EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
RELATIVEMENT à une demande de prestations par
Jacques BRIAND
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
par le prestataire de la décision d'un conseil arbitral rendue
le 26 novembre 2001, à Val d'Or, Québec
DÉCISION
GUY GOULARD, juge-arbitre
Le prestataire en appelle de la décision majoritaire du conseil arbitral qui a accueilli l'appel de l'employeur de la décision de la Commission à l'effet qu'il avait droit aux prestations d'assurance-emploi parce que les raisons de sa perte d'emploi ne constituaient pas de l'inconduite.
Les faits dans ce dossier peuvent se résumer comme suit. Le prestataire a déposé une demande de renouvellement de prestations le 18 juillet 2001 (pièce 2) indiquant qu'il était en congé de maladie à compter du 11 juin 2001 jusqu'au 1er juillet 2001 et qu'il avait été congédié à compter du 15 juillet 2001. Le prestataire a remis à la Commission un certificat médical (pièce 4) justifiant son arrêt de travail pour la période du 11 juin 2001 au 1er juillet 2001. Le prestataire aurait par la suite pris deux semaines de vacances.
Les motifs du congédiement du prestataire se retrouvent à la pièce 5 et se lisent comme suit:
"La présente fait suite à nos rencontres des 29 juin et 3 juillet derniers concernant votre conduite pendant votre congé maladie du 11 juin au 2 juillet 2001 pour cause d'entorse cervico-dorsale.
En fait, l'Employeur voulait confirmer certaines informations à l'effet que vous aviez suivi un cours pour conduire une motocyclette, aviez effectivement conduit une motocyclette de type Suzuki 600 jaune alors que vous étiez en congé maladie soit entre le 11 juin et le 2 juillet 2001.
Suite à votre admission d'avoir effectivement conduit une motocyclette et puisque l'Employeur a le droit de contrôler l'absence au travail et d'en vérifier les motifs, nous avons référé votre dossier à un médecin spécialiste qui confirme que la position adoptée sur ce type de motocyclette est nettement incompatible avec la présence d'une entorse cervico-dorsale invalidante.
Votre comportement allégué est donc hautement répréhensible. L'honnêteté constitue une exigence essentielle au maintien du lien de confiance dans une relation d'emploi. Vous avez donc utilisé sans droits les fonds du régime d'assurance salaire pour servir vos intérêts propres et avez menti à votre Employeur concernant vos promenades en motocyclette, leur durée et leur fréquence commettant ainsi une faute grave qui s'apparente à de la fraude.
Pour toutes ces raisons, l'Employeur est contraint de mettre fin à votre emploi immédiatement."
La Commission a déterminé que les raisons de la perte d'emploi du prestataire ne constituaient pas de l'inconduite et a accepté la demande de renouvellement de prestations. La Commission a avisé l'employeur de cette décision et ce dernier a logé un appel devant un conseil arbitral qui a accueilli l'appel par décision majoritaire.
Le prestataire en appela de la décision majoritaire du conseil au juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Val d'Or, Québec, le 26 septembre 2002 et le ler novembre 2002. Le prestataire était présent et était représenté par Me Anie Beauchemin. L'employeur était représenté par Me Thérèse Boisjoly et la Commission était représentée par Me Marie-Eve Sirois-Vaillancourt qui indiqua que la Commission ne participerait pas à l'appel.
Le prestataire a soumis que les membres majoritaires du conseil avaient erré du fait qu'ils avaient fondé leur décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à leur connaissance. Il a soumis que la preuve prise dans son ensemble ne pouvait établir qu'il avait perdu son emploi suite à sa propre inconduite. Il indiqua que la preuve démontrait qu'au moment de son congédiement il était en congé de maladie sur l'avis de son médecin et que cet avis avait reçu la corroboration professionnelle d'autres médecins. Il soumet que, contrairement aux allégations de l'employeur, il n'avait jamais menti à son employeur tant à l'égard de la raison de son congé de maladie qu'au sujet de ses activités durant ledit congé.
