• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • CUB 61108

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    -et-

    d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par le prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral rendue à Winnipeg (Manitoba) le 29 janvier 2004

    DÉCISION

    Le juge HARRINGTON

    À la cessation de son emploi chez un fabricant, le prestataire a présenté une demande d'assurance-emploi. Pour être admissible, il lui fallait 875 heures d'emploi assurable. Il n'en avait que 781 chez cet employeur, mais il en avait accumulé 627 chez un autre employeur, un centre alimentaire.

    La Commission de l'assurance-emploi a communiqué avec le centre alimentaire et a appris que le prestataire avait contrevenu à leur politique concernant les articles à prix réduit. Il avait pris des articles en solde, les avait apportés à « l'arrière » et les avait payés à la fin de son quart de travail. Il s'agissait d'articles d'une valeur d'environ 3 $. Le prestataire a été suspendu et s'est fait demander de présenter sa démission, faute de quoi il serait congédié. Il a démissionné, n'a pas présenté de demande de prestations d'emploi et peu après, a commencé à travailler chez le fabricant.

    La Commission a conclu que le prestataire n'était pas admissible aux prestations puisqu'il avait perdu son emploi chez le centre alimentaire en raison de son inconduite. De plus, comme il avait quitté cet emploi sans justification, les heures qu'il y avait travaillées ne comptaient pas et comme il n'avait pas accumulé un nombre d'heures d'emploi suffisant chez le fabricant, il n'était pas admissible aux prestations. La décision de la Commission a été confirmée par le conseil arbitral. Il s'agit ici du contrôle judiciaire de cette décision.

    Les parties pertinentes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi disposent que :

    29. Pour l'application des articles 30 à 33 :

    29. For the purposes of sections 30 to 33,

    a) « emploi » s'entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;

    (a) "employment" refers to any employment of the claimant within their qualifying period or their benefit period;

    b) la suspension est assimilée à la perte d'emploi, mais n'est pas assimilée à la perte d'emploi la suspension ou la perte d'emploi résultant de l'affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l'exercice d'une activité licite s'y rattachant;

    (b) loss of employment includes a suspension from employment, but does not include loss of, or suspension from, employment on account of membership in, or lawful activity connected with, an association, organization or union of workers;

    ...

    ...

    c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

    (c) just cause for voluntarily leaving an employment or taking leave from an employment exists if the claimant had no reasonable alternative to leaving or taking leave, having regard to all the circumstances, including any of the following:

    ...

    ...

    (vi) assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat,

    (vi) reasonable assurance of another employment in the immediate future,

    ...

    ...

    30.(1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

    30.(1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

    ...

    ...

    a) que, depuis qu'il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d'heures requis, au titre de l'article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

    (a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

    b) qu'il ne soit inadmissible, à l'égard de cet emploi, pour l'une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

    (b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

    ...

    ...

    À mon avis, la Commission ainsi que le conseil arbitral ont rendu une décision arbitraire et manifestement déraisonnable. J'accueille l'appel.

    Le relevé d'emploi établi en premier lieu par le centre alimentaire portait le code E qui signifie « départ volontaire ». Le représentant de la compagnie alimentaire a signé l'attestation suivante : « Je reconnais que toute fausse déclaration constitue une infraction et j'atteste, par les présentes, que toutes les déclarations de ce formulaire sont véridiques ». Le prestataire lui-même a rempli un formulaire de départ, soit un formulaire attestant qu'il quittait volontairement son emploi, et a déclaré qu'il avait une autre offre d'emploi. Cette déclaration a été confirmée par le directeur général du fabricant, qui a indiqué que le prestataire s'était fait offrir un emploi pendant qu'il travaillait toujours pour le centre alimentaire.

    Par conséquent, il n'y a absolument pas lieu de tenir compte de ce qu'aurait fait ou n'aurait pas fait le centre alimentaire si le prestataire n'avait pas démissionné. La Commission et le conseil ont fait une grossière erreur en omettant de tenir compte de faits indéniables au profit d'une pure hypothèse. En fait, le prestataire a quitté un emploi pour en occuper un autre.

