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  • CUB 59126

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    Andrew DECOURCY

    et

    d'un appel interjeté par le prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral le 28 octobre 2002 à Sault Ste. Marie (Ontario)

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    Le prestataire a travaillé pour la Société des loteries de l'Ontario du 7 août 2001 au 15 août 2002. Le 6 septembre 2002, il a demandé des prestations d'assurance-emploi. Une demande initiale prenant effet le 19 août 2002 a été établie à son profit. La Commission a déterminé par la suite que le prestataire avait perdu son emploi pour inconduite et l'a exclu du bénéfice des prestations pour une période indéfinie qui débutait le 19 août 2002.

    Le prestataire a porté la décision de la Commission en appel devant un conseil arbitral qui a rejeté l'appel à l'unanimité. Il a ensuite interjeté appel de la décision du conseil devant le juge-arbitre. Le présent appel a été instruit à Sault Ste. Marie (Ontario) le 22 octobre 2003. Le prestataire était présent. La Commission était représentée par M. Derek Edwards.

    La seule preuve relative à l'inconduite présumée du prestataire se trouve aux pièces 6 et 8. La voici dans son intégralité :

    « J'ai communiqué avec Lucy Pulkkinen, des Ressources humaines. Elle a dit que tous les employés sont mis au courant des politiques et procédures au moment de leur embauche. Le prestataire a été renvoyé parce qu'il a enfreint une politique de l'entreprise. Il a utilisé les ressources de l'entreprise pour son usage personnel (courriel) ».

    [Traduction]

    « J'ai parlé avec Cheryl Rancourt, gestionnaire des ressources humaines à la Société des loteries de l'Ontario. Elle a répété que lorsqu'un employé est embauché, on le met au courant des politiques et procédures de l'entreprise, et qu'on l'avise des conséquences qu'entraînerait une utilisation abusive des ressources de l'entreprise, comme le courrier électronique ou Internet. On a cru que le prestataire utilisait le courrier électronique et Internet pour son usage personnel. On a fait enquête et on a établi que le prestataire utilisait le courrier électronique et Internet pour mener son entreprise personnelle, p. ex. pour commander des fournitures. Le prestataire a donc été congédié. »

    [Traduction]

    Le prestataire a reconnu avoir utilisé le courrier électronique de l'employeur pour son usage personnel mais il a expliqué que 95 % des employés en faisaient autant. Il a nié l'avoir utilisé pour les besoins de son entreprise puisqu'il avait une adresse Internet distincte pour celle-ci. Il a affirmé avoir été congédié sans préavis, ce qui l'a surpris puisqu'il avait eu de bonnes évaluations et venait tout juste de recevoir une augmentation de salaire. Il a cru que son renvoi était davantage lié à une enquête policière qu'à son utilisation du courrier électronique. Il a dit que la police avait fait enquête sur une question sans rapport avec son emploi mais que des agents s'étaient rendus à son lieu de travail pour examiner son ordinateur. Aucune poursuite n'a été intentée à la suite de l'enquête policière. Le prestataire a pris un avocat afin d'intenter une poursuite pour congédiement injustifié et il poursuit également la police, qu'il estime responsable de l'enquête sans fondement ayant conduit à son congédiement.

    Le prestataire s'est présenté devant le conseil, mais pas l'employeur. La décision du conseil contient le passage suivant :

    « M. DeCourcy travaillait pour la Société des loteries et des jeux de l'Ontario lorsqu'il a été renvoyé en raison du non-respect d'une politique de l'entreprise. Lorsque les employés sont embauchés, on leur expose les politiques et les procédures de l'entreprise. On leur indique aussi quelles seront les conséquences d'une utilisation indue des ressources de l'entreprise, comme le courrier électronique ou Internet. L'employeur soupçonnait M. DeCourcy d'utiliser le courrier électronique et Internet à des fins personnelles. Le prestataire croit que l'employeur a décidé de mener une enquête à l'interne après avoir appris que les services de police de la ville avaient visité son lieu de travail et son domicile. Il croit aussi que l'employeur ne l'a plus vu de la même manière après l'enquête de la police. Selon M. DeCourcy, les deux enquêtes n'étaient pas liées. La Commission a conclu que les activités du prestataire constituaient une inconduite au sens de la Loi.

