TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Gino PLAMONDON et autres
et
d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Timmins (Ontario) le 19 mars 2003
DÉCISION
Le juge-arbitre GUY GOULARD
Il s'agit d'un appel représentatif. Il concerne le prestataire, Gino Plamondon, et les 15 personnes dont les noms sont énumérés à la pièce 13 du dossier d'appel.
Le prestataire a travaillé pour Levesque Plywood Ltd du 21 mai au 14 décembre 2002. Le 10 janvier 2003, il a présenté une demande de prestations de chômage, indiquant qu'il avait perdu son emploi en raison d'une pénurie de travail. Une demande initiale a été établie pour la période commençant le 15 décembre 2002. La Commission a plus tard déterminé que le prestataire n'était pas admissible au bénéfice des prestations d'assurance-emploi parce qu'il avait perdu son emploi en raison d'un arrêt de travail relié à un conflit collectif. La Commission l'a déclaré inadmissible au bénéfice des prestations à compter du 16 décembre 2002.
Le prestataire a porté la décision de la Commission en appel devant le conseil arbitral, lequel a accueilli l'appel à l'unanimité. La Commission a porté la décision du conseil en appel devant le juge-arbitre. Cet appel a été instruit à Timmins (Ontario) le 30 septembre 2003, en présence du prestataire représenté par son avocat, M. Paul O'Ryan. La Commission était représentée par M. Edwards Derek.
Dans cette affaire, le prestataire a concédé qu'il avait perdu son emploi en raison d'un arrêt de travail relié à un conflit collectif mais soutenu qu'il ne devait pas être déclaré inadmissible au bénéfice des prestations aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, car il était exclu de l'application de cette mesure aux termes du paragraphe 36(4) de la Loi.
Les deux paragraphes en question sont libellés comme suit :
36.(1) Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations avant :
a) soit la fin de l'arrêt de travail;
b) soit, s'il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable.
36.(4) Le présent article ne s'applique pas si le prestataire prouve qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé.
Le conseil a conclu que le prestataire avait le droit de toucher ses prestations de chômage parce qu'il faisait partie des travailleurs exclus de l'inadmissibilité aux termes du paragraphe 36(4) de la Loi. Après examen de la preuve, le conseil a conclu comme suit :
« Le conseil conclut que le prestataire et ses collègues doivent être exemptés de l'inadmissibilité parce qu'il reconnaît que les cotisations syndicales versées par le prestataire ne constituent un financement direct de la grève parce que ce dernier n'a aucun contrôle sur leur utilisation par la section locale ou le syndicat. Le conseil conclut également que les cotisations syndicales sont obligatoires pour les employés à temps partiel afin de conserver leur emploi. Rien ne prouve que ces cotisations servent à appuyer la grève. Le conseil reconnaît aussi que le prestataire n'a aucun intérêt direct dans le conflit collectif parce qu'il n'a aucun des droits d'un employé mis en disponibilité et que ses heures de travail sont fixées par son employeur et précisées dans la lettre d'accord. Il peut tout au plus avoir un intérêt très indirect dans le conflit (CUB 14585). »
La Commission a avancé que le conseil avait commis une erreur de droit et de fait quand elle a déterminé que le prestataire n'avait pas d'intérêt direct dans le conflit collectif qui avait entraîné la perte de son emploi. C'est le seul motif d'appel invoqué par la Commission.
La Commission a dit que le prestataire était directement intéressé dans l'issue du conflit de travail pour les raisons suivantes :
Le représentant du prestataire a soutenu que les avantages pour le prestataire que la Commission évoquait dépendaient entièrement de la décision de l'employeur de les embaucher par rappel. Il a souligné que le salaire des employés à temps partiel n'était pas fixé dans la convention collective et que la seule mention d'employé à temps partiel dans la lettre d'entente indiquait que l'employeur avait le droit d'en embaucher pour remplacer des employés à plein temps dans certaines situations. Il n'y avait aucune garantie que des employés à temps partiel seraient embauchés ni aucune indication du genre d'emploi qu'ils pourraient obtenir ou du salaire auquel ils auraient droit. Il a été souligné que les employés à temps partiel touchaient le salaire minimum prévu à la convention collective mais qu'il n'y avait nulle obligation de la part de l'employeur de verser ce salaire, ni même de l'augmenter si la convention collective prévoyait une augmentation du salaire des employés partie à cette convention. Le représentant du prestataire a soutenu que le prestataire se retrouverait dans la position où il était avant le conflit de travail, c'est-à-dire totalement soumis au bon plaisir de l'employeur pour ce qui serait d'être rappelé au travail, de la quantité de travail qui serait attendue de lui et du salaire qui lui serait versé pour ce travail. Voilà qui établissait clairement, a-t-il soutenu, que le prestataire n'avait aucun intérêt direct dans le conflit de travail et que la décision du conseil était dûment fondée sur la preuve qui lui avait été présentée.