L'employeur, pour sa part, a soumis que la preuve supportait entièrement la décision majoritaire du conseil puisque celle-ci révélait que les actions du prestataire avaient démontré qu'il ne pouvait souffrir d'une entorse dorsale tel que certifié par son médecin et que de plus le prestataire avait menti tant à l'égard de son incapacité physique qu'au sujet de ses activités durant son congé.
Je traiterai de ce litige sous les aspects suivants:
- les motifs du congédiement
- la décision de la Commission
- le fondement de la décision majoritaire
- le fondement de la décision minoritaire
- soumissions du prestataire
- soumissions de l'employeur
- réplique du prestataire
- l'interprétation jurisprudentielle de la notion d'inconduite
- analyse de la décision majoritaire en égard de la Loi sur l'assurance-emploi et de la jurisprudence
- conclusion
Les motifs du congédiement
Dans la lettre de congédiement, l'employeur indique que le médecin spécialiste qu'il a retenu en était arrivé à la conclusion que "la position adoptée (par le prestataire) sur ce type de motocyclette est nettement incompatible avec la présence d'une entorse cervico-dorsale invalidante." L'employeur avait donc congédié le prestataire pour les motifs suivants:
"Votre comportement allégué est donc hautement répréhensible. L'honnêteté constitue une exigence essentielle au maintient du lien de confiance dans une relation d'emploi. Vous avez donc utilisé sans droit les fonds du régime d'assurance salaire pour servir vos intérêts propres et avez menti à votre Employeur concernant vos promenades en motocyclette, leur durée et leur fréquence commettant ainsi une faute grave qui s'apparente à de la fraude." (Pièce 5)
L'employeur reproche donc au prestataire d'avoir menti quant à sa condition physique, bénéficiant ainsi illégalement de prestations d'assurance salaire et d'avoir menti au sujet des ses promenades en motocyclette brisant ainsi la relation de confiance entre le prestataire et l'employeur.
La décision de la Commission
La décision de la Commission se fonde sur les faits suivants et la conclusion que la Commission en tire:
"- Le prestataire a produit une preuve médicale justifiant son arrêt de travail, donc son absence a été justifiée médicalement, pour la période du 11 juin 2001 au 1er juillet 2001 inclusivement. (Pièce 4)
- Le document médical fait la preuve de l'incapacité du prestataire, jusqu'à preuve du contraire. L'Employeur a référé le dossier à un médecin spécialiste, qui s'est prononcé sans avoir examiné à nouveau l'employé. Comme il n'y a pas eu de contre expertise médicale, ni une évaluation de l'employé, à ce moment là, la Commission n'a pas la compétence pour déterminer si le prestataire était capable ou non de travailler, et doit considérer qu'il est raisonnable de conclure que la preuve d'incapacité à travailler existait toujours.
...
- L'Employeur a congédié le prestataire en raison du bris de lien de confiance, considérant que l'employé avait utilisé les fonds du régime d'assurance salaire pour servir ses intérêts propres, et avoir menti à son employeur, ce qu'il qualifiait de faute grave qui s'apparente à de la fraude. Monsieur Briand, a admis s'être baladé en motocyclette, alors qu'il était en arrêt de travail justifié par un médecin, il n'a pas caché ce fait à l'employeur lorsqu'il a été questionné à ce sujet, et selon lui n'a pas menti à personne. Il confirme qu'il n'y a pas eu de contre expertise médicale au moment où les reproches lui ont été faits. La Commission n'est pas en mesure de tirer une conclusion d'inconduite, car aucune preuve médicale confirme que le prestataire était "capable" de travailler au moment où s'est produit les événements, alors qu'il était indemnisé par l'assurance salaire. Elle a donc accueilli la demande de prestations aux termes du paragraphe 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi (pièce 9)."