    CONSTATATION DES FAITS ET APPLICATION DE LA LOI : Dans la décision CUB 28819, le juge arbitre déclare ce qui suit : « un employeur a le droit d'exiger de ses employés qu'ils respectent certaines normes d'honnêteté et de fiabilité. Lorsqu'un employeur découvre qu'un employé s'est conduit d'une façon qui amène l'employeur à douter que l'employé possède ces qualités personnelles, le renvoi pour inconduite, même sans préavis, est justifié. » En l'espèce, il semble que l'employeur en est arrivé à la même conclusion, soit que M. DeCourcy a utilisé les ressources de l'entreprise pour ses affaires personnelles. Le conseil conclut que M. DeCourcy a contrevenu à la politique de l'entreprise au sujet de l'utilisation des ressources de l'entreprise à des fins personnelles. »

    Devant moi, le prestataire a repris ce qu'il avait présenté dans le dossier d'appel et dans ses exposés au conseil. Il a redit qu'il n'avait pas utilisé l'ordinateur de l'entreprise pour ses affaires personnelles. Il a expliqué que son entreprise personnelle était de très petite envergure et qu'il n'aurait pas eu besoin d'utiliser l'ordinateur ou le courrier électronique de l'employeur pour ses affaires personnelles. Il s'est dit convaincu que son congédiement n'était pas lié à son utilisation du courrier électronique de l'entreprise, puisque la chose était pratique courante et acceptée au travail. Il croit fermement que son congédiement était une conséquence directe de l'enquête policière, laquelle n'avait rien avoir avec son travail.

    Je conclus que la décision du conseil comporte deux lacunes fondamentales.

    Premièrement, le conseil a omis de prendre en considération la preuve et les exposés du prestataire, et il s'est fié uniquement à la preuve de l'employeur, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle était très fragmentaire. L'employeur n'a donné aucun exemple ni aucun détail de l'utilisation que le prestataire aurait faite du courrier électronique ou d'autres biens de l'entreprise. Le conseil s'est contenté d'affirmer que l'employeur soupçonnait le prestataire d'utiliser le courrier électronique et Internet à des fins personnelles. Le prestataire a nié avoir utilisé à mauvais escient le courrier électronique ou Internet sur l'ordinateur fourni par l'employeur. Le conseil n'a pas dit pourquoi il avait rejeté les arguments du prestataire.

    Aux termes du paragraphe 114(3) de la Loi sur l'assurance-emploi, il faut que la décision du conseil comprenne un exposé des conclusions tirées par le conseil sur les questions de faits. Ce paragraphe est ainsi libellé :

    114(3) La décision d'un conseil arbitral doit être consignée. Elle comprend un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles.

    Dans la décision Parks (A-321-97), le juge Strayer a dit ce qui suit :

    « Nous sommes tous d'avis que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de se conformer au paragraphe 79(2). En particulier, nous sommes d'avis qu'il incombait au conseil de dire, au moins brièvement, qu'il a rejeté des parties cruciales de la preuve du demandeur et d'expliquer pourquoi il a agi ainsi. En l'espèce, le conseil disposait de plusieurs documents de l'employeur qui constituaient des éléments de preuve de la nature du ouï-dire. Le témoignage par affidavit et les déclarations orales du réclamant devant le conseil étaient incompatibles, sous plusieurs aspects, avec des documents. Le conseil s'est contenté de faire état de ses conclusions sans expliquer pourquoi il a préféré une version des événements à l'autre. Même si en vertu de l'interprétation que nous donnons au paragraphe (2), nous n'estimons pas que le conseil arbitral soit tenu de décrire en détail ses conclusions de fait, nous sommes d'avis que, pour se conformer à ce paragraphe, le conseil arbitral doit, lorsque la crédibilité fait l'objet d'une question litigieuse, dire au moins brièvement, dans le cadre de ses « conclusions [...] sur les questions de fait essentielles », qu'il rejette certains éléments de preuve sur ce fondement et pourquoi il a rejeté ces éléments. Lorsqu'il omet d'agir ainsi, il commet une erreur de droit. »

    Dans la décision McDonald (A-297-97), le juge Linden s'est exprimé ainsi :

    « Il faut absolument que le conseil arbitral aborde soigneusement les points litigieux réellement soulevés devant lui, et qu'il explique ses conclusions dans un raisonnement cohérent et logique. Tout ce qui est moindre est inacceptable. »

    Et dans la décision Boucher (A-270-96), le juge Hugessen a écrit :

    « Le conseil arbitral avait à choisir entre deux versions des faits. La première, avancée par la Commission, était appuyée par les versions des employeurs et par des déclarations apparemment données par le prestataire à un agent de la Commission et consignées par écrit par ce dernier. La seconde était appuyée par le témoignage du prestataire lui-même rendu à l'audience. Dans sa décision le conseil s'exprime ainsi:

    « ... les membres du conseil arbitral ayant conclu que la crédibilité du prestataire étant davantage reconnue que celle de l'employeur, acceptent l'appel du prestataire...« Nulle part dans cette décision n'est-il question des déclarations antérieures du prestataire ni de leur incompatibilité avec son témoignage à l'audience. On ignore si le conseil les a considérées et, le cas échéant, pour quelle raison il les a rejetées.

