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  • CUB 60715

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    John BAILEY

    et

    d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue le 16 juin 2003 à Longueuil (Québec)

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    Le prestataire a présenté une demande initiale de prestations, qui a pris effet le 21 mars 2002. Le 17 février 2003, le prestataire a reçu la somme de 8 000 $ pour le règlement de trois plaintes déposées contre son employeur. La Commission a déterminé que le montant reçu constituait une rémunération au sens du paragraphe 35(2) du Règlement sur l'assurance-emploi et l'a réparti à partir de la date de cessation d'emploi, soit le 10 mars 2002. L'exercice s'est soldé par un versement excédentaire de 1 540 $, que l'employeur était tenu de déduire du montant à verser au prestataire.

    Le prestataire a porté en appel la décision de la Commission devant le conseil arbitral qui, dans une décision unanime, a accueilli l'appel. La Commission a interjeté appel de la décision du conseil. L'appel a été instruit le 7 avril 2004, à Montréal (Québec). Le prestataire n'a pas assisté à l'audience, mais était représenté par Me Michael Cohen.

    Cet appel a été instruit en même temps que celui de M. Andrzej Trzebski car les faits et les questions en litige étaient identiques.

    FAITS

    Les faits dans cette affaire sont les suivants : à la suite de son congédiement, le prestataire a déposé trois plaintes en vertu de l'article 15 du Code du travail du Québec pour contester les mesures prises par l'employeur à son endroit.

    Le 17 février 2003, le prestataire et l'employeur sont parvenus à une entente à l'amiable à propos des plaintes déposées. Les modalités de l'entente à l'amiable énoncées ci-après revêtent de l'importance pour la question faisant l'objet de l'appel :

    1. « En contrepartie de la cessation d'emploi de l'employé le 14 mars 2002, l'employeur versera à l'employé la somme de huit mille dollars (8 000 $), dont il aura déduit les retenues prescrites par la loi. Cette somme est versée à l'employé parce qu'il a pris la décision de renoncer à son droit d'être réintégré dans son emploi après avoir déposé la plainte mentionnée précédemment, et de renoncer à ses droits en ce qui concerne les plaintes à l'égard de sa mise à pied et d'autres mesures.
    1. Par conséquent, l'employeur ne pourra faire aucune déduction pour le remboursement des prestations d'assurance-emploi que le prestataire a touchées.
    1. Cependant, l'employeur, avant de verser la somme due aux termes de la présente entente, doit s'assurer auprès des autorités compétentes de Développement des ressources humaines Canada (DRHC) que, dans les circonstances, il n'est pas tenu de faire de déductions.
    1. Dans un délai de cinq (5) jours ouvrables suivant la réception d'une réponse de DRHC, l'employeur versera la somme due à l'employé en conformité avec la présente entente.
    1. Au cas où DRHC exigerait le remboursement de prestations d'assurance-emploi, l'employeur versera la somme due à l'employé dans le même délai, moins le montant exigé par DRHC. L'employé se réserve le droit de contester une telle décision de DRHC. »

    [Traduction]

    QUESTION FAISANT L'OBJET DE L'APPEL

    Il s'agit de déterminer si la somme de 8 000 $ versée au prestataire en vertu des modalités de l'entente ci-dessus constituait une rémunération au sens du paragraphe 35(2) du Règlement sur l'assurance-emploi, rémunération qui devait être répartie conformément au paragraphe 36(10) du même Règlement.

    POSITION DU PRESTATAIRE

    Selon le prestataire, comme la somme lui a été versée uniquement parce qu'il a accepté de renoncer à son droit d'être réintégré dans son emploi, elle ne constitue pas une rémunération comme l'a établi la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Plasse (A-693-99) et Meechan (A-140-03).

    POSITION DE LA COMMISSION

    La Commission soutient que la somme a été versée dans le cadre de l'entente mentionnée précédemment pour dédommager le prestataire de la perte de son emploi; par conséquent, il s'agissait d'une rémunération découlant d'un arrêt de rémunération et la somme devait être répartie.

    DÉCISION DU CONSEIL

    La décision du conseil se lit en partie comme suit :

    « Le conseil arbitral a analysé le dossier d'appel et les témoignages entendus à l'audience et conclu que l'argent provenant de l'entente ne constituait pas un revenu assurable et n'avait aucune incidence sur la demande d'assurance-emploi du prestataire. Le conseil arbitral comprend toutefois que cet arrangement visait à faire s'équilibrer deux choses : 1) la décision du prestataire de renoncer à son droit d'être réintégré dans son emploi ainsi que 2) sa décision de renoncer à son droit relatif à toute autre plainte. Rien dans la preuve n'indique comment on a réparti entre ces deux éléments le montant établi dans l'arrangement. Considérant ces faits, le conseil arbitral a décidé de donner au prestataire le bénéfice du doute.

