TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Paula MACLEAN
et
d'un appel interjeté par la prestataire à l'encontre de la décision du conseil arbitral rendue le 10 avril 2003 à Thunder Bay (Ontario)
DÉCISION
LE JUGE-ARBITRE GUY GOULARD
La prestataire a présenté une demande initiale de prestations, laquelle a pris effet le 6 octobre 2002. Par la suite, la Commission a déterminé que la prestataire avait travaillé pour la Nakina Public School, qu'elle avait quitté cet emploi sans justification et que son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable dans son cas. La Commission a donc exclu la prestataire du bénéfice des prestations d'assurance-emploi pour une période indéfinie à compter du 9 février 2003.
La prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, qui a rejeté l'appel. Elle a ensuite porté en appel la décision du conseil. Le présent appel a été instruit le 13 septembre 2004 à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard) en présence de la prestataire.
Dans sa demande de prestations, la prestataire a mentionné qu'elle avait quitté son emploi parce qu'elle n'était rémunérée que pour 9,1 heures de travail par semaine à titre de professeure de français et qu'elle devait travailler une quarantaine d'heures par semaine, ce qui comprenait les heures d'enseignement, de préparation des cours et de correction des travaux. Elle voulait avoir plus de temps pour chercher un emploi à temps plein et être disponible pour pouvoir accepter du travail au moulin de sa localité où on lui avait dit qu'il y avait peut-être des possibilités d'emploi.
Dans sa lettre d'appel à l'intention du conseil, la prestataire a mentionné qu'elle n'avait pas d'expérience en enseignement mais qu'on lui avait dit que l'école était à la recherche d'un professeur de français à temps partiel et qu'elle devrait poser sa candidature, ce qu'elle a fait. Elle a ajouté ceci :
« J'ai commencé à travailler le 25 novembre. J'ai enseigné à des élèves de la première à la huitième année, à raison de trois périodes de cours. Même si je pouvais compter sur l'appui des autres enseignants et du directeur, j'ai tout de suite compris que cet emploi n'était pas pour moi ni pour une personne ne possédant pas d'expérience d'enseignement en classe. Je me rendais à l'école tous les matins pour préparer les cours, je donnais trois cours dans l'après-midi et ensuite je passais la soirée à corriger les travaux de mes cinquante-deux élèves. Je consacrais environ quarante heures par semaine à un travail pour lequel je n'étais rémunérée que pour 9,1 heures par semaine. J'étais à bout de nerfs, je n'arrivais plus à manger ni à dormir, j'étais épuisée.
La concierge qui faisait le ménage dans ma classe chaque jour me demandait comment ça allait et je lui racontais les problèmes de discipline et de comportement que j'avais avec les élèves. Elle m'a suggéré de faire une demande d'emploi chez Nakina Forest Products (NFP). La concierge, son fils et sa fille travaillent pour cette entreprise. J'ai donc décidé de remettre ma démission et de faire une demande d'emploi chez NFP. Cependant, cela posait un problème parce que l'école devait publier un avis de concours pour doter le poste que je quittais et il était impossible de savoir combien de temps il faudrait pour me remplacer. J'ai donc dit à l'employeur que je resterais en poste jusqu'à ce qu'il trouve un autre professeur. Je n'avais pas trouvé d'autre emploi avant de quitter le Nakina Public School parce qu'on m'avait dit qu'il faudrait peut-être des mois pour trouver un autre professeur mais, un mois plus tard, l'école avait trouvé quelqu'un et je quittais mon emploi.
J'ai présenté une demande d'emploi chez Nakina Forest Products le 17 février et comme cette entreprise ne m'a pas appelée pour travailler, je me suis mise à chercher activement du travail dans différentes entreprises de la région. Mon nom est inscrit sur une liste d'enseignants suppléants au Nakina Public School, j'ai fait une demande d'emploi chez Greenstone Municipal, et je me suis renseignée sur les possibilités d'emploi à l'aéroport de Nakina et à la Légion. »
[Traduction]
Le conseil a examiné la preuve et a tiré les conclusions suivantes :
« Le conseil tient pour avéré que la prestataire n'avait aucune garantie d'emploi au moulin lorsqu'elle a quitté son emploi au conseil scolaire Nakina.
De plus, comme il est indiqué à la pièce 12.1, aucun employeur éventuel n'obligeait la prestataire à être disponible immédiatement.
Après avoir examiné minutieusement le dossier d'appel et pris en considération le témoignage de la prestataire, le conseil estime qu'une personne raisonnable aurait conservé son emploi jusqu'à ce qu'elle en ait trouvé un autre.