    [...]

    Nous sommes d'accord. Le conseil arbitral ne pouvait pas ignorer les déclarations contradictoires données par le prestataire. Bien sûr il avait le droit de les écarter mais il ne l'a pas fait. »

    En l'espèce, il incombait au conseil d'expliquer pourquoi il rejetait la preuve du prestataire au profit de la preuve vague et non corroborée de l'employeur concernant l'inconduite présumée. Voilà la première lacune fondamentale de la décision rendue par le conseil.

    Deuxièmement, le conseil a établi qu'« il semble que l'employeur en est arrivé à la même conclusion, soit que M. DeCourcy a utilisé les ressources de l'entreprise pour ses affaires personnelles ». La « même conclusion » à laquelle le conseil fait allusion concerne la décision qu'un conseil arbitral avait rendue dans la décision CUB 28819. Dans l'affaire en question, le prestataire travaillait comme opérateur sur ordinateur pour son employeur, une coopérative de crédit. Il était devenu toxicomane et pour trouver l'argent nécessaire à sa dépendance, il avait fait des détournements par virement bancaire. Le conseil avait statué que ces actes déplacés et contraires à l'éthique revêtaient un caractère personnel lié à la toxicomanie du prestataire, et qu'il ne s'agissait donc pas d'inconduite. Le juge-arbitre avait accueilli l'appel interjeté par la Commission, estimant que le prestataire avait de toute évidence commis un geste très grave en détournant de l'argent par virements bancaires. Ce geste ne pouvait que miner la confiance de l'employeur envers l'employé. Cette conduite était incompatible avec une relation de travail durable, d'autant plus que l'employeur était une institution financière. Il est intéressant de noter, relativement à la présente affaire, que le juge-arbitre avait alors précisé dans ses motifs que le fait d'enfreindre une politique de l'employeur ne constitue pas nécessairement de l'inconduite. Voici ce qu'avait écrit le juge Reed :

    « Comme je l'ai indiqué, ce ne sont pas toutes les infractions à une politique de l'entreprise qui constituent un acte d'inconduite au sens donné à ce terme par la Loi sur l'assurance-chômage. Toutefois, une conduite non conforme à une relation de travail durable constituera une inconduite. »

    Dans la présente affaire, rien n'indique ce qu'impliquait le non-respect de la politique et en quoi cela pouvait avoir nui à la relation employeur-employé.

    La deuxième erreur du conseil a été de fonder sa décision concernant l'inconduite uniquement sur l'opinion que l'employeur avait de la conduite du prestataire. Le conseil n'a pas conclu de lui-même que les gestes du prestataire constituaient de l'inconduite. Il aurait d'ailleurs eu du mal à tirer cette conclusion puisque rien n'indiquait en quoi consistaient les actes présumés, à l'exception des allégations de l'employeur selon lesquelles le prestataire avait enfreint sa politique en utilisant le courrier électronique et les services Internet de l'entreprise.

    Il est établi dans la jurisprudence qu'on doit prouver qu'il y a eu réellement inconduite; le conseil ne peut se contenter de constater que l'employeur est arrivé à la conclusion que le prestataire s'est rendu coupable d'une certaine inconduite (CUB 19112, 19010, Joseph (A-636-85), Jewell, (1995), 175 N.R. 350 (FCA), Choinière (A-471-95)).

    Dans la décision CUB 43356, le juge Blais, citant la jurisprudence établie par la Cour d'appel fédérale, a affirmé ce qui suit :

    [...] à la lumière des décisions de ce tribunal, qui en de nombreuses occasions récentes a répété que c'était une erreur que de penser un seul instant que l'opinion de l'employeur concernant l'existence d'une inconduite qui justifierait le renvoi pourrait suffire à déclencher la sanction, maintenant si sévère, de l'article 28, et qu'au contraire, une évaluation objective était nécessaire, suffisante pour dire que l'inconduite était en fait la cause de la perte de l'emploi. »

    Par conséquent, l'appel est accueilli et la décision du conseil est annulée. Compte tenu des éléments contenus dans le dossier d'appel, qui étaient les seuls éléments présentés au conseil, je conclus que rien ne permet d'établir que le prestataire s'est rendu coupable d'inconduite au sens qui en est donné dans la jurisprudence bien établie à ce sujet. Je vais rendre la décision que le conseil aurait dû rendre. L'appel interjeté par le prestataire à l'encontre de la décision de la Commission est accueilli.

    GUY GOULARD

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 7 novembre 2003

    2011-01-16