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  • CUB 61425

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    JADE BILLY

    et

    d'un appel interjeté par l'employeur, le Skookum Jim Friendship Centre, à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Whitehorse (Yukon) le 23 mars 2004

    DÉCISION

    Le juge-arbitre David G. Riche

    La question portée à l'attention du conseil arbitral était de savoir si la prestataire avait perdu son emploi d'aide-puéricultrice en raison de son inconduite, aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi.

    L'audience a été enregistrée à la demande de l'appelant, c'est-à-dire l'employeur, le Skookum Jim Friendship Centre. La Commission avait jugé que la prestataire, Jade Billy, devrait être admissible au bénéfice des prestations et qu'elle avait perdu son emploi pour des raisons qui ne constituaient pas de l'inconduite.

    Lorsque l'employeur s'est présenté devant moi, il a indiqué que, même s'il avait demandé que l'audience soit enregistrée, il avait été impossible de le faire parce que le matériel d'enregistrement n'avait pas fonctionné. J'ai demandé à l'employeur appelant s'il souhaitait bénéficier d'une nouvelle audience devant le conseil arbitral, mais il n'a manifesté aucun intérêt à cet égard. Lorsque j'ai été saisi de cet appel, seul l'employeur, représenté par la directrice administrative Michelle Kolla, a comparu.

    Le conseil arbitral a exposé les éléments de preuve ayant été portés à sa connaissance lors de l'audience. La décision du conseil de rejeter l'appel de l'employeur a été rendue à l'unanimité. Le conseil arbitral a conclu que l'inconduite présumée de la prestataire ayant conduit à son congédiement devait avoir été volontaire ou du moins avoir procédé d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employée avait volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail; le conseil a fondé sa décision sur l'arrêt Tucker (A-381-85).

    Il appert en l'espèce que la prestataire avait travaillé pour l'employeur pendant deux ans, soit du 30 octobre 2001 au 7 novembre 2003. Elle a été congédiée le 24 octobre 2003. La prestataire a déclaré avoir été congédiée parce qu'on l'a jugée inapte, mais qu'on ne lui a pas expliqué pourquoi elle était inapte. Elle avait parlé à la directrice administrative et au directeur du personnel, de même qu'à un agent de la Commission des normes du travail ou des droits de la personne. Elle a également expédié deux lettres à la directrice administrative. Une représentante de l'employeur a déclaré que la prestataire a été congédiée parce qu'elle s'était absentée du travail, même après avoir reçu plusieurs avertissements. Elle a également fait remarquer que la prestataire avait été suspendue pendant deux jours en octobre, tout juste avant d'être congédiée. Elle a ajouté que la prestataire a fait preuve d'insubordination.

    Pour appuyer son appel, l'employeur a présenté un certain nombre de documents qui remontent au 13 août 2003, date à laquelle Connie Epp, coordonnatrice de programme, a donné un avertissement écrit à la prestataire. Mme Epp avait rédigé d'autres documents laissant entendre que la prestataire ne respectait pas les directives. Elle lui a également donné un avertissement écrit et a recommandé sa suspension. Après avoir lu le dossier, je suis arrivé à la conclusion qu'il existait un conflit important entre la prestataire et Mme Epp, qui avait pris la relève comme superviseure immédiate de Mme Billy en juin 2003. La prestataire a déclaré que Mme Epp criait constamment après elle ou ne lui adressait tout simplement pas la parole. Elle a également insisté sur le fait qu'elle avait suivi les directives du médiateur qui avait été nommé pour résoudre les différends.

    La prestataire a présenté une évaluation de rendement datée du 7 juillet 2002 (pièce 12), qui montre qu'elle avait un rendement satisfaisant et que la coordonnatrice de programme de l'époque aimait travailler avec elle. Elle avait eu une recommandation de son ancienne superviseure. Les difficultés de Mme Billy ont commencé lorsque la politique de l'employeur a été modifiée. Mme Kolla a expliqué que l'employeur n'avait pas modifié ses lignes directrices et sa politique, mais elle a insisté pour dire que celles-ci devaient être respectées comme jamais elles ne l'avaient été au cours des deux dernières années. La prestataire a expliqué que certaines de ses difficultés découlaient du changement de politique survenu depuis le moment où elle avait commencé à travailler à cet endroit, sous la responsabilité d'une autre superviseure, et celui où elle a commencé à être supervisée par la remplaçante, Connie Epp, en juin 2003.

