TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande présentée par
ANDREW ROBERTSON
- et -
d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la Commission de l'assurance-emploi à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral le 2 mars 2004 à Nanaimo (C.-B.)
DÉCISION
Le juge-arbitre JEAN A. FORGET
La Commission appelle de la décision unanime d'un conseil arbitral qui a statué que le prestataire n'avait pas quitté volontairement son emploi sans justification, au sens des articles 29 et 30 de la Loi, et qu'il avait par conséquent accumulé le nombre requis d'heures d'emploi assurable pour avoir droit à des prestations aux termes de l'article 7 de la Loi.
Le prestataire a présenté une demande de prestations qui a pris effet le 30 novembre 2003. Il avait travaillé pour Joe Huetzelmann & Company Ltd. du 25 octobre au 28 novembre 2003, mais n'avait pas accumulé les 490 heures assurables requises pour avoir droit à des prestations. Un autre relevé d'emploi a révélé qu'il avait aussi travaillé pour Intertan Canada Ltd. (Radio Shack) du 26 octobre 2001 au 26 septembre 2003. Le prestataire a expliqué qu'il avait quitté volontairement cet emploi parce que le gérant faisait pression sur lui pour qu'il parte. Il a dit qu'il avait mentionné à l'employeur qu'il envisageait de devenir pompier. Il travaillait à l'époque 40 heures par semaine chez Radio Shack mais ses heures de travail ont ensuite été réduites à 29 heures par semaine, et le gérant du magasin ne cessait de lui demander à quel moment il allait quitter son emploi. Lorsqu'il a appris qu'on lui couperait encore 5 heures par semaine, il a décidé de démissionner. Il avait cherché un autre travail avant de partir mais n'avait aucune offre d'emploi ferme.
La Commission a communiqué avec l'employeur, qui a indiqué que les heures du prestataire avaient été réduites parce que celui-ci l'avait informé qu'il voulait trouver un autre emploi. L'employeur a également indiqué que le rendement du prestataire était à la baisse et qu'il arrivait souvent en retard au travail. Le gérant a confirmé qu'il demandait sans cesse au prestataire à quel moment il partirait parce qu'à cette époque, il y avait eu d'autres départs et qu'il devait former de nouveaux employés en prévision de la haute saison. L'employeur voulait réduire encore les heures de travail du prestataire afin que celui-ci ait plus de temps pour chercher un autre emploi.
La Commission a exclu le prestataire du bénéfice des prestations pour une période indéfinie qui commençait le 1er décembre 2003 et l'a informé qu'il n'avait pas travaillé assez longtemps depuis qu'il avait quitté volontairement son emploi pour avoir droit à des prestations.
Le prestataire a fait appel des décisions de la Commission devant un conseil arbitral. À l'audience devant le conseil, il a expliqué qu'il s'estimait fondé à démissionner compte tenu de la pression indue que l'employeur avait exercée sur lui pour qu'il parte. Il a dit qu'un nouvel employé avait été recruté et qu'il avait dû lui donner de la formation alors même que ses heures à lui étaient réduites. Il a expliqué qu'après avoir appris que ses heures seraient à nouveau réduites, il avait conclu que cette nouvelle diminution de revenu ne lui permettrait pas de subvenir à ses besoins et il avait décidé de partir. Interrogé par le conseil au sujet de son rendement au travail, il a indiqué que l'employeur ne l'avait jamais averti qu'il était insatisfait de son travail. Le conseil lui a aussi demandé pourquoi il ne s'était pas plaint à l'employeur de la façon dont il était traité, ce à quoi il a répondu qu'il ne voulait pas aggraver la situation, car il craignait une nouvelle réduction de ses heures. Le conseil a tiré la conclusion suivante :
« En ce qui concerne le départ volontaire, il s'agit de déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable. La Commission a conclu que le prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification parce que, malgré la réduction de son nombre d'heures de travail, cette réduction était attribuable au fait que le prestataire avait déclaré à son employeur qu'il allait quitter son emploi. En fait, la Commission soutient que, compte tenu de l'ensemble de la preuve, le prestataire aurait pu discuter de cette question avec son employeur ou obtenir un autre emploi avant de démissionner. Le prestataire conteste cette conclusion. Lorsque le prestataire a compris que son employeur n'était pas satisfait, ses heures avaient déjà été réduites à 29,5 heures, et un nouvel employé avait été embauché. Compte tenu de ces deux faits, le prestataire se sentait vulnérable et craignait d'affronter son employeur. De plus, l'employeur demandait constamment au prestataire de lui dire à quel moment il allait quitter son emploi; lorsqu'il a menacé le prestataire de réduire de nouveau son horaire de travail de 5,5 heures de travail par semaine, c'était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
Le conseil a consulté l'alinéa 29c) de la Loi. Il tient pour avéré que la conduite de l'employeur constituait du harcèlement, qu'il y a eu une modification importante des conditions de rémunération du prestataire et que l'employeur incitait indûment le prestataire à quitter son emploi. Par conséquent, le conseil conclut que le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi.
Le conseil accueille l'appel en ce qui concerne la première question. Par conséquent, la deuxième question n'est plus pertinente. »
La Commission appelle maintenant de la décision du conseil devant le juge-arbitre, alléguant que le conseil a commis une erreur de droit parce qu'il n'a pas appliqué le bon critère en matière de justification, c'est-à-dire qu'il n'a pas déterminé si, compte tenu de toutes les circonstances, le prestataire n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter son emploi.
La Commission soutient que le prestataire a provoqué lui-même son chômage et que celui-ci aurait pu être évité. Elle maintient que la conduite de l'employeur ne constituait pas du harcèlement, puisque le prestataire a continué de travailler pour lui encore deux mois après que sa semaine de travail eut été ramenée de cinq à quatre jours par semaine, et qu'il n'a jamais abordé l'employeur pour discuter de sa situation. La Commission prétend en outre que le conseil a commis une erreur lorsqu'il a conclu que les conditions d'emploi du prestataire, à savoir ses conditions salariales, avaient été modifiées de façon importante du fait que ses heures avaient été ramenées de 37,5 à 29,5 heures par semaine et qu'elles auraient pu être encore réduites de 5,5 heures par semaine.
Dans l'arrêt P.G. du Canada c. Nancy Horslen (A-517-94), la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur le cas d'une prestataire qui avait quitté son emploi parce que ses heures de travail avaient été réduites de près de 30 %. Voici un extrait de cet arrêt :
« La question de droit à trancher était celle de savoir si d'après les faits, le départ de 1 'intimée constituait la seule solution raisonnable dans son cas en raison d'une " modification importante de ses conditions de rémunération ". »
En l'espèce, le conseil a bel et bien vérifié, dans sa constatation des faits et son application de la Loi, si le prestataire n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter son emploi. Le prestataire a été questionné sur les raisons pour lesquelles il n'avait pas parlé à l'employeur de la diminution de ses heures de travail. Le conseil a accepté ses explications et conclu que la justification du départ volontaire avait été établie.
Je suis convaincu que le conseil a appliqué le bon critère juridique en matière de justification et que sa conclusion est étayée par la preuve.
Le paragraphe 115(2) de la Loi sur l'assurance-emploi limite la compétence du juge-arbitre. À moins que le conseil arbitral ait omis d'observer un principe de justice naturelle, qu'il ait rendu une décision entachée d'une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le juge-arbitre doit rejeter l'appel.
Dans la décision concernant Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a statué que le rôle du juge-arbitre se limite à déterminer si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec la preuve portée à sa connaissance.
L'appel est rejeté.
JEAN A. FORGET
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 29 octobre 2004