TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Rodney VUKSAN
et
d'un appel interjeté par le prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Brantford (Ontario) le 9 janvier 2002
DÉCISION
Le juge-arbitre GUY GOULARD
Le prestataire a travaillé pour Zehrs Markets du 2 mars 1976 au 4 août 2001. Le 9 octobre 2001, il a demandé des prestations d'assurance-emploi. Le prestataire a demandé que sa demande soit antidatée de manière à avoir pris effet le 5 août 2001. Une demande initiale prenant effet le 9 octobre 2001 a été établie. La Commission a refusé d'antidater la demande parce qu'elle a déterminé que le prestataire n'avait pas montré qu'il avait un motif valable d'avoir tardé à demander des prestations. La Commission a également déterminé que le prestataire avait perdu son emploi pour inconduite et l'a exclu du bénéfice des prestations à compter du 7 octobre 2001 pour une période indéfinie. De plus, elle a déterminé que le prestataire n'était plus admissible aux prestations à compter du 5 novembre 2001 parce qu'il travaillait à plein temps depuis cette date.
Le prestataire a porté les décisions de la Commission en appel devant un conseil arbitral qui, dans une décision unanime, a accueilli l'appel relativement à l'exclusion imposée parce que le prestataire avait perdu son emploi pour inconduite mais a rejeté l'appel relativement à l'antidatation de la demande et à l'exclusion résultant du fait que le prestataire n'était pas en chômage. Le prestataire a interjeté appel de la décision du conseil devant le juge-arbitre. Le présent appel a été instruit à Hamilton (Ontario) le 10 avril 2003. Le prestataire était présent et accompagné de son avocat, M. Barry Sawyer. La Commission était représentée par Mme Melanie Toolsie.
Le prestataire a affirmé que la seule question en litige concernait l'antidatation, ayant admis qu'il n'était plus en chômage depuis le 5 novembre 2001. Le prestataire a donné deux raisons justifiant sa demande d'antidatation : il avait attendu de recevoir son relevé d'emploi et avait cru qu'il serait très peu de temps en chômage, car il s'attendait à être réintégré rapidement dans son poste. Il avait d'abord été suspendu, pour être ensuite congédié après avoir été accusé par l'employeur d'avoir volé deux tables. Un grief avait été déposé le 3 août 2001 et, en septembre, on avait décidé de recourir à l'arbitrage; une date avait été fixée à ce sujet pour la fin d'octobre. Le prestataire a été rétabli dans son poste le 5 novembre 2001.
Le prestataire a indiqué qu'il avait reçu son relevé d'emploi une semaine et demie avant de faire sa demande.
Dans sa décision, le conseil a résumé ainsi la conclusion de fait qu'il a tirée concernant l'antidatation :
« Concernant la demande d'antidatation, le prestataire affirme qu'il croyait qu'il reprendrait le travail sous peu, car il avait d'abord été suspendu et pensait que l'affaire se réglerait rapidement. Quand on lui a dit qu'il était renvoyé, il a reçu un relevé d'emploi erroné. Le relevé d'emploi modifié ne lui est parvenu qu'à la mi-septembre. À ce moment, il n'a pas non plus demandé de prestations parce qu'il ne pensait pas y être admissible. Il a ensuite parlé avec quelqu'un à DRHC qui lui a dit de faire une demande d'antidatation. »
[Traduction]
La décision du conseil contient aussi le passage suivant :
« Le conseil a examiné la preuve orale et écrite. Il conclut que le prestataire n'a pas commis le vol de tables qui a conduit à sa suspension et à son renvoi. Ayant 25 ans de service à son actif, le prestataire aurait dû savoir qu'il devait demander la permission de prendre ces tables. Quoi qu'il en soit, il les a rapportées sans tarder, avant même que la direction se rende compte qu'elles manquaient. Le conseil conclut par conséquent que le prestataire n'a pas perdu son emploi pour inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi. Le conseil conclut également que le prestataire n'a pas montré qu'il avait un motif valable au sens de l'article 10 de la Loi de tarder à demander des prestations. L'ignorance de la loi n'est pas considérée comme une circonstance atténuante. Le conseil conclut donc que la demande d'antidatation doit être rejetée. En ce qui concerne la troisième question en litige, le prestataire reconnaît qu'il avait repris le travail à temps plein le 5 novembre 2001 et qu'il ne devait pas être admissible aux prestations à partir de cette date. »
[Traduction]
En appel, le prestataire a répété que ce n'est pas par ignorance de la loi qu'il avait attendu pour demander des prestations. Il croyait sincèrement qu'il pourrait vite être rétabli dans son poste puisqu'il n'avait pas voulu voler les tables en question et que toute l'affaire allait être élucidée. Après avoir été finalement licencié et après avoir pu obtenir son relevé d'emploi, il s'est rendu au bureau de la Commission, où on lui a dit qu'il devrait demander des prestations et demander que sa demande soit antidatée, ce qu'il a fait.
