TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Lori C. HALVERSON
et
d'un appel interjeté par la prestataire à l'encontre d'une décision du
conseil arbitral rendue à Ottawa (Ontario) le 19 juillet 2001
D É C I S I O N
Le juge-arbitre GUY GOULARD
La prestataire a travaillé à Nav Canada du 11 novembre 1996 au 7 juillet 1999. Le 20 février 2001, elle a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi et a demandé que sa demande soit antidatée au 7 juillet 1999. La Commission a refusé la demande d'antidatation parce que la prestataire n'a pas démontré qu'elle avait un motif valable pour justifier son retard.
La prestataire a fait appel de la décision de la Commission devant le conseil arbitral, lequel a rejeté l'appel à l'unanimité. Elle porte maintenant la décision du conseil en appel. Ce dernier appel a été entendu à Ottawa (Ontario) le 24 avril 2002. La prestataire n'a pas comparu mais elle s'est fait représenter par son avocate, Mme Sonia Levesque-Parsons. La Commission était représentée par M. John Unrau.
Au nom de la prestataire, Mme Levesque-Parsons a fait valoir que le conseil avait commis une erreur de droit et de fait quand il a insisté uniquement sur le fait que la prestataire ignorait les dispositions de la loi et qu'il n'a pas tenu compte des autres motifs invoqués par la prestataire pour justifier sa demande tardive de prestations. Elle a relevé deux autres motifs importants que la prestataire avait fait valoir : premièrement, le fait qu'elle se soit fiée à l'avis de son employeur, qui lui avait dit qu'elle ne serait pas admissible au bénéfice des prestations pendant un an puisqu'elle avait reçu une indemnité de départ et qu'elle devrait attendre la fin de cette période avant de faire une demande de prestations d'assurance-emploi et, deuxièmement, son état de santé au cours de la période en question.
Le conseil avait pris ces motifs en considération avant de rendre sa décision :
" La prestataire a dit qu'ayant tenu compte des conseils (erronés) d'un commis à la paye de Nav Canada, elle a cru qu'elle était inadmissible au bénéfice des prestations pendant environ un an suivant son départ et qu'elle ne devrait pas demander de prestations dans l'intervalle, ce qui l'amenait à juillet 2000. La prestataire a présenté des preuves démontrant qu'elle a souffert de graves ennuis d'ordre physique/ennuis de santé avant cette date, notamment qu'elle avait subi une chirurgie cardiaque. Le Dr Smith a présenté des preuves au sujet des troubles mentaux graves dont la prestataire a souffert pendant de nombreuses années, notamment des troubles anxieux, des troubles obsessivo-compulsifs, etc. " [Traduction]
Le conseil en est venu à la conclusion suivante :
" Nous concluons que tout au long de la période de retard, la prestataire n'a eu qu'une raison majeure pour ne pas présenter sa demande : elle ignorait qu'elle avait l'obligation de la présenter. Bien qu'elle ait éprouvé de toute évidence divers ennuis d'ordre psychiatrique, nous n'avons pas pu conclure, et le Dr Smith n'a pas pu prouver, que la prestataire aurait été incapable de présenter plus tôt une demande de prestations d'assurance-emploi si elle avait su à quoi s'en tenir.Donc, à notre avis, l'ignorance de la loi est le facteur qu'il faut considérer dans cette affaire. Les autres motifs invoqués par la prestataire et son avocate, bien qu'ils soient pertinents, ne permettent pas de s'écarter de la proposition générale selon laquelle "la bonne foi et l'ignorance de la loi n'excusent pas à elles seules le défaut de se conformer à une prescription législative". Nous concluons en outre que les affaires citées par l'avocate de la prestataire différaient dans les faits de la présente affaire. " [Traduction]
La jurisprudence a établi clairement que le fait qu'un prestataire ait mal compris la loi et son application peut être un motif valable pour justifier une demande tardive. Dans l'arrêt Albrecht (A-172-85), la Cour d'appel fédérale a déterminé que le critère du motif valable consiste à déterminer si le prestataire a agi ou non comme une personne raisonnable et prudente aurait agi dans les mêmes circonstances, soit pour clarifier la situation relative à son emploi ou pour s'informer de ses droits et de ses obligations.