Le fondement de la décision majoritaire
La majorité du conseil a retenus les faits suivants, tels qu'établis par la preuve au dossier et présentée lors de l'audience:
- Le ou vers le 19 avril 2001, le prestataire a subi une blessure au dos qui a entraîné trois périodes d'invalidité, la troisième s'étalant du 11 juin au 1er juillet 2001;
- l'employeur a déterminé que, durant la dernière période d'invalidité, le prestataire suivait des cours de conduite qu'on avait initialement cru être pour des véhicules lourds, mais qui étaient en effet pour des motocyclettes;
- le prestataire, lors d'une rencontre avec son employeur a nié s'être livré à des activités contraires à ce que son médecin lui avait prescrit;
- l'employeur a retenu les services d'une firme d'investigation qui a établi, suite à une surveillance du prestataire, que ce dernier avait suivi, durant sa période d'invalidité, des cours théoriques de conduite de motocyclette et qu'il aurait conduit sa motocyclette. Les enquêteurs ont indiqué que le prestataire "se baladait régulièrement en motocyclette dans les limites de la municipalité ... que les balades duraient de 30 minutes à une heure et qu'à aucune occasion ils n'ont noté de comportements particuliers de la part de M. Briand lors de ses balades."
- L'employeur a retenu les services d'un médecin à qui on a demandé de se prononcer "sur la compatibilité des observations faites par les enquêteurs et le diagnostic d'entorse cervico-dorsale porté par le Dr Claude Malenfant, le 11 juin 2001."
- Le médecin, qui n'a pas examiné le prestataire, a conclu dans son rapport (Pièce 13) et lors de son témoignage que "les agissements du prestataire sont incompatibles avec le diagnostic (parce que) la position requise et les contraintes liées à cette activité sont telles qu'elles ne pourraient être pratiquées par quelqu'un affligé d'entorse cervico-dorsale, à qui par surcroît on a prescrit des anti-inflammatoires et de la physiothérapie."
- Les membres majoritaires notent aussi que le médecin retenu par l'employeur "met également en lumière une particularité du dossier médical qui soulève une interrogation sérieuse. En effet, le premier diagnostic suite à l'événement d'avril 2001, posé par le Dre Skuherska, est dorsalgie. Le second, posé par le Dr Gérald Lapointe, sera entorse dorsale droite sévère, tandis que le Dr Gilles Prévost, à la fin mai 2001, conclura à une entorse lombaire. Quelques semaines plus tard, le Dr Claude Malenfant diagnostiquera, quant à lui ... une entorse cervico-dorsale."
- Le prestataire aurait admis à l'employeur avoir fait de courtes balades en motocyclette mais que ceci ne change pas ses symptômes et douleurs qu'il éprouvait et que ceci n'avait pas été contre-indiqué pendant sa période d'invalidité puisque son médecin lui aurait seulement indiqué "de ne faire aucun travail exigeant pour une période d'approximativement trois semaines et qu'il n'avait jamais pensé ... que les dites balades en motocyclette pouvaient nuire à son état."
La décision majoritaire se lit, en partie, comme suit:
"La preuve présentée au Conseil révèle donc que durant sa période d'invalidité, ayant débuté le 11 juin 2001, le prestataire aurait à plusieurs occasions effectué des balades avec sa motocyclette.
Notons que cette preuve d'ailleurs admise par le prestataire est contraire à la version qu'il aurait donnée à la Commission lorsqu'il déclarait, à la pièce 8-1, n'avoir effectué qu'une balade d'une durée de dix à quinze minutes. Toujours selon les témoignages entendus, la preuve prépondérante est à l'effet que ces balades étaient incompatibles avec l'état de santé du prestataire.
Il aurait sans doute été intéressant d'entendre le médecin de M. Briand sur cet aspect, mais en l'absence d'un tel témoignage, le Conseil n'a d'autres choix que de prendre en considération la preuve devant lui.
