TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Jinyu Li
et
d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral le 19 septembre 2001 à Montréal (Québec)
DÉCISION
Le juge-arbitre GUY GOULARD
La prestataire a travaillé pour Confection J.F.S. Senc. du 14 février 2000 au 4 novembre 2000. Le 3 mai 2001, elle a demandé des prestations d'assurance-emploi. Elle voulait que sa demande soit antidatée de façon à prendre effet le 6 novembre 2000 (pièce 5). La Commission a rejeté la requête d'antidatation parce qu'elle a établi que la prestataire n'avait pas montré qu'il y avait une raison valable à son retard.
La prestataire a porté la décision de la Commission en appel devant un conseil arbitral qui a accueilli l'appel à l'unanimité. La Commission a interjeté appel de la décision du conseil devant le juge-arbitre. Le présent appel a été instruit le 27 février 2003 à Montréal (Québec). La prestataire était présente. La Commission était représentée par M. Sébastien Gagné.
La prestataire a expliqué qu'entre le moment où elle a perdu son emploi et celui où elle a présenté sa demande, elle avait tenté d'améliorer ses compétences et de trouver du travail.
À la pièce 7-1, la prestataire ajoute qu'il lui était arrivé beaucoup de choses pendant la période en question. Elle affirme qu'en janvier, elle a appris que quatre membres de sa famille, dont son époux, avaient été arrêtés en Chine. Elle dit être allée à Genève en mars demander de l'aide pour que son mari soit libéré ainsi que d'autres personnes détenues en Chine. À son retour, elle avait si peu d'argent qu'elle s'est rendu compte qu'elle devait demander des prestations d'assurance-emploi.
Dans sa lettre d'appel au conseil (pièce 10), la prestataire affirme ne pas avoir présenté de demande plus tôt parce qu'elle ignorait que l'appel doit être fait dans un certain délai, et qu'elle attendait son relevé d'emploi.
Il importe également de souligner que l'employeur affirme, à la pièce 8, que la prestataire a quitté son emploi en raison de problèmes relatifs à son époux et qu'elle avait dû aller à Toronto.
Dans d'autres documents versés au dossier, notamment la pièce 11, la prestataire semble établir un lien entre le sort des membres de sa famille en Chine et son droit aux prestations d'assurance-emploi. À la pièce 11, elle écrit « En outre, le motif de l'appel est que j'en appelle au nom de ma famille de mon époux, alors c'est plus important pour moi que de demander des prestations d'assurance-chômage. » [Traduction]
La décision du conseil contient le passage suivant :
« La prestataire explique au conseil que du 5 novembre 2000 et jusqu'à janvier 2001, elle a cherché des emplois. Elle a agi comme si elle était en Chine, où il n'existe pas de régime d'assurance-chômage, ce qui fait qu'elle ignorait qu'elle devait se présenter à son bureau local dans un délai de 30 jours.
En janvier 2001, elle a appris que son époux avait été arrêté en Chine et envoyé dans un camp de travail. Elle a aussi appris que trois autres membres de sa famille avaient aussi été arrêtés en tant qu'adeptes du Falun Gong. Elle n'avait pas la tête à demander des prestations.
De janvier à mars 2001, elle est allée sept jours à Ottawa et elle a préparé ses voyages à Genève tout en cherchant du travail.
Du mois de mars jusqu'au 19 avril 2001, elle a séjourné à l'étranger, se rendant à Genève pour s'occuper des problèmes en Chine.
À son retour en avril 2001, elle a voulu demander à son employeur de l'argent pour vivre, mais celui-ci était en vacances. Elle a dû attendre à la fin d'avril pour obtenir son relevé d'emploi et pour finalement demander des prestations le 3 mai 2001.