Dans la décision CUB 18990, le juge en chef adjoint Jerome a résumé de la façon suivante la jurisprudence relative au critère de personne raisonnable :
" La Cour d'appel fédérale a jugé qu'une prestataire a un motif justifiant son retard à présenter sa demande de prestations si elle réussit à démontrer qu'elle a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi : Procureur général du Canada c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710. La question de savoir si la prestataire a satisfait à cette exigence en est une de fait à trancher à la lumière des faits propres à chaque cas. Selon des arrêts ultérieurs touchant ce point, le prestataire à qui la Commission ou un employeur a donné de mauvais renseignements ou qui, en raison de maladie, d'analphabétisme, d'incapacité ou d'une autre circonstance spéciale, a retardé le dépôt de sa demande de prestations, peut avoir un motif justifiant son retard. Par exemple, dans l'affaire Eldridge, CUB 14318, il a été jugé que la prestataire avait agi de façon raisonnable en retardant la présentation de sa demande de prestations, car elle faisait cela pour la première fois et connaissait mal la marche à suivre et, en outre, elle se fiait à des renseignements erronés fournis par le service de paye de son employeur. "
Dans la décision CUB 11100, le juge Muldoon, en qualité de juge-arbitre, donne des directives permettant de déterminer si un prestataire correspond à la description d'une personne raisonnable :
" La question est donc de déterminer ce qui est attendu d'une "personne raisonnable". Maintenant, une personne raisonnable n'est pas une personne paranoïaque, en proie à l'anxiété, qui met en doute ou qui refuse de croire des conseils faisant apparemment autorité, au point de chercher à vérifier ces avis une deuxième et une troisième fois, chaque jour ou à intervalle régulier, de crainte que ces avis soient erronés. Une personne raisonnable, justifiée au premier abord d'accepter des avis qui font apparemment autorité, continue naturellement à les accepter jusqu'à ce qu'on attire son attention sur leur caractère erroné et peu digne de foi. Ce comportement décrit précisément la conduite qu'a adoptée le prestataire, laquelle était celle d'une personne raisonnable. Après tout, la justification initiale ne se détériore pas ou ne perd pas autrement sa valeur avec le temps, même après une longue période. "
Dans cette affaire, la Commission a concédé que, si le juge-arbitre était convaincu que le prestataire avait fait l'appel téléphonique au service des renseignements généraux de la Commission de l'assurance-emploi et qu'il avait reçu les renseignements erronés dont il est fait mention dans ses allégations, son appel à l'encontre de la décision du conseil arbitral devrait être accueilli.
Dans la jurisprudence, il a aussi été établi que la communication d'informations fausses par un employeur peut prouver que la présentation d'une demande tardive est justifiée par un motif valable, quand on la combine à d'autres facteurs pour déterminer si un prestataire a agi de manière raisonnable (voir les décisions CUB 18335, 16333 et 14318).
Dans plusieurs décisions, on a aussi déterminé que les ennuis de santé d'un prestataire sont des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer s'il a agi comme une personne raisonnable aurait agi dans les mêmes circonstances (décisions CUB 16333, 14326, 13378).
En l'instance, le conseil a imposé à la prestataire un fardeau de la preuve trop strict quand il a conclu qu'elle n'avait pas prouvé qu'elle aurait été incapable de faire une demande de prestations si elle avait été informée de ses droits. Le conseil a imposé le mauvais critère à la prestataire. Il en a été question dans la décision CUB 14326, dans laquelle le juge en chef associé Jerome a écrit :
" Le conseil en est venu à une conclusion différente parce qu'il a omis d'appliquer ce critère. Il a conclu que M. Smith n'avait pas prouvé qu'il était incapable d'entrer en contact avec la Commission. Ce critère n'est pas celui que la Cour d'appel avait établi. Tout ce que M. Smith devait démontrer, c'est qu'il a agi comme un prestataire raisonnable aurait agi dans la même situation. En appliquant le mauvais critère, le conseil a commis une erreur de droit. " [Traduction]
J'en viens donc à la conclusion que le conseil a erré, étant donné qu'il a appliqué le mauvais critère et qu'il n'a pas tenu compte des différents éléments de preuve que la prestataire avait présentés pour démontrer que sa demande tardive était justifiée par un motif valable. Elle a présenté des preuves, preuves qui ont été acceptées par le conseil, montrant que son employeur lui avait conseillé à tort d'attendre avant de présenter sa demande, et elle a déposé à l'audience des preuves, présentées par son médecin, montrant que ses ennuis de santé avaient contribué pour beaucoup à l'empêcher de présenter sa demande plus tôt. En conséquence, la décision du conseil doit être annulée.
J'ai considéré l'éventualité de renvoyer l'affaire devant un nouveau conseil arbitral pour qu'il rende une nouvelle décision, mais j'ai conclu que la preuve au dossier me permet de rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre.
Après examen de tous les éléments de preuve qui figurent au dossier et qui ont été présentés à l'audience, je suis convaincu que la prestataire a prouvé qu'en ne présentant pas sa demande plus tôt, elle avait agi comme une personne raisonnable aurait agi dans les mêmes circonstances. L'appel de la prestataire est accueilli.
GUY GOULARD
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 13 mai 2002