Il appert donc que l'appelant a fait la preuve que le prestataire s'est livré à certaines activités incompatibles avec le fait qu'il était porteur d'une entorse cervico-dorsale.
De ces faits prouvés, le Conseil n'a pu que spéculer sur les conclusions à tirer, mais l'une d'elles rejoint les prétentions de l'employeur en ce que le prestataire aurait faussement prétendu être porteur d'une condition invalidante.
La question suivante est donc de juger si ces actes ou omissions constituent de l'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi.
Suivant les faits tels qu'ils sont prouvés devant le Conseil arbitral, celui-ci peut effectivement comprendre que l'employeur se soit senti abusé par un employé qui se serait absenter [sic] et aurait produit une réclamation d'assurance salaire sur ce qui semble être des faux motifs. Cette situation est certainement exacerbée par les déclarations antérieures de M. Briand qui, selon toute vraisemblance, tentait de réduire la portée et la fréquence des actes qui lui étaient reprochés.
Dans les circonstances donc, la majorité du Conseil conclut que la preuve prépondérante est à l'effet que M. Jacques Briand a perdu son emploi auprès d'Uniboard des suites de son inconduite et en conséquence, l'appel est accueilli."
Le fondement de la décision minoritaire
Le membre dissident du conseil résume la preuve qu'il a retenu et conclut de la façon suivante:
"Je ne relaterai pas tous les témoignages et les faits au dossier, ceux-ci étant expliqués dans la décision. Ce que je comprends des faits, c'est que l'employeur, M. Langlois, rencontre le prestataire le 29 juin 2001 et essaie de lui faire dire par différentes questions, qu'il fait des activités incompatibles avec le diagnostic du médecin. N'étant pas satisfait de la réponse, il lui demande de réfléchir et de revenir avec son représentant syndical. Lors de la deuxième rencontre, M. Briand admet avoir fait de la motocyclette. Les témoignages sur cette rencontre autant de la part de la partie patronale, M. Langlois, et de la partie syndicale M. Ross et M. Briand se contredisent autant dans le déroulement que sur les réponses faites par M. Briand.
Dans la preuve l'employeur nous démontre qu'il avait auparavant engagés [sic] une firme pour faire une filature du 20 au 25 juin 2001. Après les rencontres avec le prestataire, il a envoyé la vidéocassette au Docteur Claude Archambault de la clinique de médecine industrielle de St-Eustache. Celui-ci s'est prononcé sur l'incompatibilité de faire de la motocyclette avec le diagnostic du médecin qui a vu M. Briand au début de juin 2001. Dans ce dossier, le prestataire a vu cinq (5) médecins dont le docteur Archambault le 23 avril 2001 en expertise et les diagnostics sont tous différents.
Après avoir entendu tous les témoignages, je crois la thèse du représentant du prestataire qui dit que M. Briand n'est pas responsable des diagnostics posés par les médecins et que celui-ci a respecté ses limitations fonctionnelles.
En effet, comme nous le démontre la vidéo de filature, M. Briand se promenait lentement au centre-ville, arrêtait, prenait une marche et faisait une autre balade avant de retourner chez-lui. M. Briand ne croyait pas que le fait pour lui de se promener en moto aurait pu lui faire perdre son emploi."
Soumissions du prestataire
L'avocate du prestataire a soumis que la majorité du conseil a erré dans sa détermination des faits en acceptant le témoignage du Dr Claude Archambault qui, sans avoir examiné le prestataire et se fondant seulement sur le visionnement du vidéo où l'on voit le prestataire faire des balades de motocyclette, a conclu que ce dernier se comportait, au moment de l'enregistrement des vidéo, "comme un individu ne présentant aucune lésion cervico-dorsale (pièce 13-3). Me Beauchemin souligne les éléments de preuve suivants:
- Le Dr Archambault avait constaté, le 23 avril 2001, une entorse dorsale droite chez le prestataire, suite à un accident de motoneige (pièce 16).