    Selon la Commission, comme le montre la pièce 21-4, les faits ne permettent pas d'appuyer une conclusion d'inconduite parce que rien n'indique que les gestes de la prestataire ont été délibérés ou résultaient d'une insouciance telle qu'ils frôlaient le caractère délibéré. La Commission a conclu que la prestataire s'est véritablement méprise sur la nouvelle orientation du programme. Les directives que lui avait transmises la nouvelle superviseure avaient créé chez elle une certaine confusion, qui avait été perçue par ladite superviseure comme de l'insubordination.

    La Commission a en outre conclu que la prestataire avait demandé à son employeur de lui indiquer une nouvelle façon de faire son travail et de composer efficacement avec sa nouvelle superviseure. Lorsque, au tout début, la prestataire a demandé de suivre certains cours abrégés de formation, par exemple sur les projets d'entreprise et la gestion des conflits, que son ancienne superviseure avait prévus pour elle (pièce 12-3), elle a appris que la nouvelle gestionnaire avait jugé que cette formation n'était pas nécessaire compte tenu de sa description de travail (pièce 7-2), ce qui a dû être très décevant pour la prestataire. Ses retards ont été un facteur ayant contribué à son congédiement, mais ils n'en n'ont pas été la principale raison (pièce 3-2).

    Le conseil arbitral a conclu que la prestataire avait eu l'impression que son employeur l'avait jugée inapte pour faire le travail pour lequel elle avait été embauchée ou auquel elle avait été réaffectée.

    Le conseil a également fait remarquer, à la pièce 43.2 de sa décision, que les problèmes avec la coordonnatrice de programme actuelle avaient débuté en juin 2003 et avaient précipité son congédiement. La prestataire a indiqué avoir eu, au cours des deux années précédentes, des liens satisfaisants avec son ancienne coordonnatrice, Mme Geddes, de bonnes évaluations de rendement et même une augmentation de salaire. Le conseil a ensuite fait référence aux pièces 11-1, 12-2 et 22.1 à 22.7. La prestataire a ajouté qu'un membre du comité du personnel l'avait félicitée pour son bon travail et son sens du devoir. Cela remontait au 17 juillet 2003 (pièce 35.4).

    Devant le conseil arbitral, la représentante de l'employeur avait signalé que la prestataire s'était absentée du travail. Sur le registre des présences qu'elle a présenté, on pouvait voir une liste partielle d'absences ou de retards entre 2002 et 2003. La représentante a également fait allusion à l'insubordination. Le conseil arbitral a également fait référence à la correspondance, notamment à une lettre d'avertissement de la superviseure, Mme Epp, qui avait pris la relève en juin 2003.

    Le conseil a interrogé Mme Kolla et a fait remarquer qu'il n'existait aucune autre indication dans le dossier de la prestataire concernant des problèmes antérieurs d'absentéisme ou de retards chroniques. Il semble que ces problèmes ont débuté après que Mme Epp eut pris la relève comme superviseure. La prestataire a également demandé au conseil de consulter les pièces qui contestaient bon nombre des points soulevés par sa superviseure Mme Epp. Des preuves ont été fournies selon lesquelles il y a eu un changement marqué entre l'ambiance d'ouverture et d'accueil qui existait à l'époque où Mme Geddes supervisait le programme et celle qui a régné après que Mme Epp eut pris la relève en juin 2003. Les relations de travail positives qu'entretenait Mme Geddes avec Mme Billy se sont dégradées sous la nouvelle superviseure Mme Epp.

    Le conseil arbitral a conclu que la prestataire n'a pas pris l'initiative de quitter son emploi. Il a fait référence à l'arrêt Falardeau (A-396-85), dans lequel la Cour d'appel a statué qu'il incombe à l'employeur et à la Commission de démontrer que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Le conseil s'est exprimé ainsi : « Une évaluation positive d'emploi, une augmentation de salaire, la déclaration de sa superviseure précédente avec qui elle avait travaillé pendant deux ans ainsi que le témoignage d'un client sont tous des éléments qui brossent un tableau positif de son rendement au travail avant le mois de juillet 2003. » [Traduction] Le conseil a poursuivi ainsi : « Même si le Skookum Jim Friendship Centre a essayé d'établir qu'il y avait eu inconduite, la nature de ses réactions à l'absentéisme ou aux retards avant l'été 2003 semble indiquer qu'il s'est précédemment adapté aux heures de travail souples ou les avait acceptées. Des témoignages contradictoires ont été donnés sur presque tous les points soulevés. » [Traduction] Le conseil a conclu qu'une inconduite ne peut pas être hypothétique, elle doit être prouvée de façon concluante. Lorsque les éléments de preuve sont contradictoires ou non concluants, on doit accorder le bénéfice du doute au prestataire (CUB 24269).