En l'espèce, les faits, considérés dans la perspective d'avantages éventuels pour le prestataire découlant du conflit de travail, sont dans une large mesure semblables aux situations factuelles relatées dans les décisions CUB suivantes : Cole (CUB 14021), Mensforth (CUB 12900), Cormier (CUB 14585), et Baronnette (CUB 19771). Dans Baronette (CUB 19771), le juge en chef adjoint Jerome a écrit ce qui suit :
« À mon avis, la simple possibilité d'être rappelé au travail selon le bon plaisir de l'employeur ne suffit aucunement pour constituer en l'espèce un "intérêt direct" dans le conflit collectif. Je conclus que l'emploi subséquent du prestataire ne résultait pas d'un contrat subsistant avec la région et, quoi qu'il en soit, j'estime qu'il n'est pas approprié de décider rétrospectivement que parce qu'il a éventuellement été réembauché, il existait plus qu'une simple possibilité de rappel au moment où il a été licencié. Je trouve également appui dans les observations faites par Madame la juge Wilson, au nom de la Cour, dans l'arrêt Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1.R.C.S.2, à la page 10 :
Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.
J'accepte l'argument du prestataire voulant que, conformément au raisonnement de la Cour Suprême du Canada dans les arrêts Abrahams et Hills, les mots "directement intéressé" soient interprétés étroitement de façon à ne pas rendre inadmissibles les victimes innocentes de conflits collectifs et ne pas aller au-delà de l'objectif de la politique d'éviter que les fonds d'assurance-chômage servent à subventionner les parties à ces conflits. »
De son côté, le juge McNair, dans la décision Mensforth (CUB 12900), a écrit ce qui suit :
« La question de l'intérêt direct des prestataires dans le conflit collectif reste beaucoup plus litigieuse. Les prestataires disent qu'ils ne l'étaient pas. La Commission soutient qu'ils l'étaient, même s'ils n'étaient pas membre du syndicat et que leurs conditions d'emploi n'étaient pas régies par la convention collective. À l'appui de cela, la Commission fait valoir la politique du collège de fonder la rémunération des enseignants sessionnels sur celle négociée par le syndicat en vertu de la convention collective. Cela ne saurait constituer en soi un 'intérêt direct' au conflit collectif. Au contraire, il s'agirait plutôt d'un 'intérêt indirect', surtout si l'employeur n'est pas obligé de maintenir la parité entre les salaires des employés syndiqués et non syndiqués. En outre, l'échelle de salaire des enseignants sessionnels faisait l'objet de négociations particulières et la simple existence d'une ligne directrice recommandant qu'elle soit comparable à celle des membres du syndicat ne suffit pas, à mon avis, pour établir un lien direct entre les salaires et le conflit collectif. L'expression « directement intéressé » n'est pas définie par la Loi de sorte que toute détermination touchant ce point est une pure question de fait et dépend de toutes les circonstances. Le contrat des enseignants sessionnels était tout à fait distinct de la convention collective. Le fait saillant est que la question sur laquelle portait le conflit collectif était la charge de travail et non pas l'échelle de salaire. Il n'existait pas de preuves d'une politique du collège qui établissait un lien, direct ou indirect, entre la charge de travail des enseignants sessionnels et celle du personnel syndiqué. À mon avis, les prestataires remplissaient la troisième condition du paragraphe 44(2) du fait qu'ils n'étaient pas « directement intéressés au conflit collectif ». Le conseil ne s'est pas trompé sur ce point. »
Comme il est indiqué dans la décision Mensforth, la décision à rendre sur la question de savoir si un prestataire a ou non un intérêt direct dans un conflit de travail est une pure question de fait qu'il faut examiner en tenant compte de toutes les circonstances particulières à l'affaire. Il a été établi sans équivoque dans la jurisprudence que le conseil arbitral est le principal juge des faits dans les affaires relevant de l'assurance-emploi.
Dans l'arrêt Guay (A-1036-96), le juge Marceau a écrit ce qui suit :
« Nous sommes tous d'avis, après ce long échange avec les procureurs, que cette demande de contrôle judiciaire portée à l'encontre d'une décision d'un juge-arbitre agissant sous l'autorité de la Loi sur l'assurance-chômage se doit de réussir. Nous pensons, en effet, qu'en contredisant, comme il l'a fait, la décision unanime du conseil arbitral, le juge-arbitre n'a pas respecté les limites dans lesquelles la loi assoit son pouvoir de contrôle. »
Et dans l'arrêt Ash (A-115-94), la juge Desjardins a écrit ce qui suit :
« Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire, et l'opinion minoritaire, avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. Le juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. »
Voir également le récent arrêt de la Cour d'appel fédérale relativement à l'entreprise Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01).
La compétence du juge-arbitre est limitée par le paragraphe 115(2) de la Loi sur l'assurance-emploi. À moins que le conseil arbitral ait omis d'observer un principe de justice naturelle, qu'il ait commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments qui lui ont été présentés, le juge-arbitre est tenu de rejeter l'appel.
La Commission n'a pas démontré que le conseil arbitral avait commis une telle erreur. Au contraire, la décision du conseil est dûment fondée sur les faits qui lui ont été présentés.
En conséquence, l'appel est rejeté.
GUY GOULARD
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 20 octobre 2003