- Le prestataire est par la suite retourné au travail durant le mois de mai et s'est ensuite absenté durant la semaine du 2 juin pour entorse lombaire suite à quoi il a travaillé durant la semaine du 9 juin pour s'absenter de nouveau pour entorse cervico-dorsale (pièce 17).
- Les absences du travail avaient toutes été motivées par des rapports médicaux. L'absence du travail qui avait débuté le 11 juin 2001 avait été motivée par un rapport médical en date du 11 juin 2001 (pièce 25) dans lequel le Dr Claude Malenfant certifie que, suite à l'examen de Monsieur Briand, il a fait un diagnostic d'entorse cervico-dorsale et a prescrit une absence du travail pour la période du 11 juin au 1er juillet 2001. Le Dr Malenfant a indiqué dans une note en date du 29 juin 2001 que Monsieur Briand pourrait reprendre son travail le 2 juillet 2001.
- Les enquêteurs avaient observé le prestataire entre le 20 et le 25 juin 2001 soit, selon Me Beauchemin, seulement quelques jours avant le deuxième examen du Dr Malenfant qui approuve le retour au travail de Monsieur Briand.
Me Beauchemin soumet que le témoignage du Dr Archambault ne pouvait venir contredire le diagnostic du Dr Malenfant et la légitimité du congé de maladie du prestataire. Elle soumet que le conseil n'avait aucune preuve médicale contredisant le diagnostic motivant le congé. Elle souligne que les membres majoritaires du conseil avaient indiqué qu'ils ne pouvaient que spéculer sur les conclusions à tirer mais que l'une d'elles rejoignait les prétentions de l'employeur à l'effet que le prestataire aurait faussement prétendu être porteur d'une condition invalidante. Elle fait valoir que le certificat médical à l'effet que le prestataire souffrait d'entorse cervico-dorsale au moment du début de son congé n'avait pas été contredit par une preuve médicale et qu'il était possible qu'au moment où le vidéo démontrait Monsieur Briand faire des gestes qui, selon le Dr Archambault, étaient incompatibles à une lésion cervico-dorsale invalidante, la guérison, qui avait été naturellement progressive, aurait été suffisamment avancée pour porter le Dr Archambault à ses conclusions. Me Beauchemin soumet que ceci ne démontre aucune mauvaise foi de la part du prestataire et ne contredit d'aucune façon la légitimité du congé.
Me Beauchemin souligne que les membres majoritaires du conseil ont fait erreur dans l'interprétation de la pièce 8-1. Elle souligne que, contrairement à ce qu'indiquent les membres majoritaires, le prestataire n'avait pas dit qu'il n'avait fait qu'une balade mais avait indiqué "J'ai fait que quelques balades de courte durée". C'est en effet ce que démontre la pièce 8-1. Me Beauchemin soumet de même que le prestataire n'a pas menti en indiquant qu'il n'avait rien fait qui allait à l'encontre des directives de son médecin puisqu'il croyait qu'au moment où il a fait de la motocyclette ceci ne représentait pas du travail exigeant tel que proscrit par le médecin. Il a indiqué qu'il ne croyait pas aggraver sa situation par le genre de ballades qu'il faisait.
Me Beauchemin soumet que la conduite du prestataire ne pourrait d'aucune façon être qualifiée d'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi tel que défini dans la jurisprudence qui stipule qu'une inconduite doit comprendre un élément de conduite intentionnelle ou délibérée de poser un ou des gestes à l'encontre des intérêts de l'employeur.
Soumissions de l'employeur
L'avocate de l'employeur a soumis que la décision majoritaire du conseil était bien fondée sur la preuve qui démontrait que les agissements du prestataire au cours de sa période d'invalidité constituaient une inconduite au sens de l'article 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi et que le congédiement du prestataire était directement relié à son inconduite.
