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  • CUB 54947


    TRADUCTION


    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    Arif PATEL

    et

    d'un appel interjeté par le prestataire à l'encontre de la décision
    d'un conseil arbitral rendue le 4 septembre 2001
    à Mississauga (Ontario)


    DÉCISION


    Le juge-arbitre GUY GOULARD


    Le prestataire a demandé des prestations d'assurance-emploi le 17 juillet 2001, indiquant qu'il avait travaillé pour Direct Energy Marketing du 28 mai 2001 au 5 juillet 2001, et qu'il avait été renvoyé. Une demande initiale a été établie, prenant effet le 9 juillet 2001. La Commission a par la suite déterminé que le prestataire avait perdu son emploi pour inconduite et lui a imposé une inadmissibilité au bénéfice des prestations pour une période indéfinie.

    Le prestataire en a appelé de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui, dans une décision majoritaire, a rejeté l'appel. Le prestataire en appelle maintenant de la décision du conseil. Le présent appel a été instruit à Toronto (Ontario) le 20 juin 2002. Le prestataire était présent. La Commission était représentée par M. Derek Edwards.

    Le prestataire avait donné, à la pièce 4, les détails suivants sur les événements et circonstances ayant conduit à son renvoi :

    « Le trajet pour me rendre à Sheppard et Yonge était trop long. Comme je faisais trop d'heures supplémentaires, j'étais incapable d'arriver tous les jours au travail à 8 h 30. Notre journée pouvait finir n'importe quand. Il avait été reconnu de part et d'autre que le trajet que je devais faire pour me rendre au bureau ne me permettait pas d'être là à 8 h 30 le matin. » [Traduction]

    Le prestataire explique ensuite qu'il avait tenté de remédier à la situation en partant plus tôt mais qu'il avait quand même de la difficulté à arriver à l'heure compte tenu de la distance à parcourir, qui l'obligeait à prendre un autobus et deux trains, sans compter que des travaux de construction sur l'une des lignes de métro compliquaient la situation.

    Les motifs invoqués par l'employeur figurent à la pièce 5-2. Les voici :

    « À votre demande, je vous fais parvenir les rapports disciplinaires remis à Arif Patel entre le 20 juin 2001 et le 5 juillet 2001. Des "rapports sur le retard d'un employé" ont été remis à Arif en six occasions, par suite de ses retards constants. Des avertissements lui ont d'abord été donnés de vive voix et, comme la situation ne s'améliorait pas, il a ensuite reçu des avertissements écrits. Arif a également été prévenu à quelques occasions de ne pas abuser du téléphone et d'Internet. En conséquence, les Ressources humaines et moi-même croyons que son renvoi de Direct Energy Marketing Limited était justifié. » [Traduction]

    Dans sa conclusion de fait (pièce 17-2), la majorité du conseil note, entre autres, les points suivants :

    - le chef du service, Sjd Khan, a dit que le fait que le prestataire soit encore arrivé en retard le 5 juillet avait été l'incident final [sic]. Le prestataire n'a avisé personne de son retard, et ensuite il s'attendait à être payé en heures supplémentaires pour avoir travaillé ½ heure de plus à la fin de la journée (pièce 6).
    - La chef du service de la paye, Mary Hatzus, a dit que le prestataire croyait avoir le droit d'arriver tard étant donné le trajet qu'il devait parcourir. Il connaissait les heures de travail et il aurait dû faire preuve de souplesse au sujet des heures supplémentaires. L'entreprise était passablement ferme au sujet des heures écourtées et à la mi-juin elle était revenue sur cette question, qui avait été discutée avec tous, et les employés avaient été prévenus que les heures allaient désormais être surveillées de plus près (pièce 7).
    - ... Il a aussi dit qu'il n'avait jamais reçu d'avertissement officiel concernant ses retards et qu'il ne croyait donc pas qu'il y avait un problème. Il a dit qu'il ne s'était pas opposé à signer ses fiches de retard parce qu'il croyait qu'il serait congédié de toute façon puisqu'il était en période de probation.
    - « Le prestataire a comparu devant le conseil et a répété qu'il croyait que ses retards n'étaient pas importants puisqu'on ne lui avait pas demandé de signer de fiches de retard avant le 5 juillet. Il a aussi affirmé qu'il s'était présenté au travail alors qu'il était malade et que l'entreprise ne lui avait pas remboursé les 20 $ qu'il avait dû débourser pour présenter le billet de médecin exigé. Le prestataire a dit qu'il faisait trop d'heures supplémentaires et qu'il arrivait souvent tard chez lui. Il devenait donc encore plus difficile pour lui d'arriver à l'heure au travail le lendemain matin. Il a dit avoir constaté seulement après son entrée en fonction que son lieu de travail était trop loin et que, s'il avait su exactement la distance qu'il devrait parcourir et le temps qu'il lui faudrait pour se rendre au travail, il n'aurait pas accepté le poste. Le prestataire a de plus affirmé qu'il trouvait que les heures supplémentaires facturées et travaillées dans son service n'étaient pas justifiées et sûrement pas nécessaires. En fait, il a affirmé que le travail en heures supplémentaires n'était nécessaire pour aucun membre du personnel. » [Traduction]

