENT ET EXPOSÉ DES CONCLUSIONS DU CONSEIL
Le prestataire s'est présenté à l'audience en compagnie de son représentant. L'audience a été enregistrée. David Somer avait demandé trois jours de congé sur un formulaire prévu à cette fin (pièce 5.4) de manière à pouvoir se rendre à une conférence des chefs des Premières Nations, le s 18, 19 et 20 mars 1997. Le superviseur, M. Lasagna, conteste l'allégation selon laquelle cette demande aurait été effectuée le jeudi 13 mars. M. Lasagna n'a pas répondu à cette demande, que ce soit par la négative ou la positive.
M. Somer ne travaillait pas sur place (au bureau de l'employeur) mais sur la route.
Il a été congédié le 21 mars 1997 (pièce 5.3). M. Eyolson a déclaré qu'il n'avait pas eu la possibilité de discuter de cette question avec M. Lasagna. M. Eyolson s'est demandé si la conduite du prestataire constituait de l'inconduite volontaire. M. Eyolson a présenté, à titre de preuve, les CUB 30010 et 30162 pour établir la définition d'« inconduite volontaire ».
M. Eyolson a indiqué qu'il n'y avait pas eu de quiproquo au sujet des jours de congé ou de l'inconduite volontaire (articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi).
Le prestataire affirme que les renseignements qui figurent à la pièce 7 sont inexacts. Il affirme avoir demandé trois jours de congé, et non pas une seule journée (pièce 5.3). Le prestataire conteste le rappel de son superviseur (pièce 7). En outre il n'a émis aucun commentaire sur les procédures et les pratiques documentées au sein de l'unité des transports (45.8). Il souligne que seule la journée du 18 mars à fait l'objet d'une demande de paiement (pièce 5.3); cette journée lui a effectivement été payée.
Il a omis de se présenter au travail les 19 et 20 mars. Il n'y a aucun élément qui démontre que l'employeur ait reçu la pièce 5.4.
DÉCISION
Le conseil a soigneusement examiné toutes les preuves et a REJETÉ cet appel à l'unanimité. [TRADUCTION]
Dès le début de cet appel, la procureure de la Commission a admis au tribunal, en toute honnêteté, que la Commission ne pouvait se rallier à la décision rendue par le conseil et que celle-ci ne pouvait être maintenue. À l'exception du fait que le conseil avait tenté de mettre en œuvre les directives du juge-arbitre précédent, la décision comportait tellement de lacunes de toutes sortes que, comme je l'ai indiqué ci-dessus, elle ne pouvait être maintenue. Cependant, elle a demandé que je me prononce sur cette affaire plutôt que de la renvoyer à un nouveau conseil arbitral, en soulignant que j'avais la compétence requise pour rendre la décision qui aurait dû être rendue car un retard supplémentaire serait à la fois injuste et coûteux pour les deux parties.
J'ai mis en délibéré ma décision relative à la compétence et j'ai ordonné que l'appel soit plaidé du fait que je disposais effectivement de la compétence requise.
Question 1 – Conclusion de faits erronée
Les deux premiers litiges soulevés par l'avocat du prestataire sont liés. De ce fait, ils seront abordés ensembles mais dans des sections distinctes. Le paragraphe 115(2)c) de la Loi sur l'assurance-emploi stipule que le fait qu'un conseil arbitral ait fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait tirée de manière absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ne constitue que l'un des trois motifs d'appel. L'appelant soutient dans son dossier que « le conseil a commis une erreur dans ce qui semble être sa conclusion que M. Somer n'a demandé qu'un seul jour de congé mais qu'il en a pris trois, alors qu'une interprétation plus raisonnable des preuves présentées au conseil révèle que M. Somer a demandé trois jours de congé ».
Avant d'aborder cette allégation en particulier, il faut noter que l'on peut clairement affirmer que la décision ne comporte aucune conclusion de fait et que le conseil s'est contenté d'énoncer certains faits tirés du témoignage de l'appelant et du dossier en ce qui a trait au point de vue de la partie intimée, étant donné qu'aucune preuve verbale n'a été obtenue de la part des témoins de l'employeur ou de la Commission. Les membres du conseil n'ont pas non plus rendu de conclusions en matière de crédibilité des témoins ni des éléments auxquels ils avaient décidé de se fier pour ce qui est des éléments contestés. Tout ce qu'ils ont dit, comme nous l'avons noté ci-dessus, c'est qu'ils avaient soigneusement examiné toutes les preuves et qu'ils rejetaient l'appel à l'unanimité.
Pour revenir à l'argument de l'avocat de l'appelant, il estime que le conseil a omis d'évaluer les preuves fournies par l'appelant selon lesquelles il avait demandé, à deux reprises, un congé de trois jours à son superviseur; la première fois à l'oral le 13 mars et la deuxième fois en lui laissant un message téléphonique, le 18 mars, pour lui rappeler sa demande de congés. Il souligne également qu'aucun représentant de l'employeur n'a témoigné lors de l'audience du conseil.
Malgré tout le respect que je lui dois, ces présentations ne permettent pas de statuer que la conclusion du conseil était erronée, tirée de manière absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. En fait, les raisons fournies par le conseil indiquent clairement que les membres ont tenu compte des témoignages oraux de l'appelant ainsi que des preuves documentaires fournies par la Commission qui niaient qu'on ait demandé à M. Lasagna (le superviseur) d'approuver la demande de congé de trois jours présentée par l'appelant. Visiblement, le conseil a choisi d'accepter la version des faits fournie par M. Lasagna, comme ils étaient en droit de le faire dans le cadre de leurs fonctions.
