TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande présentée par
CHERYL GRIFFIN
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à Kingston (Ontario) le 28 novembre 2003
DÉCISION
Le juge DOUGLAS CAMPBELL
Le présent appel est présenté par la prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral (« le conseil ») rendue le 28 novembre 2003, dans laquelle le conseil a rejeté la demande de prestations de chômage de la prestataire au motif qu'elle n'était pas fondée à quitter volontairement son emploi au sens du sous-alinéa 29c)(ii) parce qu'elle avait une autre solution raisonnable que celle-là. À mon avis, pour les raisons exposées plus loin, le conseil a fait une conclusion erronée parce qu'il n'a pas fondé sa décision sur la preuve.
La véracité des circonstances exposées par la prestataire en ce qui concerne la question de la justification n'est pas contestée. Voici les explications intégrales justifiant son appel devant le conseil (pièce 8-1) :
« J'interjette appel de ce refus car, bien que j'aie démissionné volontairement de mon emploi le plus récent chez Homestead Oxygen & Medical Equipment le 29 août 2003, je l'ai fait pour déménager dans une nouvelle région avec mon mari.
Mon mari a travaillé pendant deux ans comme conducteur de camion grand routier pour une entreprise à l'extérieur de Mississauga (Ontario). Il faisait un trajet de deux heures pour se rendre à son lieu de travail et il n'est venu à la maison qu'une fois par semaine pendant probablement 85 % de cette période. Il arrivait habituellement tard le vendredi soir (et parfois aux petites heures du matin le samedi) et repartait à 9 h le dimanche matin. Après deux ans de ce genre de trajets, et après que je lui eus demandé plusieurs fois d'être plus souvent à la maison, il a décidé qu'il devait faire quelque chose pour obtenir un horaire de travail plus acceptable.
En déménageant à Smith Falls, il a pu obtenir de son entreprise un itinéraire où il terminait sa semaine avec un trajet Ottawa\Gatineau qui lui permettait de revenir à la maison très tôt le vendredi matin et d'y demeurer jusqu'au dimanche soir. »
[Traduction]
Il ressort donc clairement que la prestataire a quitté son emploi principalement parce que la vie qu'elle menait avec son mari était devenue intolérable à cause des conditions d'emploi de ce dernier. Il a bien essayé de les faire modifier, mais en vain. Par conséquent, voici le plan qu'a envisagé le couple pour modifier ses conditions de vie :
1. La prestataire et son mari ont décidé de s'établir à Ottawa et de quitter Lindsay en Ontario où la prestataire travaillait et habitait avec son mari. Le mari de cette dernière était sûr de trouver un emploi dans le transport par camion immédiatement après le déménagement.
2. comme la prestataire travaillait à temps plein, elle a estimé qu'il était impossible de chercher un nouvel emploi dans la région d'Ottawa avant de quitter celui qu'elle avait à Lindsay. De plus, le couple a décidé qu'il était inutile que la prestataire cherche un nouvel emploi avant d'établir leur lieu de résidence dans la région d'Ottawa, puisqu'elle désirait travailler à proximité de son lieu de résidence.
3. Dès qu'ils auraient acheté une nouvelle maison, la prestataire se mettrait immédiatement à la recherche d'un emploi, et une fois qu'elle en aurait eu un, son mari aurait quitté son emploi et aurait cherché du travail à proximité de leur nouveau lieu de résidence.
[Traduction]
Voici les événements qui se sont produits au cours de la réalisation de leur projet :
1. La prestataire a donné son avis à Lindsay en mai 2003, la date de démission projetée étant la fin août. Par conséquent, son employeur a commencé à chercher une personne pour la remplacer.
2. Le couple a mis sa maison en vente à Lindsay et l'a vendue au cours de la longue fin de semaine de juillet 2003, la date de transfert de la propriété devant être le 26 septembre. La prestataire a demandé à son employeur si elle pouvait demeurer en poste jusqu'à la fin de septembre, mais celui-ci avait déjà trouvé quelqu'un pour la remplacer. Par conséquent, la démission de la prestataire a pris effet le 29 août.