    La majorité du conseil en est venue à la conclusion suivante :

    « Le conseil convient que l'entreprise aurait pu faire preuve d'une plus grande diligence dans sa tenue de dossier. Toutefois, elle était parfaitement en droit d'être préoccupée par six retards survenus au cours d'une période de probation de six semaines.

    Le conseil trouve également que le prestataire n'était pas crédible et que son appel comportait trop d'incohérences.

    Le conseil estime que le comportement du prestataire constitue de l'inconduite au sens de la Loi, et qu'il était volontaire et délibéré. Il avait été mis en garde de vive voix contre ses retards avant d'être congédié, et il avait reçu les avis écrits en conséquence. »[Traduction]

    La membre minoritaire du conseil, soit la présidente, a examiné la preuve relative aux explications fournies par le prestataire concernant ses retards et la difficulté qu'il avait de téléphoner depuis le métro pour prévenir qu'il serait en retard. Elle a écrit ce qui suit :

    « Comme il n'avait reçu aucune fiche à signer ni aucun avertissement écrit, l'appelant a dit croire que l'employeur était conscient des difficultés que lui causait le long trajet à parcourir et du fait que le temps était repris en fin de journée.

    Le dernier jour que le prestataire a travaillé, il a été appelé dans le bureau de son superviseur et on lui a demandé de signer une série de fiches. Il a pensé que s'il ne les signait pas, il serait congédié immédiatement parce qu'il était en période de probation. Après être retourné à son poste, il a trouvé que cela n'était pas juste parce qu'il n'était pas en mesure, longtemps après le fait, de contester l'information figurant sur ses fiches. » [Traduction]

    Et la membre minoritaire conclut ainsi :

    « Il est établi dans les précédents juridiques que pour déterminer qu'une exclusion du bénéfice des prestations pour une période indéfinie soit imposée pour cause d'inconduite, il faut déterminer que ce sont les gestes du prestataire, gestes ayant un caractère volontaire ou délibéré ou résultant d'une insouciance ou d'une négligence telle qu'ils frôlent le caractère délibéré, qui ont causé son congédiement. Je ne peux en venir à cette conclusion dans la présente affaire.

    La procédure exposée par le superviseur du prestataire (pièce 7) n'a pas été suivie, et il était injuste de lui présenter une série de fiches à signer le jour où il a été congédié, alors qu'il lui était impossible de se rappeler les détails de ses absences et donc de contester les déclarations figurant sur ces fiches. Si la procédure exposée dans le manuel de l'employé avait été suivie, et si le prestataire était quand même arrivé en retard après avoir été dûment mis en garde, on pourrait alors conclure que son comportement était d'une insouciance telle qu'elle frôlait le caractère délibéré. Cependant, on n'a pas remis de fiches au prestataire lorsqu'il arrivait en retard et ce dernier a présumé, puisqu'il ne recevait pas ces fiches, que l'employeur acceptait l'explication qu'il lui donnait selon laquelle il arrivait parfois en retard parce qu'il avait un long trajet à faire, mais qu'il reprenait son temps à la fin de la journée.

    Je n'ai pas trouvé que les déclarations de l'employeur étaient crédibles. Elles étaient souvent contradictoires. Il n'était pas raisonnable que l'employeur s'attende à ce qu'une personne puisse téléphoner depuis le métro. Les téléphones cellulaires ne fonctionnent pas sous terre. La dernière partie du long trajet du prestataire était la principale cause de ses retards.

