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  • CUB 55310

    TRADUCTION

    Dans l'affaire de la Loi sur l'assurance-emploi

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    Chester DUGAS

    - et -

    d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par le prestataire
    à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral
    le 7 février 2002 à Yarmouth (Nouvelle-Écosse)

    DÉCISION

    LE JUGE-ARBITRE JEAN A. FORGET

    Le prestataire appelle de la décision majoritaire d'un conseil arbitral ayant maintenu la décision d'un agent de l'assurance-emploi qui avait déterminé que le prestataire n'était pas admissible aux prestations du fait qu'il avait quitté volontairement son emploi sans justification, et que son départ n'était pas la seule solution raisonnable dans son cas.

    Les faits entourant la présente affaire peuvent être résumés ainsi. Le prestataire a présenté une demande de prestations le 26 novembre 2001, indiquant qu'il avait quitté l'emploi qu'il avait à Transport Solutions, où il avait travaillé du 5 août 1999 au 5 novembre 2001. L'employeur aurait expliqué qu'en raison de la baisse de production de copeaux dans la région, il avait offert au prestataire du travail temporaire ailleurs mais que celui-ci avait refusé parce qu'il voulait être chez lui les fins de semaine. L'employeur a affirmé que lorsque les employés sont embauchés, on leur dit qu'ils devront peut-être changer de lieu de travail pour garder leur emploi. La Commission a informé le prestataire qu'il n'était pas admissible aux prestations du fait qu'il avait quitté son emploi à Transport Solutions le 5 novembre 2001. Le prestataire a appelé de cette décision devant un conseil arbitral, indiquant qu'il avait de l'ancienneté chez cet employeur mais que celui-ci avait voulu confier à un nouveau conducteur d'Annapolis le travail qu'il faisait jusque-là, et que c'était la raison pour laquelle on lui avait demandé de travailler au Nouveau-Brunswick et au Québec. Il a expliqué qu'il habitait seul avec son chien d'un an et qu'il n'y aurait eu personne pour prendre soin de l'animal s'il avait été parti toute la semaine. Il a indiqué que lorsqu'il avait dit à son employeur qu'il ne pourrait aller au Nouveau-Brunswick, on lui avait répondu que son camion devait quand même y aller; il s'était donc rendu au traversier pour y laisser la remorque, et c'est le conducteur d'Annapolis qui avait repris son camion. La Commission a communiqué avec l'employeur pour clarifier la situation. L'employeur a répété que lorsque le transport de copeaux diminue dans la région, les conducteurs sont déplacés de manière à ce qu'ils puissent continuer de travailler.

    Le prestataire a comparu devant le conseil arbitral et affirmé qu'il était réticent à quitter son lieu de travail habituel. Il croyait peu prudent de laisser sa maison inoccupée et estimait qu'il devait être là pour son jeune chien. Interrogé sur ce point, le prestataire a répondu que n'eût été du chien, il aurait probablement accepté le changement de lieu de travail. La majorité du conseil a conclu que la décision du prestataire de refuser l'affectation temporaire constituait un départ sans justification.

    Le prestataire appelle maintenant de la décision du conseil devant le juge-arbitre. Il fait valoir que même s'il ne voulait pas quitter son domicile et son chien, cela n'était pas la principale raison de son départ. Il allègue que le répartiteur avait décidé de donner sa route à un nouveau conducteur et l'avait affecté au Nouveau-Brunswick et au Québec sans le consulter. Il prétend qu'on lui avait demandé de prendre sa décision avant 17 h le vendredi même, qu'il avait demandé s'il pouvait garder son travail habituel et que le répartiteur lui avait répondu qu'il ne pouvait pas et que son camion devait y aller. Il ajoute qu'il travaillait pour l'entreprise depuis plus de deux ans, comparativement à seulement six mois environ pour le nouveau conducteur. Il estime qu'il avait de l'ancienneté et qu'il aurait dû pouvoir garder son emploi en Nouvelle-Écosse.

    Le critère appliqué en matière de départ volontaire a été établi dans la décision Tanguay (A-1458-84) par la Cour d'appel fédérale, qui a établi une distinction entre la notion de « motif valable » et celle de « justification ». En outre, dans la décision Landry (A-1210-92), la Cour a précisé qu'il ne suffit pas qu'un prestataire prouve qu'il a agi de façon raisonnable en quittant son emploi, car même si le caractère raisonnable de la décision peut constituer un « motif valable », cela ne constitue pas nécessairement une « justification ». Le prestataire doit montrer qu'après avoir pris en considération l'ensemble des circonstances, il n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

    À l'audience, le prestataire a fait valoir que puisqu'un autre conducteur allait le remplacer, le changement équivalait simplement à une permutation de conducteurs. Il a soutenu qu'il n'avait pas démissionné et que, comme il y avait encore du travail dans sa région et qu'il avait plus d'ancienneté que le conducteur devant le remplacer, on aurait dû lui permettre de continuer son travail sans être affecté à différents endroits de façon apparemment arbitraire par le répartiteur.

    L'avocat de la Commission s'est reporté à la pièce 15, où il est question de la courte durée de l'affectation et du fait que le prestataire aurait pu aller chez lui les fins de semaine. Il allègue que la décision majoritaire du conseil arbitral était raisonnable puisque le prestataire aurait pu essayer de composer avec son affectation pendant quelques semaines avant de démissionner. La position adoptée par l'avocat de la Commission présume essentiellement de la réponse à la question de savoir s'il était nécessaire d'affecter le prestataire ailleurs alors qu'il y avait encore du travail dans sa région. L'affirmation de l'employeur selon laquelle cette réaffectation était nécessaire pour que le prestataire puisse continuer de travailler ne tient pas, puisqu'un autre conducteur a été affecté dans la région du prestataire afin d'y continuer le travail que le prestataire faisait déjà. Ce geste de la part de l'employeur ressemble à un congédiement déguisé sans justification.

    Le conseil arbitral a rendu une décision majoritaire qui n'est pas raisonnable dans les circonstances, et l'a rendue sans tenir compte de l'information portée à sa connaissance. Il n'était pas raisonnable que le conseil arbitral conclue majoritairement qu'un employeur (ici le répartiteur) ait pu simplement confier la route du prestataire à un conducteur ayant moins d'ancienneté en prétendant vouloir lui garder son emploi, alors qu'il y avait encore du travail dans la région mais que ce travail était désormais confié à un conducteur différent. Les sous-alinéas 29c)(ix), (x), (xi) ou (xiii) de la Loi semblent pertinents et applicables dans la présente affaire.

    Je suis convaincu que le prestataire était fondé à réagir de la façon dont il a réagi et à quitter volontairement son emploi.

    En conséquence, l'appel du prestataire est accueilli, et la décision majoritaire du conseil arbitral est par les présentes annulée.

    J.A. FORGET

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA(Ontario)
    Le 27 septembre 2002

    2011-01-16