Le conseil arbitral est d'avis que l'appelante avait des raisons justifiant qu'elle ait tardé, du 5 novembre 2000 au 5 mai 2001, à demander des prestations. Le conseil accueille l'appel et annule la décision de la Commission datée du 12 juin 2001 (pièce 6). La présente décision est UNANIME. »
[Traduction]
La Commission a allégué que le conseil avait rendu une décision entachée d'une erreur de droit et de fait. Elle a invoqué à ce sujet la décision W. Albrecht (A-172-85), dans laquelle la Cour fédérale du Canada affirme que l'ignorance de la loi ne constitue pas un motif valable de tarder à présenter une demande de prestations. La Commission invoque également les décisions Larouche (A-644-93) et Caron (A-395-85), dans lesquelles on précise que pour établir qu'elle avait un motif valable de demander des prestations en retard, une prestataire doit montrer qu'elle a agi comme toute personne raisonnable l'aurait fait dans la même situation, c'est-à-dire qu'elle a vérifié quels étaient ses droits et obligations.
La Commission soutient de plus que si la prestataire était capable de chercher du travail et d'aller à l'étranger, elle était également capable de s'informer de ses droits et obligations relativement à sa demande.
Il est établi dans la jurisprudence que le critère à appliquer pour déterminer en quoi consiste un motif valable de demander des prestations en retard consiste à vérifier si la prestataire a agi comme une personne raisonnable l'aurait fait dans la même situation, et que chaque cas doit être jugé d'après les faits de l'affaire, compte tenu des circonstances spéciales qui l'entourent.
Dans la décision CUB 23862, le juge-arbitre MacKay a écrit ce qui suit :
« Le principe selon lequel l'ignorance de la loi n'est pas une excuse a longtemps été invoqué pour rejeter des demandes d'antidate [sic] et la Commission et les conseils arbitraux ont très souvent exigé une preuve quelconque démontrant que le prestataire avait été physiquement empêché de présenter une demande avant d'accorder le bénéfice des dispositions concernant l'antidatation. Heureusement, nous avons maintenant une perspective plus éclairée depuis l'affaire Procureur général du Canada contre Albrecht. Maintenant, si un prestataire a d'autres raisons valides pouvant, par exemple, comprendre l'ignorance de son droit à des prestations, il profitera encore du bénéfice des dispositions concernant l'antidatation en autant qu'il puisse démontrer qu'il a agi de façon raisonnable pour se prévaloir des droits et s'acquitter des obligations que lui confère la Loi.
La question de savoir si un prestataire a satisfait à ce critère est une question de fait qui doit être tranchée à la lumière des circonstances spéciales de chaque cause. Le principe a été appliqué dans des cas de jurisprudence subséquents de telle façon que l'on peut considérer que des prestataires qui, du fait qu'ils étaient analphabètes ou en raison d'une maladie, d'une invalidité ou d'une autre circonstance spéciale, ont présenté leur demande de prestations en retard l'ont fait pour un motif valable. »
La Cour d'appel fédérale a également établi que le juge-arbitre ne doit pas modifier la conclusion d'un conseil qui tient pour avéré, dans une affaire donnée, que le retard à demander des prestations était justifié par un motif valable, si la preuve permet de tirer une telle conclusion. Dans la décision Denise Bélanger (A-74-81), le juge Pratte s'est exprimé ainsi :
« Qu'un juge-arbitre ne peut, pour le seul motif qu'il diffère d'opinion avec un conseil arbitral, annuler une décision de ce conseil jugeant non valable le motif invoqué par un prestataire pour justifier son retard à formuler une demande de prestations. »
Le paragraphe 115(2) de la Loi sur l'assurance-emploi limite la compétence du juge-arbitre. À moins que le conseil arbitral ait omis d'observer un principe de justice naturelle, qu'il ait rendu une décision entachée d'une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le juge-arbitre doit rejeter l'appel.
Je suis incapable de conclure que le conseil arbitral a commis une telle erreur. Le conseil a examiné les différentes raisons données par la prestataire pour justifier son retard, et il a conclu que ces raisons constituaient un motif valable. On ne peut pas dire que le conseil a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Au contraire, la prestataire avait présenté des raisons personnelles importantes et crédibles justifiant son retard.
En conséquence, l'appel est rejeté.
GUY GOULARD
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 7 mars 2003