• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • CUB 56558

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    Gerald O'BRIEN

    et

    d'un appel interjeté par le prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue le 20 août 2002, à Nanaimo (Colombie-Britannique)

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    Le prestataire a travaillé chez Fluor Constructors Canada Ltd du 18 avril au 5 mai 2002, date à laquelle il a été congédié. Il présenté une demande de renouvellement de prestations le 10 juin 2002 dans laquelle il a demandé que celle-ci soit antidatée afin qu'elle prenne effet le 5 mai 2002. La Commission a refusé d'antidater sa demande de prestations parce qu'elle a établi que le prestataire n'avait pas démontré qu'il avait une raison valable pour présenter une demande tardive. La demande a été établie et elle a pris effet le 2 juin 2002.

    Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant le conseil arbitral qui a rejeté son appel à l'unanimité. Il a porté en appel la décision du conseil arbitral. Au cours d'une conversation téléphonique avec un agent de la Commission (pièce 14), il a précisé qu'il ne désirait pas être entendu par le juge-arbitre, mais qu'il souhaitait qu'une décision soit rendue sur la foi du dossier.

    Le prestataire a donné trois raisons pour ne pas avoir présenté sa demande de prestations immédiatement après son congédiement : il pensait qu'il n'était pas admissible parce qu'il avait été congédié, il croyait pouvoir trouver un emploi et ne voulait pas compter sur les prestations d'assurance-emploi et il traversait une période difficile à la suite du décès de sa soeur emportée par un cancer le 4 mai 2002 (pièces 3, 5 et 7).

    Le conseil a examiné les faits et a rendu la décision suivante :

    « L'arrêt Albrecht [A-172-85] précise que pour prouver l'existence d'un motif valable, le prestataire doit démontrer qu'il a fait ce qu'aurait fait une personne raisonnable et prudente pour s'informer de ses droits et de ses obligations.

    Le conseil arbitral n'est pas insensible au décès de la soeur de l'appelant, survenu le 4 mai 2002, et lui transmet ses condoléances. Le conseil tient aussi pour avéré que l'appelant a traversé une période mouvementée, comme il l'indique dans sa lettre d'appel. Sa soeur est décédée une journée avant qu'il ne perde son emploi chez Fluor Constructors Canada Ltd.

    Le conseil arbitral constate que l'appelant se trouvait dans une situation difficile lorsqu'il a perdu son emploi, mais cela ne démontre pas qu'il avait un motif valable pour tarder à présenter sa demande renouvelée, comme l'atteste le CUB 52137 qui fait jurisprudence.

    L'appelant a aussi fait valoir dans sa demande d'antidatation qu'il ne se croyait pas admissible aux prestations parce qu'il a été renvoyé. Il a présenté sa demande de prestations plus tard, quand il a appris qu'il pouvait être admissible malgré son renvoi, à certaines conditions (pièce 3). Le conseil arbitral estime que le manque d'information de l'appelant à cet égard ne constitue pas un motif valable pour tarder à présenter sa demande. Selon l'information produite, rien n'empêchait l'appelant de présenter une demande plus tôt. Le conseil juge que l'appelant n'a pas démontré qu'il avait un motif valable pour tarder à présenter sa demande car il n'a pas entrepris de démarches pour s'informer de son admissibilité à une date antérieure.

    Le conseil arbitral estime que la Commission a établi correctement la demande de prestations renouvelée, qui a pris effet le 2 juin 2002. »

    [Traduction]

    Dans sa lettre d'appel au juge-arbitre (pièce 13), le prestataire a répété en grande partie les arguments qu'il avait présenté au conseil, soit qu'il ne pensait pas être admissible aux prestations et qu'il était bouleversé par le décès de sa soeur. Il a écrit « Ma soeur Susan souffrait d'un cancer et j'ai aidé à prendre soin d'elle, depuis lors elle est décédée. » Les faits démontrent que la soeur du prestataire est décédée le jour précédant son congédiement.