Me Boisjoly relate la chronologie des congés de maladie du prestataire pour la période allant du mois de novembre 2000 au mois de juillet 2001. En novembre 2000, Monsieur Briand a subi une blessure à la main droite suite à un accident de travail, durant ce congé, il se blesse au dos en faisant de la motoneige. À cause de la blessure à la main, on avait indiqué au prestataire qu'il ne devait travailler qu'avec la main gauche. Malgré un retour au travail en mai et début juin 2001, le prestataire se voit prescrire un nouveau congé de maladie, une séquelle de l'accident de motoneige. Ce dernier congé doit s'étendre du 11 juin au 1er juillet 2001.
Me Boisjoly soumet que les agissements du prestataire en faisant de la motoneige, alors qu'il ne doit pas travailler de la main droite, ainsi que de se balader en motocyclette, alors qu'il souffre d'une entorse cervico-dorsale invalidante, démontrent chez lui un comportement extrêmement insouciant et négligent qui équivaut à de l'inconduite car il a choisi délibérément des activités incompatibles avec son état de santé prolongeant ainsi ses congés de maladie.
Me Boisjoly souligne le témoignage du Dr Archambault lors de l'audience (pages 80 et suivantes de la transcription) où ce dernier souligne les exigences au niveau dorsale de la pratique de la motocyclette, un sport qu'il a déjà pratiqué et dont il a soigné des blessés. Il mentionne (page 82) que les trois niveaux du dos sont sollicités lors de parcours en motocyclette. À la page 84, il indique que la pratique de motocyclette est contre-indiquée lorsque quelqu'un souffre d'entorse dorsale, "surtout au niveau cervico-dorsal" et il explique en détails le fondement de son opinion. Il est d'avis (page 85) qu'une personne affligée d'une telle entorse ne devrait pas pratiquer la motocyclette avant au moins deux semaines suivant la consolidation complète de la guérison.
Le Dr Archambault souligne que, si ses collègues ont indiqué qu'il y avait des entorses lombaires et cervico-dorsales, c'est qu'il y en avait au moment des examens en question mais que ces entorses devaient résulter d'activités qui avaient entraîné ces entorses (page 93). Le docteur commente le vidéo démontrant Monsieur Briand en motocyclette. Il indique que tous les mouvements de Monsieur Briand sont normaux et ne présentent aucun signe d'entorse.
Me Boisjoly souligne que les membres majoritaires du conseil se sont penchés sur la preuve et ont conclu que la preuve prépondérante était à l'effet que les balades en motocyclette effectuées par le prestataire étaient incompatibles avec son état de santé et que celui-ci aurait faussement prétendu être porteur d'une condition invalidante de sorte que ses agissements constituaient de l'inconduite au sens de la Loi.
Me Boisjoly soumet que le preuve, non contredite, indique que le prestataire lors d'un congé de maladie suite à une blessure pour laquelle on a prescrit du repos, de la physiothérapie et des anti-inflammatoires, choisit de conduire une motocyclette à de nombreuses reprises et pour des périodes dépassant plus d'une heure à au moins deux reprises. Elle souligne que le Dr Prévost avait indiqué dans son rapport en date du 28 mai 2001 (pièce 24-2 et pages 257 et 258 de la transcription) que le prestataire ne devait pas manipuler d'objets lourds, ne pas travailler dans certaines positions du tronc et ne pas faire de travaux manuels lourds. Elle souligne de même que le Dr Malenfant avait indiqué que le prestataire souffrait d'une incapacité totale pour la période du 11 juin au 1er juillet 2001. Malgré ce diagnostic et ces proscriptions, le prestataire fut observé à faire de la motocyclette avant même l'expiration de la moitié de sa période d'invalidité, une activité qui, selon le Dr Archambault est non seulement incompatible à son diagnostic mais également contre-indiquée jusqu'à ce que le guérison soit complète depuis deux semaines.
