TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
Thomas LEUNG
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Burnaby (Colombie-Britannique) le 4 février 2002
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-328-03
DÉCISION
Le juge-arbitre John J. Urie
L'appelant interjette appel de la décision majoritaire du conseil arbitral qui a rejeté son appel à l'encontre de la décision d'un agent de l'assurance-emploi, selon laquelle il n'était pas admissible à des prestations du fait qu'il avait quitté son emploi sans justification. Le conseil était d'avis que son départ n'était pas la seule solution raisonnable dans son cas.
Les faits saillants sont bien établis dans les arguments de l'appelant présentés au conseil, lesquels se trouvent à la pièce 8 du dossier.
« J'étais serveur à temps partiel au Shanghai Chinese Bistro (SCB) depuis 1997 et je suis devenu technicien en câblodistribution chez Integrated Cabling Systems (ICS) après avoir obtenu en octobre 2000 mon diplôme pour le cours que j'avais suivi en télécommunications chez BCIT. Après avoir travaillé environ six mois chez ICS, j'ai constaté que je devais travailler des heures irrégulières ainsi que les fins de semaine. Afin de pouvoir poursuivre ma carrière, j'ai décidé que je devais sacrifier mon second revenu et concentrer mes efforts dans l'industrie des télécommunications. Le 28 octobre 2001, j'ai donc donné mon avis de deux semaines au Shanghai Chinese Bistro et j'ai officiellement cessé d'y travailler à la fin de la journée du 11 novembre 2001.
Mon travail chez ICS exigeait que je sois en disponibilité sept jours sur sept. Chaque matin, je devais attendre qu'on me téléphone pour me donner des ordres de travail. Le 13 novembre 2001, j'ai attendu mon ordre de travail, mais je n'ai reçu aucun appel. Le 14 novembre 2001, j'ai reçu un appel et on m'a dit que j'étais officiellement licencié et que ma dernière journée de travail avait été le 9 novembre 2001. Ce licenciement n'était pas évident pour moi puisque je travaillais 35 heures par semaine avant le 9 novembre 2001. Si j'avais su que j'allais être licencié, je n'aurais pas quitté mon emploi au SCB.
Il est évident qu'en prenant sa décision, l'agent de l'assurance-emploi n'était pas au courant de la séquence des événements puisqu'il a rejeté ma demande de prestations d'assurance-emploi. »
[Traduction]
Les membres majoritaires du conseil arbitral, après avoir examiné divers éléments de jurisprudence relatifs au respect des dispositions de l'alinéa 29c) pour prouver la justification, ont tiré les conclusions de fait suivantes :
« M. Leung a allégué qu'il travaillait presque à plein temps chez ICS lorsqu'il a donné au Shanghai Bistro un avis de deux semaines, mais sa preuve testimoniale montre qu'il a donné son avis après qu'ait été rejetée sa demande visant à obtenir davantage d'heures de travail. Nous constatons, d'après la pièce 5 et l'information de l'employeur consignée à la pièce 6, qu'il a quitté son emploi parce qu'»il voulait chercher un autre type d'emploi que celui-ci, quelque chose en électronique» [Traduction].
Les membres majoritaires du conseil tiennent pour avéré que M. Leung avait deux emplois à temps partiel : l'un au Shanghai Bistro, qu'il a quitté volontairement, et l'autre chez ICS, duquel il a été licencié le 14 novembre. Lorsque M. Leung a quitté son emploi au Shanghai Bistro, il n'avait pas l'«assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat», telle que nous l'entendons, parce que la seule assurance qu'avait M. Leung était celle d'un emploi à temps partiel sur appel et selon les disponibilités, et dont le nombre d'heures de travail variait chaque semaine.
Il existait au moins une autre solution raisonnable pour M. Leung lorsqu'il a quitté son emploi au Shanghai Bistro, soit de conserver cet emploi et d'obtenir un emploi permanent stable. Selon nous, M. Leung n'était pas obligé de quitter son emploi au Bistro au moment où il l'a fait et de la façon dont il l'a fait : il aurait pu continuer d'y travailler. M. Leung n'a pas démontré qu'il «était fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ ou son congé constituait la seule solution raisonnable dans son cas». L'appel de M. Leung ne peut être accueilli. »
[Traduction]
Par contre, le membre dissident a conclu de la façon suivante :
« Le prestataire a comparu et a présenté un témoignage selon lequel il a quitté son emploi au Shanghai Chinese Bistro Restaurant parce qu'il avait ce qu'il considérait comme un emploi stable à plein temps chez Integrated Cable Systems Inc. et qu'il souhaitait concentrer ses efforts dans l'industrie des télécommunications.