    En l'espèce, j'estime que le conseil n'a pas tenu compte de l'effet combiné des raisons invoquées par le prestataire pour avoir tardé à présenter sa demande. Un des points pertinents est le court délai qui s'est écoulé avant qu'il ne fasse sa demande et les bouleversements dans sa vie personnelle résultant du décès de sa soeur le jour précédant son congédiement. Le prestataire a indiqué qu'il n'a jamais demandé de prestations alors qu'il a travaillé pendant près de 26 ans, qu'il ne pensait pas être admissible aux prestations et qu'il croyait se trouver un autre emploi. Dès qu'il a réalisé qu'il était admissible, il a présenté une demande. Il ne l'a pas fait plusieurs mois après avoir perdu son emploi, mais à peine 5 semaines après cet événement. J'estime que le prestataire a expliqué les raisons de son retard et que celles-ci, prises ensemble, démontrent qu'il avait un motif valable pour le faire. Si l'on tient compte de la dimension sociale de la Loi sur l'assurance-emploi, on doit accorder le bénéfice du doute aux prestataires en pareilles circonstances plutôt que d'utiliser la Loi pour trouver un moyen pour refuser de leur verser des prestations. Le juge Muldoon s'est exprimé en ce sens dans la décision CUB 9958 :

    « Le Parlement n'a jamais décrété que l'ignorance de cette Loi soit une malchance de plus pour les chômeurs qui ne sont pas assez instruits, érudits ou raffinés pour présenter des demandes dans le délai prescrit. Dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit pas d'un tricheur indigne, mais d'un prestataire ordinaire et honnête qui était en retard. La politique de la Loi est d'offrir des prestations pour lesquelles les prestataires ont payé leurs cotisations et non pas chercher des excuses pour retenir ces prestations. Ici encore, dans cette perspective, l'intention du Parlement lorsqu'il a décrété le paragraphe 20(4) semble assez claire: le juge-arbitre n'a qu'à déterminer si ce prestataire, dans ces circonstances particulières, a fait valoir «un motif justifiant son retard» lorsqu'il a formulé sa demande de prestations. Chaque fois qu'il blâme un prestataire de ne pas connaître cette Loi complexe, le juge-arbitre n'est pas obligé de faire rejeter sa demande tardive. L'ignorance de la Loi, en particulier si elle est volontairement cultivée, peut fort bien jouer contre une demande tardive ou contre toute autre procédure dans laquelle il incombe au prestataire de faire valoir qu'il avait un motif valable de ne pas respecter les normes imposées par ce régime d'assurance. Ce n'est qu'un facteur que le juge-arbitre doit considérer, mais il n'exclut pas automatiquement ou inévitablement la demande de prestations tardive de la part du prestataire, car il est évident que là n'est pas l'intention du Parlement. »

    Dans la décision CUB 16498, le juge Joyal a fait des observations sur la nécessité de tenir compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer s'il existait un motif valable pour tarder à présenter une demande de prestations et, en particulier, la longueur du retard. Il a écrit ce qui suit :

    « Pour un prestataire de bonne foi, il ne suffit pas de démontrer qu'il ignorait les règles. Il doit démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable à l'égard de tous les faits. Ce principe a été clairement énoncé par la Cour d'appel fédérale dans Procureur général du Canada c. Albrecht, [1985) 1 C.F. 710. La longueur du retard peut également être prise en compte. Par exemple, le juge-arbitre en chef Jerome, a estimé que dans l'affaire Foley (CUB 12454), le fait d'attendre trois semaines pour recevoir un relevé d'emploi pouvait constituer un motif valable, décision qui était différente de celle rendue dans l'affaire Middleton (CUB 10994) où le retard pour le même motif avait été de trois mois. »

    [Traduction]

    En l'espèce, j'estime que l'effet combiné des raisons invoquées par le prestataire démontre qu'il avait un motif valable de présenter une demande tardive. Le retard d'assez courte durée, le fait que le prestataire était bouleversé par le décès de sa soeur et pensait ne pas être admissible aux prestations parce qu'il avait été congédié constituent des raisons qui ne sont pas dépourvues de fondement; en outre il a présenté sa demande dès qu'il a su qu'il pouvait être admissible.

    J'annule la décision du conseil et j'accueille l'appel du prestataire. Sa demande de prestations doit être antidatée afin qu'elle prenne effet à la date où il a perdu son emploi.

    GUY GOULARD

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 27 janvier 2003

    2011-01-16