Malheureusement, en agissant ainsi, le conseil a omis d'indiquer, dans sa décision, les motifs sur lesquels il avait fondé ses choix. La jurisprudence regorge de directives stipulant qu'il incombe au conseil arbitral, lorsqu'il existe des preuves contradictoires et des points de vue divergents entre les parties au sujet des questions de fait, de fournir les motifs de sa préférence d'une version par rapport à une autre. C'est particulièrement le cas si la préférence est fondée sur l'évaluation effectuée par le conseil à l'égard de la crédibilité des témoins. Dans cette affaire, le conseil n'a fait aucune référence aux motifs qui l'ont incité à préférer les preuves présentées par l'employeur (qui étaient de nature documentaire) à celles de l'appelant (qui étaient orales). Selon moi, en agissant ainsi, le conseil a commis une erreur.
Il existe une autre raison de conclure que la décision du conseil arbitral ne peut être maintenue. Cette raison, abordée à la question II, est qu'il a omis de fournir les raisons adéquates pour justifier sa décision.
Question II – Omission de fournir des raisons adéquates pour justifier sa décision
Dans l'affaire Parks c. Procureur général du Canada (1998), 228 N.R. 130 à la page 131, le juge Strayer, a déclaré ce qui suit dans un jugement oral :
Nous sommes tous d'avis que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de se conformer au paragraphe 79(2). En particulier, nous sommes d'avis qu'il incombait au conseil de dire, au moins brièvement, qu'il a rejeté des parties cruciales de la preuve du demandeur et d'expliquer pourquoi il a agi ainsi. En l'espèce, le conseil disposait de plusieurs documents de l'employeur qui constituaient des éléments de preuve de la nature du ouï dire. Le témoignage par affidavit et les déclarations orales du réclamant devant le conseil étaient incompatibles, sous plusieurs aspects, avec des documents. Le conseil s'est contenté de faire état de ses conclusions sans expliquer pourquoi il a préféré une version des événements à l'autre.
Même si en vertu de l'interprétation que nous donnons au paragraphe (2), nous n'estimons pas que le conseil arbitral soit tenu de décrire en détail ses conclusions de fait, nous sommes d'avis que, pour se conformer à ce paragraphe, le conseil arbitral doit, lorsque la crédibilité fait l'objet d'une question litigieuse, dire au moins brièvement, dans le cadre de ses « conclusions [..] sur les questions de fait essentielles », qu'il rejette certains éléments de preuve sur ce fondement et pourquoi il a rejeté ces éléments. Lorsqu'il omet d'agir ainsi, il commet une erreur de droit.
Cela s'applique intégralement aux faits dans cette affaire et suffit, en tant que tel, à justifier la réussite de cet appel.
Question III – Le conseil a commis une erreur en omettant d'utiliser la définition appropriée d'inconduite
Le conseil a commis une erreur en omettant de consacrer sa réflexion collective à la question d'inconduite, en tenant compte de la signification de ce terme dans la Loi sur l'assurance-emploi et e l'interprétation que lui ont donné les tribunaux, malgré le fait que le juge-arbitre saisi du premier appel ait clairement ordonné au nouveau conseil arbitral de le faire.
Déterminer si les agissements d'un employé constituent de l'inconduite est une question qui relève à la fois du droit et des faits. L'interprétation du terme est une question de droit. Savoir si les agissements reprochés, dans une situation donnée, relèvent de la définition est une question de fait.
Dans la décision charnière Procureur général du Canada c. Tucker (C.A.F.) A.A. - 381-85, la Cour d'appel fédérale a confirmé la déclaration de la juge Reed, de la Section de première instance, dans la même affaire, à savoir que :
pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail.
Comme dans l'affaire Tucker, personne n'a démontré l'existence d'un acte volontaire de ce genre dans les circonstances de cette affaire. Quoi qu'il en soit, le conseil arbitral n'a absolument pas tenu compte de son obligation d'énoncer le comportement de l'appelant qui a causé son congédiement, ce qui aurait été nécessaire pour pouvoir conclure à de l'inconduite afin de trancher dans cet appel. Bien que le conseil ait effectivement cité la déclaration de l'avocat de l'appelant stipulant qu'il y avait eu un « quiproquo au sujet des jours de congé ou de l'inconduite volontaire », c'est tout ce que le conseil a déclaré à ce sujet. À la lumière de la jurisprudence, c'est clairement insuffisant pour justifier la décision.
En omettant d'exprimer son point de vue sur la question de la nature volontaire de l'acte, le conseil arbitral a commis une erreur de droit. Ce point justifie également la réussite de l'appel.
L'avocat de l'appelant ainsi que le procureur ont demandé que j'use de mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 117(b) de la Loi sur l'assurance-emploi pour rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre. Ils soulignent que cette affaire a déjà été présentée à deux conseils arbitraux et que si je la renvoyais à un troisième conseil arbitral cela ne ferait qu'engendrer des délais importants qui s'avéreraient onéreux et injustes pour les deux parties. Leurs présentations contiennent tous les faits nécessaires pour rendre une décision appropriée. Il n'est pas nécessaire d'y ajouter d'autres preuves et, puisque je dispose de la compétence pour rendre la décision que le conseil aurait dû rendre, c'est ce que je devrais faire. Je suis d'accord avec cette proposition et, de ce fait, la décision du conseil arbitral devrait, selon moi, être annulée. En rendant la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre, l'appel est accueilli. J'ordonne à la Commission de verser à l'appelant les prestations d'assurance-emploi auxquelles il était admissible.
John J. Urie
Juge-arbitre
Le 11 décembre 2001