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  • CUB 59367

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    Anne GREER

    et

    d'un appel interjeté par la prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral le 8 janvier 2003 à Pembroke (Ontario)

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    La prestataire a travaillé pour Value Village Stores Inc. du 29 juillet 1999 au 27 juillet 2002. Le 20 août 2002, elle a demandé des prestations d'assurance-emploi, indiquant qu'elle avait quitté son emploi pour des raisons de santé. Le même jour, elle a également fait une demande de prestations de maladie. Une demande initiale prenant effet le 28 juillet 2002 a été établie à son profit. La Commission a déterminé par la suite que la prestataire avait quitté son emploi sans justification, et que son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable dans son cas. Elle a exclu la prestataire du bénéfice des prestations pour une période indéfinie qui commençait le 22 juillet 2002.

    La prestataire a porté la décision de la Commission en appel devant un conseil arbitral qui a rejeté l'appel. Elle a ensuite interjeté appel de la décision du conseil devant le juge-arbitre. Le présent appel a été instruit à Pembroke (Ontario) le 8 décembre 2003. La prestataire était présente, et la Commission était représentée par Mme Monica Lozinska.

    Dans sa décision, le conseil a noté les points suivants tirés de la preuve :

    La décision du conseil est ainsi formulée :

    « Le conseil estime que bien qu'il soit possible que la prestataire ait eu un motif valable pour quitter son emploi, aucun élément de preuve sérieux ne permet de déterminer qu'elle était fondée à poser ce geste.

    Le conseil estime que la prestataire n'a posé aucun geste pour lui permettre de trouver un autre emploi tandis qu'elle travaillait pour Value Village.

    La prestataire n'a présenté aucun document écrit relativement à la raison d'ordre médical qui l'a incitée à quitter son emploi.

    DÉCISION

    Le conseil rejette l'appel, à l'unanimité. »

    Dans sa longue lettre d'appel au juge-arbitre (pièce 20), la prestataire dit avoir eu l'impression que le conseil avait déjà pris sa décision avant d'entendre son exposé. Elle a expliqué qu'elle avait lu son exposé au conseil à partir d'un texte qu'elle avait préparé et dans lequel elle faisait l'historique de ses problèmes de santé depuis le début de son emploi chez Value Village, mais que le conseil n'en avait pas fait mention dans sa décision.

    Elle a affirmé dans sa lettre que si elle n'avait pas pu obtenir de certificat médical concernant les problèmes de santé liés à son milieu de travail, c'est parce qu'il lui avait été impossible de trouver un médecin de famille à North Bay et que, par conséquent, elle n'avait pas réussi à trouver un médecin qui lui fournisse un certificat médical. Elle a ajouté qu'elle n'avait pas été en mesure de chercher du travail avant de quitter son emploi parce qu'elle avait été constamment malade du mois d'octobre 2001 jusqu'à son départ. Elle a expliqué que si elle était restée en poste aussi longtemps, c'est parce qu'elle avait besoin d'argent et qu'elle espérait obtenir une augmentation en juillet 2002. Elle a ajouté qu'elle ne pouvait plus prendre aucun congé parce qu'elle avait épuisé tous ses congés de maladie. Elle a dit qu'après être déménagée à Pembroke, elle avait réussi à trouver un médecin de famille qui avait confirmé sa maladie, mais il n'était pas en mesure d'attester de la situation dans laquelle elle se trouvait à North Bay puisqu'il ne la traitait pas à ce moment-là. Elle a fait valoir qu'elle ne devrait pas être pénalisée pour les problèmes liés au système de soins de santé qui ont fait qu'elle a été incapable de trouver un médecin de famille à North Bay. La prestataire a fourni un double des notes qu'elle avait lues au conseil dans son exposé. Elle a souligné qu'elle ne pouvait fournir de transcription de l'audience tenue devant le conseil puisque celle-ci n'avait pas été enregistrée.

    Devant moi, la prestataire a dit qu'elle n'avait pas grand-chose à ajouter à ce qu'elle avait déclaré dans sa lettre d'appel, mais elle a répété qu'elle avait quitté son emploi en raison de problèmes de santé liés à cet emploi. Elle a affirmé qu'elle avait épuisé ses congés de maladie et qu'elle avait dû déménager à Pembroke pour vivre avec sa famille. Elle a répété ce qu'elle avait dit au sujet de la difficulté qu'elle avait eue à trouver un médecin de famille et du fait qu'elle avait dû s'en remettre aux consultations externes. Elle a ajouté qu'elle ne pouvait pas reprendre cet emploi parce que l'endroit était trop préjudiciable à sa santé.

    La Commission a reconnu que la prestataire avait quitté son emploi pour des raisons de santé mais indiqué que celle-ci n'avait pas à démissionner puisque d'autres solutions raisonnables s'offraient à elle, par exemple demander un congé. La Commission a également fait valoir que la prestataire n'avait pas fourni de certificat médical indiquant qu'elle avait dû mettre fin à son emploi pour des raisons de santé. La Commission a donc prétendu que le conseil avait fondé sa décision sur les éléments portés à sa connaissance et sur l'article 29 de la Loi sur l'assurance-emploi tel qu'il est interprété dans la jurisprudence.