Le conseil cite également l'arrêt Tanguay (A-1458-84) dans lequel on mentionne que le prestataire qui quitte son emploi doit démontrer que son départ constituait la seule solution raisonnable compte tenu des circonstances.
Le conseil estime que la Commission a rendu sa décision de façon judiciaire et conformément aux principes de la Loi sur l'assurance-emploi et de la jurisprudence. »
[Traduction]
Au cours de l'audience d'appel, la prestataire a soutenu que le conseil n'avait pas tenu de son témoignage qui démontrait, d'une part, qu'elle avait accepté un poste pour lequel elle ne possédait pas la formation ni l'expérience nécessaires et, d'autre part, qu'elle n'était tout simplement pas capable d'accomplir le travail. Elle a répété qu'elle consacrait plus de quarante heures à son travail et qu'elle n'était rémunérée que pour 9,1 heures, ce qui ne lui laissait pas de temps pour chercher activement un emploi à plein temps.
Aux termes du paragraphe 114(3) de la Loi sur l'assurance-emploi, la décision du conseil doit comprendre un exposé des conclusions de fait qu'il a tirées. Ce paragraphe est libellé ainsi :
114(3) La décision d'un conseil arbitral doit être consignée. Elle comprend un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles.
Dans la décision Parks (A-321-97), le juge Strayer a écrit ceci :
« Nous sommes tous d'avis que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de se conformer au paragraphe 79(2). En particulier, nous sommes d'avis qu'il incombait au conseil de dire, au moins brièvement, qu'il a rejeté des parties cruciales de la preuve du demandeur et d'expliquer pourquoi il a agi ainsi. En l'espèce, le conseil disposait de plusieurs documents de l'employeur qui constituaient des éléments de preuve de la nature du ouï-dire. Le témoignage par affidavit et les déclarations orales du réclamant devant le conseil étaient incompatibles, sous plusieurs aspects, avec ces documents. Le conseil s'est contenté de faire état de ses conclusions sans expliquer pourquoi il a préféré une version des événements à l'autre. Même si, en vertu de l'interprétation que nous donnons au paragraphe 79(2), nous n'estimons pas que le conseil arbitral soit tenu de décrire en détail ses conclusions de fait, nous sommes d'avis que, pour se conformer à ce paragraphe, le conseil arbitral doit, lorsque la crédibilité fait l'objet d'une question litigieuse, dire au moins brièvement, dans le cadre de ses "conclusions [...] sur les questions de fait essentielles<, qu'il rejette certains éléments de preuve sur ce fondement et pourquoi il a rejeté ces éléments. Lorsqu'il omet d'agir ainsi, il commet une erreur de droit. »
En ce qui concerne l'affaire dont je suis saisi, il y a une faille fondamentale dans la décision du conseil. Le conseil n'a certainement pas satisfait aux exigences du paragraphe 114(3), car il n'a jamais fait mention des raisons pour lesquelles il n'a pas tenu compte de la principale raison que la prestataire avait fournie pour expliquer pourquoi elle avait quitté son emploi. Elle avait accepté un poste au-dessus de ses capacités compte tenu du fait qu'elle n'avait ni formation ni expérience dans le domaine de l'enseignement. Elle donnait trois cours à plus d'une cinquantaine d'élèves de la première à la huitième année. Elle a déclaré qu'elle était à bout de nerfs et complètement épuisée, ce qui n'est pas étonnant! Le conseil ne pouvait pas faire fi de la preuve présentée par la prestataire démontrant qu'elle voulait quitter son emploi pour en chercher un autre. Il pouvait rejeter cet élément de preuve mais il devait expliquer pourquoi il agissait de la sorte.
La décision du conseil est donc annulée. J'estime que le dossier contient suffisamment d'éléments de preuve pour que je puisse rendre une décision. Je considère que la raison pour laquelle la prestataire a quitté son emploi constituait une justification. Elle avait accepté un poste de spécialiste pour lequel elle ne possédait ni formation ni expérience et, naturellement, elle s'est vite rendu compte qu'elle ne pouvait pas satisfaire aux exigences du poste. La prestataire a donné un préavis de quatre semaines à son employeur pour qu'il ait la chance de la remplacer, et elle a ensuite commencé à chercher un autre emploi. Je conclus que, compte tenu de toutes les circonstances, la prestataire avait démontré qu'elle était fondée à quitter volontairement son emploi et que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas.
Par conséquent, la décision du conseil est annulée et l'appel de la prestataire est accueilli.
GUY GOULARD
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 24 septembre 2004