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  • CUB 59881

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    CHARON HUNNIFORD

    et

    d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Burnaby (Colombie-Britannique) le 23 avril 2003

    DÉCISION

    Le juge-arbitre David G. Riche

    La question portée en appel est de savoir si la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

    Devant le conseil arbitral, la Commission a allégué que la prestataire avait été exclue à juste titre parce qu'elle avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle avait lancé un emballage de viande au commis-boucher, à la suite de la demande d'un client. La prestataire s'est excusée pour son geste, mais le client n'a pas accepté ses excuses. Selon toute vraisemblance, le client avait demandé qu'on lui coupe la viande en des portions plus petites et lorsque la prestataire avait refusé, le client avait insisté en disant qu'à d'autres occasions on avait acquiescé à sa demande. Devant l'insistance du client, la prestataire a lancé la viande au commis-boucher afin qu'il la sépare en portions plus petites.

    La Commission a fait remarquer que la prestataire avait reçu un avertissement en septembre 2002 et qu'à une autre occasion elle avait été suspendue pour des incidents au travail en décembre 2002. Son renvoi en février 2003 est survenu à la suite de l'incident lié à la demande de coupe de viande du client.

    La prestataire a déclaré devant moi et devant le conseil arbitral que son comportement avait été exagéré. Apparemment, elle avait eu des relations difficiles avec le gérant des viandes qui s'était mal comporté avec elle, l'intimidant et lui posant d'étranges questions. La prestataire a déclaré devant le conseil arbitral que le gérant des viandes refusait de diviser des paquets à moins que la demande ne vienne d'un bon client. Toute cette attitude du gérant des viandes causait un certain stress à la prestataire.

    À un certain moment, la prestataire a demandé sous le sceau de la confidentialité à la Workers' Compensation Board d'examiner les conditions qui prévalaient à son lieu de travail. Elle a également communiqué avec le ministère des Normes du travail et le ministère de la Santé au sujet des conditions de travail s'appliquant au système d'emballage des viandes. Elle a indiqué au conseil arbitral que le médecin lui avait recommandé de se rendre à la Workers' Compensation Board parce qu'il croyait qu'elle pouvait souffrir d'asthme professionnel. Elle a informé son employeur de ses démarches avant de signaler ces conditions. Par la suite, la tension s'est accentuée au lieu de travail et une note a été affichée, où il était question d'elle et de ses démarches. Elle trouvait que la situation était très tendue à son travail et elle serait partie si ce n'avait été de l'argent qu'elle y gagnait.

    La prestataire a également fait la démonstration devant le conseil arbitral de la façon avec laquelle elle avait envoyé l'emballage de viande au commis-boucher et le conseil arbitral a dû tirer une conclusion sur la façon dont cela s'était produit. La prestataire a fait remarquer que la viande n'a pas été lancée, mais envoyée au commis-boucher afin qu'il la coupe. Elle a admis cependant qu'elle a effectivement perdu son calme à quelques reprises en raison de l'ambiance qui prévalait à son lieu de travail.

    La prestataire a également admis devant le conseil arbitral qu'elle s'était momentanément emportée et qu'elle l'avait regretté par la suite. Elle a essayé de s'excuser auprès du client, mais celui-ci n'a pas accepté ses excuses et s'est plutôt adressé au gérant pour se plaindre.

    Le conseil a rendu à la majorité une décision favorable à la prestataire en invoquant que la preuve formulée par les deux parties s'équilibrait et qu'il devrait donc pencher en faveur de la prestataire. En outre, il a constaté que la prestataire avait une fiche de travail sans tache jusqu'à ce qu'on la pousse à faire des choses qu'elle a plus tard regrettées. De plus, le conseil arbitral a tenu compte du fait qu'il y avait des problèmes dans le milieu de travail et que la prestataire les avait signalés à la Workers' Compensation Board.

    Le conseil arbitral a également conclu que la prestataire n'avait pas volontairement créé une situation pouvant avoir des répercussions négatives sur le client. Il a jugé que ni l'employeur ni la Commission n'ont réussi à apporter des preuves valables.

    Le conseil a déterminé à la majorité que le comportement de la prestataire ne pouvait être considéré comme répréhensible, ce qui aurait entraîné des problèmes pour l'employeur. Les membres majoritaires ont tenu pour avéré que le geste d'envoyer l'emballage de viande au commis-boucher n'était pas ce qu'avait décrit la Commission, qui avait plutôt affirmé que cet emballage avait été lancé.