En l'espèce, il est à souligner que le retard du prestataire n'a pas été très long, deux mois environ. Compte tenu du fait que les prestataires ont habituellement un mois pour présenter leur demande, le retard n'est en réalité que d'un mois environ. La raison principale pour laquelle le prestataire n'a pas demandé de prestations plus tôt est qu'il croyait avoir été renvoyé à cause d'une situation qui serait clarifiée et qu'il allait être rétabli dans son poste. C'est effectivement ce qui s'est produit, quoique le tout a pris plus de temps qu'il n'avait prévu. Le prestataire n'a pas attendu par ignorance de la loi mais parce qu'il était convaincu que sa situation se réglerait rapidement et qu'il ne serait pas en chômage, et donc qu'il n'aurait pas à demander de prestations.
Dans la décision CUB 19371, le juge-arbitre Cullen a statué que la prestataire avait montré qu'il y avait un motif valable à son retard, lequel était considérablement plus long que celui en cause dans l'affaire qui nous occupe parce que la prestataire avait fait un grief et s'attendait à obtenir pleine réparation, de sorte qu'il était inutile de demander des prestations de chômage. Cette affaire ressemblait beaucoup à celle dont je suis présentement saisi. Le prestataire croyait que son grief, déposé immédiatement après son renvoi, réglerait la situation. Voyant que les choses n'avançaient pas aussi vite qu'il aurait cru, il a demandé des prestations et l'antidatation de sa demande. Il ne s'agissait pas, rappelons-le, d'un retard exceptionnellement long, bien au contraire.
Le régime d'assurance-emploi a pour but d'aider les employés qui ont contribué à ce régime à toucher des prestations lorsque, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ils se trouvent en chômage. Des règles administratives, y compris des délais, ont été prévus dans la législation pour des raisons évidentes, par exemple l'administration efficace du régime, et aussi pour permettre à la Commission de faire enquête sur les demandes de prestations. Les dispositions concernant l'antidatation visent à permettre au prestataire d'exposer les motifs valables qu'il avait de tarder à demander des prestations. La Cour d'appel fédérale a statué que ce qui est attendu du prestataire, c'est qu'il agisse comme le ferait une personne prudente dans les mêmes circonstances.
En l'espèce, compte tenu de l'ensemble de la preuve, je suis convaincu que le prestataire a agi en personne prudente; il a déposé un grief contre son congédiement injustifié, il était convaincu qu'il serait rétabli dans ses fonctions et avait raison de le croire. Le processus a été un peu plus long qu'il n'avait prévu. Il a demandé des prestations quelques semaines passé le délai normal. L'empêcher de recevoir des prestations équivaudrait à interpréter de façon très restrictive la notion de « caractère raisonnable ». Les remarques suivantes formulées par le juge-arbitre Muldoon dans la décision CUB 9958 s'appliquent bien à la présente affaire :
« La politique de la Loi est d'offrir des prestations pour lesquelles les prestataires ont payé leurs cotisations et non pas chercher des excuses pour retenir ces prestations. Ici encore, dans cette perspective, l'intention du Parlement lorsqu'il a décrété le paragraphe 20(4) semble assez claire; le juge-arbitre n'a qu'à déterminer si ce prestataire, dans ces circonstances particulières, a fait valoir « un motif justifiant son retard » lorsqu'il a formulé sa demande de prestations. Chaque fois qu'il blâme un prestataire de ne pas connaître cette Loi complexe, le juge-arbitre n'est pas obligé de faire rejeter sa demande tardive. »
Je suis d'avis que le conseil a rendu une conclusion entachée d'erreur lorsqu'il a statué que le prestataire avait tardé à présenter sa demande par ignorance de la loi. La question n'était pas là. Il fallait en l'espèce déterminer si le prestataire avait agi de manière raisonnable. Je conclus que les faits de l'affaire et la jurisprudence susmentionnée permettent d'établir que le prestataire a agi en personne raisonnable et prudente, et qu'il a montré qu'il avait des motifs valables d'avoir tardé à demander des prestations.
Par conséquent, l'appel du prestataire est accueilli, et il est fait droit à sa demande d'antidatation.
GUY GOULARD
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 17 avril 2003