Le RE (pièce 3.1) de l'appelant indique qu'il a accumulé 645 heures au cours de la période de cinq mois et demi ayant précédé son licenciement le 16 novembre 2001. Il a décrit la méthode selon laquelle le travail était réparti, sur une base hebdomadaire. Parfois, on lui demandait de travailler le mercredi et ses heures de travail se poursuivaient jusqu'à la fin de semaine. Son horaire occasionnait parfois des conflits entre les deux emplois. En réponse à l'argument du représentant du restaurant selon lequel il aurait pu avoir un horaire variable, l'appelant a indiqué que plusieurs autres employés travaillaient au restaurant (pièce 5.2) et qu'il faisait la plus grande partie de ses heures de travail les fins de semaine.
L'appelant a ajouté que son taux salarial au restaurant était de 8 $ l'heure contre 13 $ l'heure chez Integrated. Lorsqu'il y avait un conflit d'horaires, il va de soi et on devine aisément quel emploi il choisissait.
Le membre dissident du conseil, en plus de s'appuyer sur la notion de la «personne raisonnable» exposée dans l'arrêt Tanguay (A-1458-84), dans la décision Cronk (CUB 21681) et l'arrêt Landry (A-1210-92), où l'on tient compte de toutes les circonstances, fonde sa décision sur l'arrêt 418-95 de la CAF (Ivy Larocque).
Dans l'affaire qui nous occupe, M. Leung n'a pas fait sa demande de prestations lorsqu'il a quitté son emploi au Shanghai Chinese Bistro Restaurant, mais seulement lorsqu'il a été licencié par Integrated. Les motifs de la décision du juge Marceau sont cités à la page 4 :
«Je peux tirer deux règles ou principes d'application générale de ces motifs : 1) deux emplois occupés simultanément par un prestataire doivent être traités séparément; et 2) seul l'emploi perdu par le prestataire doit être pris en compte pour le calcul des prestations.»
Le membre dissident du conseil conclut qu'il s'agit-là de l'élément pertinent de la jurisprudence qui doit s'appliquer dans la présente affaire. »
[Traduction]
La référence au motif de la décision du juge Marceau, dans la citation ci-dessus, est imputable de façon plus pertinente aux motifs du juge d'appel Robertson dans le jugement de la Cour d'appel fédérale (Attorney General of Canada v. Sears, (1995) 174 N.R. 67) où le juge s'exprime ainsi :
« Je peux tirer deux règles ou principes d'application générale de ces motifs : (1) deux emplois occupés simultanément par un prestataire doivent être traités séparément; et (2) seul l'emploi perdu par le prestataire doit être pris en compte pour le calcul des prestations. »
Dans une autre affaire, la Cour d'appel fédérale, dans Attorney General of Canada v. Larocque, (1996) 195 N.R. 316, en se fondant sur l'affaire Sears, a rejeté l'appel du procureur général à l'encontre d'une décision d'un juge-arbitre ayant accueilli l'appel à l'encontre de l'exclusion par la Commission du bénéfice des prestations d'assurance-emploi, en invoquant que la prestataire avait volontairement quitté son emploi à temps partiel sans justification.
Les faits établis en l'espèce dans le jugement de la Cour, rédigés par le juge d'appel McDonald, sont importants pour établir la validité du présent appel :
« Madame Larocque occupait deux emplois simultanément. Elle détenait un poste à temps partiel chez Intercon Security Ltd à Toronto et occupait un travail à contrat à temps plein au ministère de la Défense nationale. En août 1993, Mme Larocque a quitté son emploi chez Intercon. Après avoir déménagé à Angus (Ontario), pour rejoindre son conjoint de fait, elle a réalisé que le trajet vers Toronto chaque week-end était à la fois épuisant et économiquement irréalisable. Elle n'a pas demandé de prestations d'assurance-chômage lorsqu'elle a quitté Intercon. Le 19 septembre 1993, l'emploi de Mme Larocque à la Défense nationale a pris fin en raison du manque de travail. Après avoir perdu cet emploi, Mme Larocque a demandé des prestations d'assurance-chômage le 27 septembre 1993. Sa demande a été rejetée pour le motif qu'elle avait quitté volontairement son poste chez Intercon sans justification. Cette décision a été maintenue à l'unanimité par le conseil arbitral. Mme Larocque a interjeté appel au juge-arbitre, qui lui a donné gain de cause. Invoquant la jurisprudence de cette Cour, le juge-arbitre a conclu que deux emplois détenus simultanément devraient être traités séparément sous le régime de la Loi sur l'assurance-chômage. »