Me Boisjoly soumet qu'une personne prudente et raisonnable n'aurait pas entrepris de faire de la motocyclette alors qu'elle était en congé de maladie depuis plusieurs mois pour entorses au dos et sans même consulter un médecin. Me Boisjoly soumet qu'une telle conduite était tout au moins susceptible de compromette la guérison ou prolonger indûment l'incapacité. Elle soumet que le prestataire avait une obligation de veiller à guérir le plus tôt possible et qu'en agissant comme il l'a fait il allait à l'encontre des intérêts de son employeur, commettant ainsi une inconduite qui avait motivé son congédiement.
Me Boisjoly conclut en réitérant que la décision majoritaire du conseil est bien fondée sur la preuve et rappelle que la jurisprudence a établi que le conseil arbitral est le maître des faits et que la décision d'un conseil doit être maintenue à moins qu'il soit démontré que celle-ci est fondée sur une conclusion de faits erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance du conseil.
Réplique du prestataire
En réplique, Me Beauchemin soumet que le conseil devait s'en tenir aux motifs de congédiement indiqués dans la lettre de congédiement et que la preuve touchant la période initiale du congé de maladie en avril 2001 suite à l'accident de novembre 2000 n'était pas pertinente au litige. Elle réitère que, le prestataire n'a commis aucune inconduite en se baladant en motocyclette puisqu'il était à ce moment suffisamment guéri pour entreprendre ce genre d'activité et qu'il n'y avait aucune preuve à l'effet qu'il avait aggravé sa condition ou risqué de prolonger son incapacité.
L'interprétation jurisprudentielle de la notion d'inconduite
Malgré que la notion d'inconduite n'est pas définie dans la Loi sur l'assurance-emploi, une jurisprudence abondante s'est établi à cet égard. (Tucker (A-381-85), Brissette (A-1342-92), Secours (A-352-94), Langlois (A-94-95), Gauthier (A-6-98), Meunier (A-130-96), Eppel (A-3-95) ainsi que nombres de décisions au niveau des juges-arbitres). De cette jurisprudence on peut retirer les principes suivants:
- l'acte reproché doit avoir un caractère volontaire ou délibéré ou doit résulter d'une insouciance ou d'une négligence telle qu'il frôle le caractère délibéré;
- il doit exister une relation causale entre l'inconduite et le congédiement;
- l'acte reproché doit constituer un manquement à une obligation du prestataire envers son employeur résultant expressément ou implicitement du contrat de travail;
- il n'est pas nécessaire que le comportement reproché résulte d'une intention coupable ou frauduleuse de la part du prestataire. Il suffit que la conduite visée soit délibérée tel que défini ci-haut;
- l'inconduite doit avoir motivé le congédiement;
- la preuve de l'inconduite incombe à la Commission ou à l'employeur et repose sur la prépondérance des probabilités;
- le conseil arbitral a la compétence pour déterminer si les agissements ou omissions d'un prestataire, dans une situation donnée, constituent une inconduite au sens de la Loi.
Analyse de la décision majoritaire en égard de la Loi sur l'assurance-emploi et e la jurisprudence
La décision majoritaire est fondée sur une détermination de faits à l'effet que le prestataire aurait été congédié suite à son inconduite. L'essentiel de la décision majoritaire se retrouve dans les commentaires suivants tirés de la décision (Pièce 34-8):
- Il appert donc que l'appelant a fait la preuve que le prestataire s'est livré à certaines activités incompatibles avec le fait qu'il était porteur d'une entorse cervico-dorsale;
- ... le Conseil n'a pu que spéculer sur les conclusions à tirer, mais l'une d'elles rejoint les prétentions de l'employeur en ce que le prestataire aurait faussement prétendu être porteur d'une condition invalidante;
- Suivant les faits tels qu'ils sont prouvés devant le Conseil arbitral, celui-ci peut effectivement comprendre que l'employeur se soit senti abusé par un employé qui se serait absenté et aurait produit une réclamation d'assurance salaire sur ce qui semble être des faux motifs.