    Le conseil arbitral a ensuite fait référence à l'arrêt Meunier (A-130-96) de la Cour d'appel, dans lequel il est écrit que : « ... l'inconduite n'est pas un simple manquement de l'employé à n'importe quelle obligation liée à son emploi; c'est un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement. Il est acquis, également, qu'il appartient à la Commission de faire la preuve, selon la balance des probabilités, que les conditions d'application sont remplies. Il est acquis, enfin, qu'il faut une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi, ... »

    Le membre dissident du conseil a conclu que les gestes de la prestataire étaient insouciants au point de revêtir un caractère délibéré et qu'ils comportaient donc les éléments essentiels de l'inconduite, telle que définie par la jurisprudence aux termes de l'article 31 de la Loi.

    J'ai examiné la question et je conclus qu'il est malheureux que la prestataire n'ait pas accordé toute l'importance voulue à ses difficultés au travail au point de quitter son emploi et d'être fondée à le faire, ou encore de prendre des mesures autres que celle de continuer à travailler dans un milieu hostile. Il est toutefois évident que sa décision de déclarer son employeur à la Workers' Compensation Board ainsi qu'au ministère de la Santé et aux Normes du travail a fait en sorte qu'elle s'est retrouvée dans une situation très difficile au travail. Je reconnais qu'il n'est pas inhabituel que des personnes qui ont des principes s'empêchent de prendre une position qui, quoique légitime, n'est pas appuyée par la majorité des autres employés, parce qu'elles n'ont peut-être pas la détermination de faire valoir leurs droits ou principes. Dans l'affaire qui nous occupe, il ne fait aucun doute que la prestataire a agi de façon inappropriée avec le client lorsqu'elle a d'abord refusé de faire couper sa viande comme il le demandait. Il faudrait cependant reconnaître que ce n'était pas la politique de l'employeur d'accepter de le faire de façon régulière. Il ne le faisait que pour ses bons clients. Une telle politique pouvait entraîner des problèmes.

    Je fais également remarquer que la prestataire s'est excusée auprès du client et qu'elle a fait certains efforts à cet égard dans l'espoir que ses excuses seraient acceptées. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Je ne connais aucunement la conduite du client et je ne sais pas si ses gestes ont été raisonnables dans les circonstances. Nous sommes tous différents les uns des autres et certaines personnes sont plus exigeantes que d'autres. Le conseil a beaucoup insisté sur le fait que la prestataire avait reçu un avertissement en septembre et avait été suspendue en décembre, avant d'être renvoyée en février. On peut examiner cette situation de deux façons : la première peut montrer la mauvaise conduite de la prestataire, et la seconde, que la prestataire subissait la pression et les comportements inappropriés de ses employeurs et des dirigeants de l'entreprise où elle travaillait.

    Le conseil arbitral avait examiné les éléments de preuve portés à sa connaissance et la majorité des membres avait conclu que les gestes de la prestataire avaient été tels qu'ils ne l'avaient pas convaincu qu'ils entraînaient des difficultés pour son employeur. À la lecture de leur décision, il me semble que les membres du conseil ont jugé que le geste de la prestataire, c'est-à-dire envoyer l'emballage de viande afin de le faire séparer, après qu'elle eut dit au client que d'habitude on ne le faisait pas, n'était pas suffisant pour qu'ils concluent à l'inconduite.

    Dans ces circonstances, je ne crois pas qu'il convienne que je substitue ma décision d'après la preuve à celle du conseil arbitral. Ce dernier a jugé que la prestataire avait envoyé l'emballage de viande au commis-boucher afin qu'il fasse des portions individuelles. En outre, elle s'est excusée auprès du client pour avoir au départ refusé d'accéder à sa demande. Le conseil arbitral a conclu que ce geste n'était pas suffisant pour être considéré comme un geste de nature insouciante au point de revêtir un caractère délibéré et donc d'aller à l'encontre des intérêts de son employeur. Même s'il s'agissait d'un incident regrettable, le conseil n'a pas jugé que ce geste pouvait constituer de l'inconduite. En concluant que les éléments de preuve des deux parties étaient aussi valables les uns que les autres, le conseil a rendu une décision en faveur de la prestataire. Je ne crois pas cependant que je devrais intervenir pour modifier la décision du conseil puisqu'il avait pu compter sur les arguments des témoins et que les éléments de preuve présentés pouvaient raisonnablement appuyer cette décision. Le conseil arbitral a manifestement jugé que l'écart de conduite momentané de la prestataire envers le client n'était pas suffisant pour constituer de l'inconduite au titre de la législation et de la jurisprudence.

    Pour ces motifs, je suis convaincu que je ne dois pas modifier la décision du conseil arbitral et je rejette l'appel de la Commission.

    David G. Riche

    JUGE-ARBITRE

    St. John's (Terre-Neuve)
    Le 30 janvier 2004

    2011-01-16