    J'estime que le conseil a omis de prendre en considération des éléments importants du témoignage de la prestataire. Le conseil a conclu que la prestataire n'avait fait aucun effort pour trouver un emploi avant de quitter celui qu'elle avait. La prestataire avait expliqué qu'elle n'avait pas cherché d'emploi avant de démissionner parce qu'elle était trop malade pour cela. Cette affirmation est corroborée par le fait que la prestataire a été en congé de maladie du 23 juillet au 2 août 2002, comme en atteste un certificat médical (pièce 6). Elle a mis fin à son emploi pendant cette période. Il s'agissait de sa deuxième absence au travail en six mois. Elle a présenté des notes médicales datées du 8 et du 11 octobre 2002 attestant qu'elle avait été examinée pour que soit déterminée la nature de sa maladie, et qu'elle serait incapable de reprendre le travail tant que le problème n'aurait pas été diagnostiqué et traité. La pièce 13 est formée d'un certificat médical indiquant que la prestataire avait un problème de santé depuis le 29 juillet, qu'elle avait été vue par deux médecins, et que l'auteur du certificat avait vu la prestataire pour la première fois le 18 septembre 2002. Aucune date prévue de rétablissement n'est indiquée dans le rapport.

    La prestataire a expliqué qu'elle n'avait d'autre choix que de quitter son emploi. Elle ne pouvait continuer de travailler à cet endroit en raison de ses problèmes de santé persistants, et elle avait dû aller vivre chez ses parents parce qu'elle n'avait pas les moyens de vivre ailleurs. Elle a affirmé qu'elle ne pouvait pas chercher d'autre emploi parce qu'elle était trop malade pour cela et trop malade pour travailler. Son congé de maladie avait été approuvé.

    Même s'il faut habituellement un certificat médical indiquant que la prestataire a dû quitter son emploi en raison de problèmes de santé créés par le milieu de travail pour prouver que cette prestataire était fondée à quitter son emploi, il est établi que ledit certificat n'est pas essentiel dans certains cas (CUB 14805 et CUB 18965). Dans la décision CUB 18965, le juge a écrit ce qui suit, relativement à une affaire qui présente certaines similitudes avec l'affaire qui nous occupe, car la prestataire en question souffrait également de problèmes pulmonaires aggravés par le milieu de travail :

    « Le genre de preuve médicale qu'il faut pour établir la justification du départ dépend des "faits et circonstances de [l'] affaire" (CUB 14805). Par exemple, dans le cas de la décision CUB 14805, la prestataire était fondée à quitter son emploi sans avoir d'abord obtenu de certificat médical, sachant que son ulcère allait en s'aggravant à cause du mauvais caractère de son patron, alors qu'elle prenait déjà des médicaments pour son ulcère. Dans la présente affaire, les troubles respiratoires de M. Richardson avaient été diagnostiqués en février 1988, et il prenait depuis des bronchodilateurs de façon régulière. »

    [Traduction]

    En l'espèce, Mme Greer avait eu deux pneumonies dans les mois qui ont précédé son départ. Elle était à nouveau en congé pour les mêmes raisons. Son médecin a affirmé qu'elle était absente du travail depuis le 29 juillet 2002 pour cause de maladie. La prestataire a soutenu que ses problèmes étaient causés par le milieu de travail. Elle a dit qu'elle avait demandé l'aide d'un médecin et expliqué pourquoi elle n'avait pas pu obtenir de certificat médical. Il s'agit d'une explication plausible, à une époque où l'accès aux services médicaux est limité. Les rapports médicaux qu'elle a fournis ont confirmé ses problèmes médicaux mais ne pouvaient établir de lien entre ceux-ci et les conditions d'emploi qui existaient quelques mois auparavant.

    La prestataire indiquait, dans l'exposé écrit qu'elle dit avoir lu au conseil, que son employeur était parfaitement au courant de sa situation et qu'il n'avait proposé aucun moyen d'y remédier, par un congé ou autrement. Elle a continué de travailler pour cet employeur jusqu'à ce qu'elle retombe malade et décide qu'elle ne pouvait plus garder ce poste à cause de son état de santé. Pour paraphraser le juge Teitelbaum (CUB 18965), plutôt que de pénaliser la prestataire, il faudrait la féliciter d'avoir gardé son emploi aussi longtemps, même si cela s'est révélé dommageable pour sa santé.

    Je conclus donc que le conseil n'a pas pris en considération l'ensemble de la preuve présentée par la prestataire et qu'il n'a pas tenu compte de toutes les circonstances qui avaient amené la prestataire à quitter son emploi. Conclure que la prestataire n'a pas montré qu'elle était fondée à quitter son emploi au sens de l'alinéa 29c) de la Loi reviendrait à forcer les travailleurs qui vivent dans des régions où l'accès aux services de santé est limité à continuer pendant un temps indéfini à travailler dans des conditions préjudiciables à leur santé.

    Je vais rendre la décision que le conseil aurait dû rendre à la lumière des éléments qui lui avaient été présentés. L'appel de la prestataire est accueilli, et la décision du conseil est annulée.

    GUY GOULARD

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 22 décembre 2003

    2011-01-16