    Par conséquent, je ne peux conclure que ce sont les gestes volontaires ou délibérés du prestataire, ou son insouciance, qui ont conduit à son congédiement. » [Traduction]

    Le prestataire a fait valoir les points suivants :

    1- Il ne savait pas, lorsqu'il a accepté le poste, qu'il pourrait lui falloir de 2 à 3 heures pour aller de sa résidence à son lieu de travail et, s'il avait su, il n'aurait sans doute pas accepté l'emploi.

    2- Il a affirmé que la déclaration de l'employeur figurant à la pièce 5-2 selon laquelle on lui avait remis des « rapports sur le retard de l'employé » en six occasions était totalement fausse. Il a indiqué que les seuls rapports qu'il avait reçus étaient ceux qu'on lui avait demandé de signer lors de son dernier jour de travail, et qu'ils lui avaient été remis ce jour-là. Ce point est confirmé par l'employeur à la pièce 19-2, où l'on peut lire que le prestataire s'était fait avertir de vive voix lorsqu'il était en retard. L'employeur a aussi reconnu à la pièce 12-1 que le prestataire n'avait pas reçu de rapports écrits parce qu'il n'y avait pas de formulaires.

    3- L'employeur avait instauré une politique sur les retards qui est décrite ainsi à la pièce 7 :
    « L'entreprise est bien déterminée à faire respecter l'heure d'arrivée. Les employés en sont informés lorsqu'ils sont embauchés. La gestionnaire à la comptabilité avait d'ailleurs eu une réunion avec tout son personnel pour discuter du fait qu'il semblait y avoir certains problèmes de ponctualité au sein du personnel et pour dire que dorénavant, elle respecterait la procédure et qu'une fiche serait remplie pour chaque retard et, après des avertissements verbaux et deux avertissements écrits, l'employeur pourrait envisager un congédiement. Chaque fois qu'une fiche de retard (envoyée par Mary) était remplie, il en était question avec la personne concernée, et cette fiche était considérée comme un avertissement écrit. » [Traduction]
    Le prestataire a répété qu'il n'avait jamais reçu de rapport de retard avant le 5 juillet 2001, ni aucun autre avertissement écrit qui, selon la politique de l'entreprise, constituait une mesure disciplinaire pouvant amener l'employeur à envisager un congédiement.

    4- Le prestataire a présumé, puisqu'on ne lui avait remis ni rapport de retard ni autre forme d'avertissement écrit, que l'employeur jugeait qu'il avait des raisons acceptables d'arriver en retard et qu'il tolérerait la chose. Il a fait valoir que l'employeur n'avait pas respecté sa propre politique dans son cas et avait simplement décidé de le renvoyer.

    5- Il a fait remarquer que la majorité du conseil avait commis une erreur en affirmant qu'il avait été averti verbalement au sujet de ses retards, et averti par écrit en conséquence, avant son congédiement.

    6- Il a affirmé que lorsqu'on lui avait présenté les rapports de retard, le 5 juillet 2001, il n'était pas en mesure de contester les dates des présumés retards, ses heures d'arrivée ni les motifs des retards. Il croyait n'avoir d'autre choix que de signer les rapports. Il a allégué que ces rapports ne pouvaient être considérés comme des avertissements écrits qui auraient été donnés de façon rétroactive à chacune des dates mentionnées.

    Je partage l'avis du prestataire et trouve que la majorité du conseil a effectivement commis une erreur dans sa conclusion de fait. L'employeur avait une politique disciplinaire au sujet des problèmes de ponctualité. Suivant cette politique, les employés devaient recevoir des avertissements, il fallait remplir des fiches de retard et, après deux avertissements écrits, l'employeur pouvait envisager un renvoi. Le prestataire pouvait croire que, comme on ne lui avait pas donné les avertissements en question, son emploi n'était pas menacé.

    Le prestataire avait donné des explications concernant ses problèmes de ponctualité et dit pourquoi il estimait que l'employeur acceptait ces explications. Pourtant, la majorité du conseil a conclu que son comportement était volontaire et délibéré. La majorité du conseil avait le droit de rejeter l'explication du prestataire, mais il aurait alors fallu qu'elle explique pourquoi elle la rejetait.

