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  • CUB 62186

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    BRUCE FRASER

    et

    d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre d'une décision d'un conseil arbitral rendue à Charlottetown (Î.-P.-É.) le 28 mai 2004

    DÉCISION

    Le juge-arbitre David G. Riche

    L'appel interjeté par la Commission concerne une question qui relève de l'article 36 de la Loi sur l'assurance-emploi. La question en litige est celle de savoir s'il y avait lieu de déclarer le prestataire non admissible au bénéfice des prestations d'assurance-emploi entre le 8 octobre et le 5 novembre 2002 parce qu'il a perdu son emploi ou a été incapable de reprendre l'emploi qu'il avait en raison d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif.

    Le prestataire a commencé à travailler la première semaine de septembre 2002 au Prince County Hospital; son employeur était un sous-traitant. Le 2 octobre, il y a eu un arrêt de travail quand les briqueteurs se sont mis en grève et ont dressé une ligne de piquetage. L'employeur a affirmé que tous les employés syndiqués ont refusé de franchir les lignes de piquetage et ne se sont pas présentés au travail. Le conseil a en outre constaté que l'arrêt de travail, le 5 novembre, le travail a repris le jour suivant celui où les briqueteurs ont retiré leurs lignes de piquetage.

    La Commission a estimé que M. Fraser n'était pas admissible au bénéfice des prestations parce qu'il avait perdu son emploi, le 2 octobre, en raison d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif. Elle soutient que le prestataire a pris part au conflit en refusant de franchir la ligne de piquetage et en ne se rendant pas au travail.

    Le prestataire a porté la décision en appel parce que, selon ses dires, il n'a pas franchi la ligne de piquetage par peur d'actes de violence de la part des membres du syndicat des briqueteurs et d'autres syndicats.

    L'association des employeurs a affirmé que le syndicat des charpentiers-menuisiers n'avait formulé aucune demande d'aide pour franchir la ligne de piquetage.

    Les lignes de piquetage ont été dressées tôt le matin et sont restées en place jusqu'au début de l'après-midi. Les briqueteurs ont également affirmé qu'ils avaient agi de façon professionnelle et qu'il n'y avait eu aucune plainte. Les autres corps de métiers travaillant au chantier étaient solidaires et aucun n'a menacé de franchir la ligne de piquetage.

    Le président de la section locale du syndicat des charpentiers-menuisiers, M. Rod Campbell, a déposé un affidavit dans lequel il affirme avoir communiqué avec les employeurs Harry Snow et Jamie Dickie et leur avoir demandé de fournir un endroit sûr pour stationner les véhicules et un moyen de transport pour permettre aux charpentiers-menuisiers de franchir les lignes de piquetage, et aussi d'assurer leur sécurité aussi longtemps qu'ils seraient sur le chantier. Or, rien n'a été fait.

    Il n'y a aucune indication de violence sur la ligne de piquetage et aucun appel n'a été fait au service de police de Summerside soit pour obtenir de l'aide soit pour signaler un incident.

    Une enquêteuse des assurances nommée Whiteway a interrogé le représentant d'affaires du syndicat des charpentiers-menuisiers et elle a appris de lui qu'aucun des charpentiers-menuisiers ne lui avait demandé de l'aide pour franchir la ligne de piquetage. Il a indiqué qu'il ne leur avait pas dit quoi faire, que chacun avait pris sa propre décision.

    À l'audience, M. Chiasson a déclaré au conseil arbitral que, le jour où la ligne de piquetage a été mise en place, l'agent de sécurité, M. Sandy Clarke, engagé par l'employeur, a conseillé aux charpentiers-menuisiers de ne pas franchir les lignes de piquetage. Il a ajouté qu'il s'agissait d'une question de sécurité. M. Chiasson a également affirmé que ce que l'agente Whiteway a écrit au sujet de son entrevue téléphonique était inexact. Il nie avoir dit qu'il était bien connu qu'il ne fallait pas franchir les lignes de piquetage. Il a déclaré au conseil qu'elle n'a pas corrigé l'erreur malgré son affidavit.

    Le prestataire a déclaré être retourné au chantier chaque matin, mais M. Danny MacLellan, superviseur, lui disait de retourner chez lui. On lui a dit qu'on le rappellerait quand le travail reprendrait. Il a également affirmé que les charpentiers-menuisiers discutaient du danger qu'il y avait à tenter de franchir la ligne de piquetage et de ce que l'agent de sécurité leur avait dit.

