TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Julio SPATZNER
et
d'un appel interjeté par le prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Mississauga (Ontario) le 6 février 2003
DÉCISION
Le juge-arbitre GUY GOULARD
Le prestataire a présenté une demande de prestations renouvelée qui a pris effet le 9 septembre 2002. Il a demandé que sa période de prestations soit antidatée pour qu'elle commence le 11 mars 2002. La Commission a déterminé que le prestataire n'avait pas de motif valable d'avoir tardé à présenter sa demande et a refusé l'antidatation.
Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant le conseil arbitral, qui a refusé l'appel dans une décision rendue à la majorité. Il a porté en appel la décision du conseil. J'ai instruit cet appel à Toronto, en Ontario, le 23 janvier 2004, en présence du prestataire, qui était accompagné de son fils, Pablo Spatzner.
Le prestataire a expliqué qu'il n'avait pas renouvelé sa demande immédiatement après que son appel d'une décision antérieure de la Commission eut été accueilli en mars 2002, parce qu'il avait appelé la Commission à plusieurs reprises sans réussir à obtenir de renseignements. De mars à septembre 2002, le prestataire était également affligé par le deuil, puisqu'il avait perdu sa femme en mars.
Voici un extrait de la décision par laquelle la majorité du conseil a rejeté l'appel du prestataire :
« La lettre du médecin ne fournit aucune preuve ou déclaration concernant les effets du deuil sur le prestataire. Deuxièmement, le prestataire a appelé la Commission à plusieurs reprises pour s'informer de l'état de sa demande et on lui a dit que sa demande n'était pas active. Une personne raisonnable se serait présentée dans un bureau de la Commission pour savoir pourquoi sa demande n'était pas active, surtout si elle avait besoin d'argent. »
[Traduction]
Le membre dissident a noté dans ses motifs que le médecin du prestataire avait confirmé que le prestataire avait été affligé par le deuil de mars à septembre 2002 et qu'il avait appelé la Commission pendant cette période. Le prestataire a fourni les numéros qu'il avait composés. Il a signalé que la Commission ne lui avait pas envoyé de cartes de déclaration après que le conseil eut accueilli son appel en mars 2002.
Le membre dissident s'est exprimé en ces termes :
« Je constate également que la Commission n'a pas aidé le prestataire en lui indiquant la marche à suivre après la décision du 19 mars 2002 et qu'elle ne lui a pas envoyé de cartes de déclaration. D'après l'entretien que j'ai eu avec la Commission, je constate que la période de prestations du prestataire aurait pu commencer plus tôt si la Commission lui avait offert d'antidater sa demande pour qu'elle prenne effet le 1er septembre et si elle avait réparti son indemnité de départ plus tôt et prolongé ensuite sa période de prestations. Même si le conseil n'a pas à se prononcer sur ces questions aujourd'hui, cela démontre que la Commission n'était pas disposée à aider le prestataire dès le départ. J'espère que cela n'empêchera pas le prestataire de réclamer plus tard les prestations auxquelles il pourrait avoir droit. »
[Traduction]
Dans les observations écrites qu'elle a présentées au conseil (pièce 10-1), la Commission a indiqué que le prestataire n'avait fait aucun effort pour produire ses cartes de déclaration ou pour se renseigner avant de faire renouveler sa demande le 18 septembre 2002. Le document indique également que le prestataire a dit à la Commission qu'il s'attendait à recevoir des formulaires, qu'il avait appelé à plusieurs reprises et qu'on lui avait dit que son dossier n'avait pas été modifié.
Je suis parfaitement d'accord avec le membre dissident : la Commission n'a rien fait pour aider le prestataire dans cette affaire. Même si l'appel du prestataire avait été accueilli, le statut du prestataire n'avait toujours pas été modifié dans son dossier. Le prestataire a essayé à plusieurs reprises de se renseigner, mais en vain.
Il est bien établi dans la jurisprudence que, pour démontrer qu'il avait un motif valable de tarder à présenter sa demande de prestations, le prestataire doit prouver qu'il a agi comme une personne raisonnable l'aurait fait (Larouche (A-644-93), CUB 42135). Le juge-arbitre déclare ce qui suit dans le CUB 42135 :
« Le test à appliquer pour établir si un prestataire a un motif valable pour retarder la présentation de sa demande est de voir ce qu'une personne raisonnable et prudente aurait fait dans les circonstances. »
J'estime que la majorité du conseil n'a pas tenu compte de toute la preuve présentée par le prestataire. Ce dernier a produit un certificat médical au sujet du deuil qui l'affligeait. Comment aurait-on pu demander au prestataire de décrire en détail l'effet que le deuil avait pu avoir sur lui? Comme l'a écrit Iris Murdoch dans Amour profane, amour sacré (1974), le deuil est une affliction tout à fait incompréhensible pour qui n'a pas connu le deuil. Dans son autobiographie, Mark Twain déclare que cela prend à l'esprit et à la mémoire des mois, voire des années, à rassembler tous les détails de la perte et à en connaître toute l'étendue. De plus, la majorité du conseil a ignoré le fait que le prestataire avait essayé à plusieurs reprises, durant cette période difficile de sa vie, de se renseigner auprès de la Commission.
J'estime que la décision rendue par la majorité du conseil est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Le prestataire a essayé de se renseigner à plusieurs reprises et il était affligé par la mort de sa femme à l'époque où la décision d'un conseil l'a rendu admissible à des prestations. Il s'attendait à recevoir des cartes de déclaration, qu'il n'a jamais reçues. À mon avis, il est impossible de ne pas reconnaître qu'il a agi comme une personne prudente et raisonnable l'aurait fait.
Par conséquent, j'accueille l'appel du prestataire et j'annule la décision rendue par la majorité du conseil.
Guy Goulard
Juge-arbitre
OTTAWA (Ontario)
Le 30 janvier 2004