3. Le couple a acheté une maison à Jasper le 16 août, la date de transfert de la propriété étant le 26 septembre.
4. Lorsque le mari de la prestataire a remis sa démission le 6 octobre, son employeur, qui ne voulait pas le perdre, lui a offert un parcours se terminant chaque semaine à Ottawa, ce qui lui permettrait de passer la fin de semaine à sa nouvelle résidence. Le mari de la prestataire a accepté ce poste parce que cela réglait les problèmes qui avaient été à l'origine du déménagement au départ.
[Traduction]
Après avoir entendu la preuve, le conseil a fait les constatations suivantes (pièce 11-3) :
Les membres du conseil ont jugé Mme Griffin crédible et ont parfaitement compris qu'elle souhaite déménager pour passer plus de temps avec son mari. Compte tenu de l'ensemble de la situation et sur l'éclairage des article 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi, les membres du conseil estiment que Mme Griffin avait un motif tout à fait valable pour quitter volontairement son emploi à plein temps, mais ils ne peuvent pas conclure au sens de la loi qu'elle avait une justification pour le faire quand elle l'a fait. Mme Griffin a reconnu qu'elle n'avait pas essayé de chercher ou d'obtenir un autre emploi à son nouveau lieu de résidence avant de partir. De plus, le conseil n'a pas pu conclure qu'elle devait suivre son époux à un nouveau lieu de résidence puisqu'il avait conservé le même emploi chez le même employeur en obtenant d'être affecté à un nouvel itinéraire. Le conseil est donc d'accord avec la décision de la Commission et juge que la jurisprudence (CUB 42390A, CUB 30435 ainsi que la décision Sylvie Gagné [A-0633-96] citée aux pièces 10.2 et 10.3 vient aussi appuyer la décision du conseil.
Par conséquent, le conseil a reconnu que la prestataire avait un motif valable de quitter son emploi au sens du sous-alinéa 29c)(ii), mais a constaté qu'elle n'était pas fondée à le faire parce qu'elle avait une autre solution raisonnable. À mon avis, ce faisant, le conseil n'a pas tenu compte de la nature unique de la situation de la prestataire et, en plus, a fait une erreur dans l'interprétation de la preuve.
Il ne s'agissait pas d'un cas où la femme suit son mari qui déménage. Il s'agissait d'un cas inhabituel exigeant un examen attentif et la prise en compte de toutes les circonstances, ce qui, à mon avis, n'a pas été fait.
Le conseil aurait voulu que la prestataire conserve son emploi à Lindsay jusqu'à ce que son mari trouve un emploi plus convenable à un nouvel endroit. Le conseil est arrivé à cette conclusion sans tenir compte du tout des raisons que la prestataire a données pour expliquer pourquoi elle-même et son mari n'ont pas pu chercher de nouvel emploi avant de savoir où ils allaient habiter. De plus, le conseil semble avoir bien compris que son mari n'allait pas remettre sa démission, et qu'il ne l'a pas fait, avant d'avoir trouvé une nouvelle résidence. Le nouvel emploi au sein de la même entreprise n'avait jamais été envisagé dans le projet, et était tout à fait inattendu. En fait, ce nouvel emploi ne s'est concrétisé qu'une fois le déménagement fait.
Je suis donc d'avis que l'affirmation ci-après faisant partie de la décision du conseil n'est pas conforme à la preuve : « le conseil n'a pas pu conclure qu'elle devait suivre son époux à un nouveau lieu de résidence puisqu'il avait conservé le même emploi chez le même employeur en obtenant d'être affecté à un nouvel itinéraire ». Par conséquent, il s'agit d'une grave erreur de fait.
À mon avis, le conseil aurait dû conclure que la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi parce qu'elle n'avait d'autre solution raisonnable.
En conséquence, en vertu de l'alinéa 117b) de la Loi, je rends ici la décision que le conseil aurait dû rendre, à savoir que la demande de prestations de chômage de la prestataire est approuvée, sous réserve que, selon les faits reconnus par la prestataire même, celle-ci ne recevra pas de prestations pour la période du 1er au 26 septembre 2003.
(Sgd.) « Douglas R. Campbell »
Juge-arbitre
Vancouver (Colombie-Britannique)
Le 7 juin 2004