    Le conseil arbitral a constaté les faits ci-après et appliqué la loi comme suit. Le conseil a constaté qu'il y avait un conflit collectif, attribuable à une grève des briqueteurs. Le conflit collectif est survenu au Prince County Hospital et des arrêts de travail ailleurs ont provoqué un conflit à l'endroit où le prestataire travaillait quand une ligne de piquetage y a été dressée. Le conseil a conclu qu'il y avait eu arrêt de travail attribuable à un conflit collectif. Le conseil a déclaré ce qui suit : « L'appréciation de la preuve a reposé sur la déclaration selon laquelle l'agent de sécurité a dit aux charpentiers-menuisiers de ne pas franchir la ligne de piquetage parce que c'était risqué et sur la déclaration faite par M. Clarke aujourd'hui, selon laquelle il n'a pas conseillé aux travailleurs de franchir la ligne de piquetage. Le conseil a donné plus de poids aux éléments de preuve provenant des charpentiers-menuisiers parce qu'il s'agissait d'une preuve directe produite par un charpentier-menuisier à l'audience. Le conseil a jugé qu'il était un témoin crédible et l'a cru lorsqu'il a affirmé que Sandy Clarke leur avait dit de ne pas franchir les lignes de piquetage et de retourner plutôt à la maison. ».

    Le conseil poursuivait ainsi : « Le conseil tient pour avéré que l'employeur a fermé le chantier. Les charpentiers-menuisiers n'avaient accès ni aux outils ni aux horaires parce que les superviseurs n'étaient pas sur le chantier pour les diriger. Le conseil tient pour avéré qu'on a dit aux charpentiers-menuisiers de retourner à la maison et d'attendre qu'on les rappelle. » Il a alors appliqué la décision rendue par le juge Stevenson, dans le CUB 51543.

    Dans son appel, la Commission affirme que le conseil ne peut rendre sa décision en se fondant exclusivement sur le témoignage du prestataire. En accueillant l'appel du prestataire, le conseil a conclu que les déclarations du prestataire avaient davantage de poids du fait de la présence du prestataire à l'audience. La Commission soutient que la présence du prestataire à l'audience n'annule pas la preuve documentaire figurant au dossier. Le conseil est également tenu de prendre en considération la preuve documentaire qui lui est présentée.

    J'ai examiné les éléments de preuve présentés dans cette affaire ainsi que la décision rendue par le conseil arbitral. Celui-ci était placé devant deux versions des événements : la version de l'employeur et celle du prestataire. Le prestataire a affirmé que M. Clarke, l'agent de sécurité et représentant de l'employeur, leur avait dit de retourner chez eux, que c'était une question de sécurité. Il me semble qu'il s'agisse d'une question de crédibilité et le conseil arbitral a le droit de choisir la preuve qu'il accepte dans les cas où il y a des déclarations contradictoires. Le conseil arbitral ayant choisi de croire ce qu'on avait dit aux charpentiers-menuisiers et à leur représentant, à savoir que c'était risqué de franchir la ligne de piquetage, il lui était loisible de s'appuyer sur cette version puisqu'elle venait du représentant de l'employeur, M. Clarke.

    La Commission s'appuie sur la jurisprudence dans laquelle il est question de violence ou de tentatives d'actes de violence sur une ligne de piquetage. Elle invoque l'arrêt Valois (A-879-82) et l'arrêt n° 17814 de la Cour suprême ainsi que l'arrêt Carrozzella (A-373-82). Elle affirme qu'on n'a pas satisfait au critère. La Commission soutient qu'il n'y a aucune preuve démontrant que ce qui s'est produit sur la ligne de piquetage sortait de l'ordinaire et constituait un motif raisonnable de craindre d'être blessé ou de subir un préjudice corporel.

    La Commission n'a toutefois pas tenu compte du fait que le conseil arbitral avait accepté la preuve présentée par les charpentiers-menuisiers et leur représentant, preuve selon laquelle le représentant leur a dit de retourner chez eux en raison du danger réel ou potentiel que présentait la ligne de piquetage. L'employeur a alors fermé le chantier pour la durée de la grève. À mon avis, en l'espèce, il ne doit pas être fait droit à l'appel de la Commission. Le fait que le conseil arbitral a accepté la preuve selon laquelle on a dit aux charpentiers-menuisiers qu'il était risqué de franchir la ligne de piquetage et qu'ils devaient rester à l'extérieur du périmètre constitue un motif suffisant pour ne pas tenter de se présenter au travail, car le prestataire n'a pas eu la possibilité de franchir la ligne de piquetage et on ne peut pas dire qu'il a respecté la ligne de piquetage quand l'employeur lui a dit de ne pas la franchir. Cela étant, j'ai la conviction qu'il convient de rejeter l'appel de la Commission.

    David G. Riche

    JUGE-ARBITRE

    St. John's (Terre-Neuve)
    Le 5 novembre 2004

    2011-01-16