    Suivant le paragraphe 114(3) de la Loi sur l'assurance-emploi, la décision du conseil doit comprendre un exposé des conclusions auxquelles il en arrive sur les questions de fait. Ce paragraphe est ainsi libellé :

    114.(3) La décision d'un conseil arbitral doit être consignée. Elle comprend un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles.

    Dans l'arrêt Parks (A-321-97), le juge Strayer a écrit ce qui suit :

    « Nous sommes tous d'avis que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de se conformer au paragraphe 79(2). En particulier, nous sommes d'avis qu'il incombait au conseil de dire, au moins brièvement, qu'il a rejeté des parties cruciales de la preuve du demandeur et d'expliquer pourquoi il a agi ainsi. En l'espèce, le conseil disposait de plusieurs documents de l'employeur qui constituaient des éléments de preuve de la nature du ouï-dire. Le témoignage par affidavit et les déclarations orales du réclamant devant le conseil étaient incompatibles, sous plusieurs aspects, avec des documents. Le conseil s'est contenté de faire état de ses conclusions sans expliquer pourquoi il a préféré une version des événements à l'autre. Même si en vertu de l'interprétation que nous donnons au paragraphe 79(2), nous n'estimons pas que le conseil arbitral soit tenu de décrire en détail ses conclusions de fait, nous sommes d'avis que, pour se conformer à ce paragraphe, le conseil arbitral doit, lorsque la crédibilité fait l'objet d'une question litigieuse, dire au moins brièvement, dans le cadre de ses « conclusions [...] sur les questions de fait essentielles », qu'il rejette certains éléments de preuve sur ce fondement et pourquoi il a rejeté ces éléments. Lorsqu'il omet d'agir ainsi, il commet une erreur de droit. »

    Et dans l'arrêt McDonald (A-297-97), le juge Linden s'est exprimé ainsi :

    « Il faut absolument que le conseil arbitral aborde soigneusement les points litigieux réellement soulevés devant lui, et qu'il explique ses conclusions dans un raisonnement cohérent et logique. Tout ce qui est moindre est inacceptable. »

    Enfin, dans l'arrêt Boucher (A-270-96), le juge Hugessen a écrit ce qui suit :

    « Le conseil arbitral avait à choisir entre deux versions des faits. La première, avancée par la Commission, était appuyée par les versions des employeurs et par des déclarations apparemment données par le prestataire à un agent de la Commission et consignées par écrit par ce dernier. La seconde était appuyée par le témoignage du prestataire lui-même rendu à l'audience.
    (...) Le conseil arbitral ne pouvait pas ignorer les déclarations contradictoires données par le prestataire. Bien sûr il avait le droit de les écarter mais il ne l'a pas fait. L'intervention du juge-arbitre était justifiée. »

    La présidente du conseil, divergeant d'opinion, a effectivement tenu compte des arguments du prestataire et expliqué pourquoi elle acceptait ces arguments dans la conclusion exposée précédemment.

    Un appel est interjeté devant le juge-arbitre en application des paragraphes 115(1) et (2) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.R.C. 1985. Les motifs de cet appel sont exposés au paragraphe 115(2), libellé comme suit :

    115. (2) Les seuls moyens d'appel sont les suivants :
    a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
    b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
    c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

    Je conclus par conséquent que la majorité du conseil a rendu en grande partie sa décision sans tenir compte de l'information portée à sa connaissance et sans qu'elle explique pourquoi elle avait rejeté des aspects importants de la preuve présentée par le prestataire, corroborée par d'autres éléments de preuve.

    La décision majoritaire du conseil sera donc annulée.

    Je détermine en outre que la décision minoritaire du conseil tient compte de l'ensemble de la preuve d'une façon globale et probante. La membre minoritaire a relevé le fait que le prestataire n'avait pas reçu d'avertissement écrit, contrairement à ce que prévoit la politique de l'employeur. Elle a conclu qu'elle ne pouvait conclure que les gestes du prestataire étaient volontaires et délibérés, ni qu'ils dénotaient de la négligence de sa part.

    Je conclus que la décision de la membre minoritaire a été prise à la lumière de toute l'information et de toute la preuve présentée au conseil.

    Comme je l'ai indiqué, j'annule la décision majoritaire, à laquelle je substitue ma propre décision, qui est d'avaliser la décision minoritaire.

    En conséquence, l'appel est accueilli.


    GUY GOULARD

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 5 juillet 2002

    2011-01-16