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  • CUB 60902

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    Ward KENDALL

    et

    d'un appel interjeté par le prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Ottawa (Ontario) le 3 décembre 2003

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    Le prestataire a travaillé pour Mobilia Interiors Ltd du 18 mars 2002 au 8 août 2003. Le 16 octobre 2003, il a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi et une période initiale de prestations prenant effet le 12 octobre 2003 a été établie. La Commission a par la suite déterminé que le prestataire avait volontairement quitté son emploi sans justification et qu'il ne s'agissait pas de la seule solution raisonnable qui s'offrait à lui. La Commission a prononcé l'exclusion pour une période indéfinie du bénéfice des prestations à compter du 12 octobre 2003.

    Le prestataire a porté la décision de la Commission en appel devant le conseil arbitral lequel, rendant une décision à la majorité, a rejeté l'appel. Le prestataire a porté la décision du conseil arbitral en appel. Dans une note datée du 16 février 2004, le prestataire a indiqué qu'il ne demandait pas d'audience devant le juge-arbitre mais souhaitait que la décision soit rendue sur la foi du dossier.

    Les raisons données par le prestataire pour avoir quitté son emploi sont la discrimination, le harcèlement ou les conflits personnels au travail. Dans les documents formant les pièces 5, 8 et 10, le prestataire a décrit avec force détails un certain nombre d'incidents au cours desquels son employeur lui avait fait des reproches pour des absences que le prestataire avait justifiées à l'aide de raisons valides telles que la nécessité de consulter son médecin, de se présenter en Cour ou de faire réparer sa voiture. L'employeur a mis en doute les raisons qu'avait données le prestataire et a même refusé d'examiner les documents qu'il présentait à l'appui de ses explications. Le prestataire a expliqué à quel point il avait été un bon employé, qui se présentait au travail jusqu'à une heure avant le début de son quart de travail. Il a indiqué que la situation était devenue insupportable, car il avait l'impression que l'employeur n'avait aucune confiance en lui. On lui a finalement dit que s'il n'aimait pas la façon dont il était traité, il pouvait démissionner. Il a soutenu que, après avoir enduré ce traitement pendant plus d'un an parce qu'il avait besoin du revenu, il a dû démissionner.

    Les membres majoritaires du conseil ont conclu que le prestataire était crédible, encore qu'il n'y ait aucune évocation des arguments présentés par le prestataire devant le conseil, si ce n'est pour dire qu'aucun nouvel élément de preuve n'avait été présenté. Le conseil a également noté que l'employeur avait récemment réduit de cinq heures l'horaire de travail hebdomadaire du prestataire. Les membres majoritaires du conseil ont conclu que le prestataire aurait dû trouver un autre emploi avant de quitter celui qu'il avait. Ils ont également exprimé l'avis que le prestataire aurait dû démissionner de façon officielle plutôt que de se contenter de ne pas se présenter au travail. Les membres majoritaires estimaient de plus que le prestataire avait mis en danger l'intérêt de l'employeur en gardant les clés du magasin même après avoir décidé de ne plus retourner travailler à cet endroit. Le conseil n'a toutefois pas expliqué en quoi l'intérêt de l'employeur avait été mis en danger.

    Le membre dissident a examiné les explications données par le prestataire et conclu qu'elles constituaient une justification pour démissionner.

    Les membres majoritaires du conseil ne se sont pas penchés sur l'explication donnée par le prestataire, laquelle révélait l'existence manifeste d'une situation d'antagonisme et même de harcèlement. Malgré les excellentes raisons que donnait le prestataire pour ses absences, notamment une visite chez le médecin reliée à une blessure subie au travail, l'employeur mettait en doute les raisons du prestataire.

    Il était loisible aux membres majoritaires du conseil de rejeter l'explication du prestataire, mais ils devaient donner les raisons de leur rejet. Le paragraphe 114(3) de la Loi sur l'assurance-emploi oblige le conseil à inclure dans sa décision un exposé des conclusions qu'il a tirées relativement aux faits. Cet article est libellé comme suit :

    114(3) La décision d'un conseil arbitral doit être consignée. Elle comprend un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles.

    Dans l'arrêt Parks (A-321-97), le juge Strayer a écrit ce qui suit :

    « Nous sommes tous d'avis que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de se conformer au paragraphe 79(2). En particulier, nous sommes d'avis qu'il incombait au conseil de dire, au moins brièvement, qu'il a rejeté des parties cruciales de la preuve du demandeur et d'expliquer pourquoi il a agi ainsi. (...) Le conseil s'est contenté de faire état de ses conclusions sans expliquer pourquoi il a préféré une version des événements à l'autre. Même si, en vertu de l'interprétation que nous donnons au paragraphe 79(2), nous n'estimons pas que le conseil arbitral soit tenu de décrire en détail ses conclusions de fait, nous sommes d'avis que, pour se conformer à ce paragraphe, le conseil arbitral doit, lorsque la crédibilité fait l'objet d'une question litigieuse, dire au moins brièvement, dans le cadre de ses « conclusions [...] sur les questions de fait essentielles », qu'il rejette certains éléments de preuve sur ce fondement et pourquoi il a rejeté ces éléments. Lorsqu'il omet d'agir ainsi, il commet une erreur de droit. »

    Et dans l'arrêt Boucher (A-270-96), le juge Hugessen a affirmé ce qui suit :

    « Le conseil arbitral avait à choisir entre deux versions des faits. La première, avancée par la Commission, était appuyée par les versions des employeurs et par des déclarations apparemment données par le prestataire à un agent de la Commission et consignées par écrit par ce dernier. La seconde était appuyée par le témoignage du prestataire lui-même rendu à l'audience.

    (...)

    Nous sommes d'accord. Le conseil arbitral ne pouvait pas ignorer les déclarations contradictoires données par le prestataire. Bien sûr il avait le droit de les écarter mais il ne l'a pas fait. L'intervention du juge-arbitre était justifiée. »

    Je conclus que les membres majoritaires du conseil ont commis une erreur en ne s'arrêtant pas aux explications données par le prestataire pour avoir quitté son emploi. Je me range à l'avis du membre dissident du conseil selon lequel le prestataire avait présenté une situation dominée par l'antagonisme et le harcèlement de la part de l'employeur, ce qui constitue effectivement une justification pour quitter son emploi.

    En conséquence, l'appel est accueilli. La décision des membres majoritaires du conseil est annulée et l'appel du prestataire de la décision de la Commission est accueilli.

    Guy Goulard

    Juge-arbitre

    OTTAWA (Ontario)
    Le 28 mai 2004

    2011-01-16