Même si des parties différentes sont en cause, il est des plus évident que les faits dans l'affaire qui nous occupe et dans l'affaire Larocque sont remarquablement semblables. En l'espèce, l'emploi de M. Leung était un emploi à temps partiel chez deux employeurs. Il avait travaillé pendant un certain nombre d'années au Shanghai Chinese Bistro Restaurant et, après son diplôme du Collège, il a travaillé longtemps chez Integrated Cabling Systems Inc. (ICS) et il a souhaité concentrer ses efforts dans ce secteur de l'industrie des télécommunications. Comme l'a fait remarquer le membre dissident du conseil, le RE (pièce 3.1) de l'appelant indique qu'il a accumulé 645 heures au cours d'une période de cinq mois et demi avant d'être licencié le 16 novembre 2001. Comme il est indiqué plus loin dans la décision du membre dissident, l'appelant a décrit la méthode de répartition de son travail, sur une base hebdomadaire. Son employeur au Shanghai Bistro avait indiqué qu'il voulait travailler davantage et qu'il avait quitté son emploi pour cette raison, mais ce n'est pas ce qu'a déclaré l'appelant dans son témoignage. Il a déclaré, dans son avis d'appel au juge-arbitre, qu'en septembre 2001 ses heures de travail chez ICS et le nombre de lieux de travail à l'extérieur de la ville avaient augmenté, et il avait cru que ICS lui donnait la possibilité d'être responsable des lieux de travail et augmentait ses heures. Comme il a été indiqué précédemment, l'appelant a déclaré avoir donné un avis de deux semaines au Shanghai Bistro et avoir cessé d'y travailler le 11 novembre. Lorsqu'il a comparu devant moi, il a déclaré que le lendemain de sa démission au Bistro était un jour de congé et que le 14 novembre, ICS l'avait informé qu'il était licencié, en raison d'une pénurie de travail, mais qu'il serait réembauché plus tard lorsqu'il y aurait davantage de travail. L'appelant a en outre déclaré, tel qu'indiqué précédemment, que durant la période de cinq mois ayant précédé son licenciement, il avait travaillé pendant 40 heures ou plus par semaine, comme il est fait mention dans la décision du membre dissident. Nonobstant cette indication pouvant être vérifiée, la Commission a conclu que l'appelant n'avait travaillé que pendant 38 heures jusqu'à ce qu'il soit licencié en raison d'une pénurie de travail.
Je reviens au jugement dans l'affaire Larocque, à la page 318, dans lequel le juge McDonald a ajouté ce qui suit :
« À mon avis, cette disposition (paragraphe 59.1(1) du Règlement) n'exclut pas Mme Larocque du bénéfice des prestations sur le fondement du temps passé à la Défense nationale. Je suis d'avis que l'article 59.1(1) du Règlement (depuis abrogé) ne fait que préciser de quel emploi il est question à l'article 28 (maintenant alinéa 29c)). Le «dernier emploi» dont il est question aux fins de l'exclusion est le dernier emploi que le prestataire a quitté volontairement, sans justification. Dans le cas de Mme Larocque, c'est l'emploi chez Intercon. Or, Mme Larocque n'a pas demandé de prestations après avoir quitté son emploi chez Intercon. Elle n'a demandé de prestations qu'après avoir perdu son emploi à la Défense nationale. Elle n'a pas quitté volontairement ce poste, ni ne l'a-t-elle perdu en raison de sa propre inconduite. Pour cette raison, ni l'article 28 de la Loi, ni le paragraphe 59.1(1) du Règlement ne s'appliquent à la perte de son second emploi. À mon avis, Mme Larocque est admissible aux prestations. »
Le juge McDonald a fait ensuite remarquer que cette décision était semblable à des décisions qu'il avait précédemment rendues. Il fait plus particulièrement référence à la décision dans Attorney General of Canada v. Fortin, (1989) 109 N.R. 385 (C.A.F.), dans laquelle le juge Marceau a cité l'extrait auquel j'ai fait précédemment référence, rédigé par le juge Robertson dans l'affaire Sears. Il a donc poursuivi en faisant remarquer que rien dans la Loi n'indique que des emplois occupés en même temps doivent être traités comme un seul emploi. Selon lui, Mme Larocque ne devrait pas être pénalisée parce qu'elle est une travailleuse acharnée.
Selon moi, les mêmes considérations s'appliquent dans la présente affaire. M. Leung n'a pas fait de demande de prestations après avoir quitté son emploi au Shanghai Bistro et il n'a fait une demande de prestations qu'au moment où il a perdu son emploi chez ICS. Le fait qu'il n'occupait qu'un emploi à temps partiel chez ICS est sans importance lorsqu'il s'agit d'établir quel était son emploi aux fins de la demande de prestations. Ce qui ressort, c'est que tout indiquait qu'il allait être appelé de façon régulière comme il l'avait été au cours des cinq derniers mois et demi et qu'il pouvait compter sur la poursuite de ce type d'emploi. Ce n'est que trois jours après avoir quitté le Shanghai Bistro qu'il a constaté qu'il avait été licencié.
Puisqu'il en est ainsi, je suis d'avis que la décision du membre dissident du conseil, dans le cas qui nous occupe, est à privilégier et qu'elle est fondée en droit, et que l'appel devrait être accueilli. En conséquence, l'appel est accueilli. La décision des membres majoritaires du conseil arbitral est annulée. La question est renvoyée à la Commission afin qu'elle prenne la décision appropriée compte tenu des motifs susmentionnés.
John J. Urie
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 14 mai 2003