    De plus, il est fort improbable que le centre alimentaire aurait été justifié de congédier le prestataire. Celui-ci a simplement suivi une pratique qui avait été largement tolérée jusque-là. Comme il s'agissait d'un nouvel employé, son syndicat ne l'a pas défendu; cependant, un représentant syndical s'est présenté avec lui devant le conseil. On ne peut simplement invoquer une politique écrite sans examiner la façon dont l'employeur l'applique. (A-72-02 Canada (P.G.) et CEIC, 2003 C.A.F. 262).

    Le terme « inconduite » au sens de l'article 30 de la Loi ne désigne pas un manquement à ses obligations. Dans l'arrêt CUB 50685, le juge Riche a déclaré ceci au sujet de l'article 30 de la Loi :

    « Les articles 30 et 31 de la Loi sur l'assurance-emploi constituent une mesure d'exclusion qui représente une pénalité résultant d'une inconduite qui ne correspond pas à l'esprit de la Loi sur l'assurance-emploi. La Loi vise à offrir un soutien financier aux personnes qui ont perdu leur emploi en raison de circonstances indépendantes de leur volonté. La Loi n'est pas destinée aux personnes congédiées en raison de leur propre inconduite. »

    Le terme « inconduite » utilisé dans l'article 30 de la Loi ne désigne pas le simple manquement d'un employé à l'une des obligations liées à son emploi. La Loi énonce clairement qu'une inconduite susceptible de priver un prestataire de son droit aux prestations doit nécessairement comporter un élément de « mauvaise foi » (A-241-82, CUB 57202). L'énoncé classique de l'élément d'ordre mental caractérisant l'inconduite figure dans l'arrêt A-381-85, dans lequel le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit :

    Sous le terme « misconduct » (inconduite) le Black's Law Dictionary (1979, 5e éd.) dit ce qui suit :

    « ... ce terme a pour synonymes délit, méfait, écart de conduite, délinquance, inconvenance, mauvaise administration et infraction, mais négligence ni insouciance. L'inconduite, qui rend l'employé congédié inadmissible au bénéfice des prestations de chômage, existe lorsque la conduite de l'employé montre qu'il néglige volontairement ou gratuitement les intérêts de l'employeur, par exemple, en commettant des infractions délibérées, ou ne tient aucun compte des normes de comportement que l'employeur a le droit d'exiger de ses employés, ou est insouciant ou négligent à un point tel et avec une fréquence telle qu'il fait preuve d'une intention délictuelle... »

    Même si le second extrait cité ci-dessus ne se rapport pas à la Loi sur l'assurance-chômage en vigueur au Canada, il correspond parfaitement, à mon sens, à notre droit, dans la mesure où il indique que, pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Aucune volonté de la sorte ne s'est manifestée dans la présente affaire.

    De plus, il doit exister une relation causale entre l'inconduite et le congédiement. L'inconduite ne doit pas être une simple excuse ou un simple prétexte pour le congédiement. L'inconduite doit être la cause de la perte d'emploi et elle doit être la cause déterminante (A-381-85, voir plus haut). Enfin, pour qu'un acte ou une omission soit considéré comme étant une « inconduite », il doit s'agir d'un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement (A-130-96).

    Même si je sais qu'il faut faire preuve d'un grand respect à l'égard du conseil arbitral lorsqu'on est appelé à réviser une décision selon laquelle un acte ou une omission constitue une inconduite au sens de la Loi (A-1716-83), je suis d'avis que le conseil a omis de faire les constatations de fait nécessaires en rendant sa décision et qu'il a omis de tenir compte du caractère négligeable de l'inconduite du prestataire ou même d'examiner si l'inconduite du prestataire était telle qu'il devait être exclu du bénéfice des prestations aux termes de la Loi.

    La politique du centre alimentaire sur les achats effectués par le personnel n'a pas été étudiée attentivement. Par exemple, cette politique dispose que les employés sont autorisés à faire des achats personnels avant ou après un quart de travail ou pendant les pauses de plus de 15 minutes. « Toutes les marchandises achetées doivent être immédiatement retirées des tablettes » [Traduction]. Était-il possible ou réaliste de respecter cette exigence?

    Je rends ici la décision que le conseil aurait dû rendre. L'appel du prestataire est accueilli. Il était fondé à quitter son emploi chez le centre alimentaire. Les heures qu'il y a travaillées comptent comme des heures d'emploi assurable.

    « Sean Harrington »

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 12 juillet 2004

    2011-01-16