    Le conseil arbitral a conclu que la prestataire n'avait pas agi de manière volontaire ou délibérée au point de faire preuve d'inconduite au sens de la Loi et pour ces motifs il a rejeté l'appel de l'employeur.

    J'ai examiné les éléments de preuve en l'espèce et je suis convaincu que le conseil arbitral a rendu une décision fondée sur les éléments de preuve portés à sa connaissance. Il a examiné les éléments de preuve contre la prestataire et les allégations d'inconduite soumises par son employeur. Il a également examiné la fiche de travail de la prestataire et l'explication que celle-ci a fournie concernant les allégations à son endroit. Selon moi, le conseil a analysé les éléments de preuve des deux parties et a établi que, d'après les faits portés à sa connaissance, les allégations d'inconduite de la part de l'employeur n'ont pas été prouvées de façon concluante. Je suis d'avis que le conseil arbitral a analysé les éléments de preuve de la prestataire et la déclaration faite par sa nouvelle superviseure, et qu'il a conclu que les gestes reprochés à la prestataire n'avaient pas un caractère volontaire et qu'ils ne résultaient pas d'une insouciance ou d'une négligence telle qu'ils frôlaient le caractère délibéré, et que l'inconduite n'a donc pas été prouvée comme l'exigent la législation et la jurisprudence.

    Je crois qu'il y a eu un changement dans l'orientation prise par l'employeur et qu'il n'y a aucune preuve d'efforts de sa part pour donner une nouvelle formation à la prestataire afin qu'elle puisse composer avec ces nouvelles politiques, après avoir travaillé pour l'entreprise pendant quelques années et avoir été félicitée pour son travail. Il y a des preuves de retards et d'absentéisme, mais dans sa sagesse, le conseil a conclu que ces gestes n'avaient pas un caractère volontaire et qu'il ne s'agissait donc pas de la raison pour laquelle la prestataire avait été congédiée. Son congédiement découlait de son défaut de respecter les nouvelles politiques de l'employeur comme c'était son désir. Je signale également qu'il semble s'être écoulé une très courte période entre le moment où la nouvelle superviseure, Mme Epp, a pris la relève en juin 2003 et le moment où elle a remis la lettre d'avertissement à la prestataire.

    Dans son document d'appel, l'employeur a demandé au juge-arbitre d'examiner tous les faits et de lui donner la possibilité de fournir un témoignage verbal sur des points non portés à son attention en raison de l'incapacité du bureau du CRHC de fournir les enregistrements de la séance d'ajournement et de l'audience d'appel. J'ai fait remarquer à la représentante de l'employeur que c'est le conseil arbitral qui est le juge des faits. La présente audience n'est pas un procès « de novo » mais un appel visant à déterminer si le conseil a commis une erreur de droit ou a tiré une conclusion de fait erronée. Le paragraphe 115(2) de la Loi donne les motifs en vertu desquels peut être interjeté un appel : « a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence, b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier, c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. »

    À mon avis, il y a eu audience complète des parties par le conseil arbitral et l'employeur a présenté un dossier d'emploi très détaillé concernant la prestataire, en particulier à partir du moment où la nouvelle superviseure, Mme Epp, a pris la relève. En outre, la représentante de l'employeur n'a jamais laissé entendre qu'il y avait eu une quelconque omission de certains documents du dossier. À mon avis, ce n'est pas à moi d'entendre à nouveau la preuve dont a été saisi le conseil arbitral, mais je dois plutôt analyser les conclusions que celui-ci a tirées des éléments de preuve portés à sa connaissance.

    Après avoir examiné l'ensemble des circonstances, j'estime que le conseil arbitral a pris en compte les éléments de preuve des deux parties à l'affaire et qu'il n'était pas convaincu que l'inconduite avait été prouvée. Pour ces motifs, je suis convaincu que l'appel de l'employeur doit être rejeté.

    David G. Riche

    JUGE-ARBITRE

    St. John's (Terre-Neuve)
    Le 6 août 2004

    2011-01-16