La preuve incontestée indique que le prestataire avait fondé sa demande de prestations sur un certificat médical fourni par le Dr Claude Malenfant. Au moment où il a présenté sa demande de prestations et où il a débuté sa période de prestations, la preuve incontestée indique que le prestataire souffrait d'entorse cervico-dorsale.
Comme l'indiquent les membres majoritaires, ils ne pouvaient tout au plus que spéculer sur les conclusions à tirer de la preuve fournie par les enquêteurs et du témoignage du Dr Archambault sur les agissement du prestataire entre le 20 et le 25 juin 2001 alors qu'il fait des balades en motocyclette.
Il est très possible que les agissements du prestataire lors de ses congés précédents n'étaient pas des plus prudents, mais il n'y a aucune preuve que ces agissements auraient été la cause des congés subséquents. Le prestataire avait pu reprendre son travail qui est, selon la preuve, exigeant physiquement. De plus, rien n'indique que le prestataire n'était pas apte à reprendre son travail le 2 juillet 2001, tel que prévu par le Dr Malenfant.
Tel que mentionné dans les extraits des motifs de la décision initiale de la Commission, la décision d'accorder les prestations au prestataire était fondée sur leur détermination que la preuve médicale fournie par le prestataire justifiait son absence pour la période du 11 juin au 1er juillet 2001 et qu'aucune preuve médicale n'était venu contredire ceci.
En ce qui a trait aux allégations que le prestataire aurait menti à son employeur au sujet de la fréquence et de la durée de ses balades, le prestataire avait avoué avoir fait quelques balades de courte durée, entrecoupées de périodes d'arrêt pour se reposer et marcher. Le témoignage de l'enquêteur indique que, durant la période du 20 au 25 juin 2001, le prestataire a fait des balades qui pourraient avoir dépassé une heure mais l'enquêteur reconnaît qu'il ne pouvait observer la durée totale des balades. Il reconnaît aussi que le prestataire se baladait lentement en pleine ville et faisait des pauses. Cette preuve est tout à fait aussi indicative que le prestataire avait à peu près bien décrit la nature de ses balades.
Tel qu'indiqué plus haut, la jurisprudence a bien établi que, pour constituer une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi, l'acte reproché doit avoir un caractère volontaire ou délibéré ou doit résulter d'une insouciance ou d'une négligence telle qu'il frôle le caractère délibéré. Comme l'a indiqué le prestataire devant le conseil, il ne croyait pas que ses randonnées allaient à l'encontre de la proscription de son médecin. Il avait indiqué au conseil (pièce 34-6) qu'il avait respecté ses limitations fonctionnelles et qu'il fallait faire une différence entre l'incapacité d'exercer un emploi physiquement exigeant et le fait de faire quelques balades à motocyclette.
Conclusion
Je conclus donc que le conseil arbitral a erré dans sa décision. Les membres majoritaires ont négligé de prendre en considération la preuve à l'effet que le congé de maladie du prestataire avait été motivé par une preuve médicale non contredite. Il était donc faux de conclure que le prestataire aurait faussement prétendu être porteur d'une condition invalidante. Le Dr Malenfant avait revu le prestataire le 29 juin 2001 et avait, à cette date, confirmé un retour au travail pour le 2 juillet 2001. Le prestataire avait donc fourni une preuve incontestée de la légitimité de son congé. Le conseil ne pouvait rejeter cette preuve sans avoir une preuve au contraire.
L'appel du prestataire est donc accueilli. La décision du conseil arbitral est annulée et la décision initiale de la Commission confirmée.
GUY GOULARD
JUGE-ARBITRE
OTTAWA, Ontario
Le 21 novembre 2002