    Décision

    Le conseil arbitral considère à l'unanimité que le montant de 8 000 $ versé au prestataire en tant qu'entente à l'amiable n'a pas d'incidence sur sa demande de prestations d'assurance-emploi. Dans les circonstances, le conseil arbitral accueille l'appel du prestataire et rejette la décision de la Commission. »

    EXPOSÉ DE LA COMMISSION DEVANT LE JUGE-ARBITRE

    Dans son appel, la Commission a soutenu que le conseil avait commis une erreur dans son interprétation de la jurisprudence applicable, notamment la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Plasse (A-693-99) qui, de l'avis de la Commission, était fondée sur la conclusion suivant laquelle le prestataire avait établi le droit distinct d'être réintégré dans son emploi. La Commission a fait valoir que, dans la présente affaire, il n'y avait aucune preuve qui démontrait que le prestataire jouissait d'un droit de réintégration et qu'il n'avait donc pu renoncer à un tel droit en échange d'un dédommagement. La Commission a ajouté que, selon les modalités de l'entente conclue entre le prestataire et son employeur, la somme avait été versée au prestataire pour qu'il renonce également à ses droits concernant d'autres plaintes contre son employeur. La Commission a précisé également que selon les modalités de l'entente, notamment les paragraphes 4 et 5, le prestataire et l'employeur reconnaissaient que la somme de 8 000 $ visée par l'entente pourrait constituer une rémunération qui devrait être répartie. La Commission a soutenu que le prestataire n'avait pas réussi à démontrer, tel qu'établi par les arrêts Tetreault (A-527-85), Harnett (A-34-91) et Wilson (A-232-94), que la somme versée n'était pas un dédommagement pour la perte de son emploi.

    EXPOSÉ DU PRESTATAIRE DEVANT LE JUGE-ARBITRE

    L'avocat du prestataire a fait valoir que l'entente indiquait clairement, par ses termes explicites, que les parties reconnaissaient l'existence d'un droit de réintégration, auquel le prestataire a choisi de renoncer en contrepartie d'une somme de 8 000 $. L'avocat a souligné la similarité entre les faits de la présente affaire et ceux de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Meechan (A-140-03), dans laquelle le conseil s'était fondé sur les modalités de l'entente entre la prestataire et l'employeur ainsi que sur le témoignage de la prestataire pour conclure que la somme avait été versée à titre d'indemnisation pour la renonciation de la prestataire à son droit de réintégration. Il n'y a eu aucune conclusion établissant de part et d'autre l'existence d'un droit de réintégration. Dans cette affaire, la Cour a infirmé la décision du juge-arbitre qui avait accueilli l'appel de la Commission. L'avocat a donc fait valoir que la décision du conseil était fondée sur la preuve et la jurisprudence.

    ANALYSE ET DÉCISION

    Lorsqu'elle a infirmé la décision du juge-arbitre dans l'affaire Meechan (précitée), la Cour a déclaré ce qui suit :

    « Nous reconnaissons que le conseil arbitral n'était aucunement lié par la décision de la commission d'arbitrage. Nous reconnaissons également que le fait que les parties aient qualifié les dommages-intérêts accordés n'est pas concluant. Cependant, il paraît que des témoignages ont été entendus par le conseil arbitral et nous ne pouvons conclure qu'il était déraisonnable pour lui d'accepter le témoignage soumis par la demanderesse, portant que les dommages-intérêts accordés visaient à l'indemniser pour la renonciation à son droit de réintégration. En fait, il semble y avoir eu peu d'éléments de preuve, s'il y en a eu, portant que les dommages-intérêts accordés aient pu viser à indemniser la demanderesse de quelque chose d'autre. En particulier, le conseil arbitral ne semble pas avoir été saisi d'éléments de preuve indiquant que les dommages-intérêts accordés visaient à indemniser la demanderesse de sa perte de revenu.

    La Cour dans l'arrêt Canada c. Plasse, [2000] A.C.F. no 1671, au paragraphe 18, a décidé qu'un paiement reçu pour la renonciation à un droit de réintégration ne constituait pas une rémunération au sens du Règlement sur l'assurance-emploi. Le conseil arbitral s'est référé à cet acte législatif pertinent et récent et l'a appliqué correctement. Il y a lieu de noter que le juge-arbitre ne s'est pas référé à ce règlement. »

    Dans sa décision, le conseil a cité et accepté l'allégation suivante faite par l'avocat du prestataire : « la somme de 8 000 $ versée [au prestataire] se rattachait exclusivement à sa décision de renoncer à son droit d'être réintégré dans son emploi [...]. »

    Dans l'affaire Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a déclaré que le rôle d'un juge-arbitre se limitait à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec la preuve dont ce dernier était saisi.

    En l'espèce, le conseil a examiné la preuve, y compris les modalités de l'entente, et accepté l'argumentation du prestataire, qui s'est appuyé sur les déclarations de l'avocat suivant lesquelles la somme avait été versée au prestataire à titre d'indemnisation pour sa décision de renoncer à son droit de réintégration. Le conseil avait tout le loisir d'exiger d'autres éléments de preuve, mais il a conclu qu'il en avait suffisamment pour rendre sa décision.

    Je conclus que la décision du conseil est, à tout le moins, raisonnablement compatible avec la preuve dont il a été saisi.

    Par conséquent, l'appel est rejeté.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 27 avril 2004

    2011-01-16