TRADUCTION
Dans l'affaire de la Loi sur l'assurance-emploi,
L.C. 1996, ch. 23
et
d'une demande de prestations de chômage présentée par
David Peterson
et
d'un appel interjeté par le prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à North York (Ontario) le 28 novembre 2002
Appel instruit à Toronto (Ontario) le 19 octobre 2004
DÉCISION
Le juge-arbitre R. C. STEVENSON
M. Peterson appelle de la décision d'un conseil arbitral qui a rejeté en partie son appel de la décision de la Commission selon laquelle il ne pouvait recevoir de prestations à partir du 5 août 2001 parce qu'il était engagé dans la préparation, la mise sur pied et l'exploitation d'une entreprise à titre de cointéressé.
Le conseil arbitral a accueilli l'appel de M. Peterson à l'égard de la période du 1er février au 1er mai 2002 (après quoi celui-ci n'a plus demandé de prestations), mais rejeté son appel à l'égard de la période du 5 août 2001 au 31 janvier 2002. Le conseil a conclu que M. Peterson avait été, d'août à janvier, « travailleur indépendant dans une mesure où le nombre d'heures qu'il consacrait à son entreprise était considérable » et qu'après le 1er février 2002, son emploi « ne lui demandait qu'un nombre d'heures limité ».
M. Peterson est comptable agréé. Du 20 août 1999 au 7 août 2001, il a travaillé comme directeur des finances pour Norigen Communications Inc. Son emploi a pris fin lorsque l'entreprise a été mise sous séquestre. Il allait avoir 32 ans; son salaire annuel au moment de la cessation d'emploi était de 105 000 $.
La question du travail autonome découle des liens de M. Peterson avec Innovative Integrations Inc. (III), dont il était actionnaire à part égale avec deux autres personnes, Mishaal Naik et David Hogg. Ces deux personnes avaient aussi travaillé pour Norigen. M. Naik avait volontairement quitté cet emploi en mars 2001, et l'emploi de M. Hogg avait pris fin le 5 juin 2001. Les trois hommes avaient parlé de lancer une entreprise. Après avoir quitté Norigen, M. Naik avait demandé à MM. Hogg et Peterson de l'aider à trouver une occasion d'affaires. Ceux-ci continueraient de travailler à temps plein chez Norigen et donneraient un coup de main le soir et la fin de semaine, quand ils auraient du temps. Les trois hommes ont constitué III en société le 25 avril 2001. Indépendamment de ses activités liées à III, M. Peterson a commencé à chercher du travail au début de l'été 2001, voyant se dessiner une crise financière chez Norigen.
Les trois actionnaires ont investi 1 000 $ chacun dans III, argent qui a servi à régler certaines dépenses entre mai et août 2001. Après que Norigen eut licencié M. Hogg, un ami a offert de louer à rabais à III ses bureaux inoccupés. Certains meubles apportés dans ces locaux étaient la propriété personnelle des actionnaires.
Le créneau visé par III était la vente de services d'appels interurbains à des hôtels du Québec et de l'Ontario. L'entreprise avait deux clients en vue. Elle avait emprunté 30 000 $ en septembre 2001 mais n'avait pas réussi à assembler la somme importante d'environ 500 000 $ qu'il lui fallait pour l'équipement. Elle devait quitter les locaux à bas prix qu'elle louait à la fin de décembre 2001. À la fin de novembre 2001, l'entreprise n'avait pas encore fait de recettes et avait engagé des dépenses de 11 375 $. Elle avait des biens matériels d'une valeur de 16 500 $ et des emprunts de 30 000 $. Les actionnaires ne tiraient aucun revenu de l'entreprise.
M. Naik, qui avait consacré le plus de temps au démarrage d'III, a jeté l'éponge en janvier 2002. Un certain Charles Ferrugia a commencé à jouer un rôle dans l'affaire, ayant réussi à trouver des capitaux en avril 2002.
Les paragraphes 30(1), (2) et (3) du Règlement sur l'assurance-emploi s'appliquent en l'espèce. En voici le libellé :
30. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (4), le prestataire est considéré comme ayant effectué une semaine entière de travail lorsque, durant la semaine, il exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son compte, soit à titre d'associé ou de cointéressé, ou lorsque, durant cette même semaine, il exerce un autre emploi dans lequel il détermine lui-même ses heures de travail.
(2) Lorsque le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise selon le paragraphe(1) dans une mesure si limitée que cet emploi ou cette activité ne constituerait pas normalement le principal moyen de subsistance d'une personne, il n'est pas considéré, à l'égard de cet emploi ou de cette activité, comme ayant effectué une semaine entière de travail.
(3) Les circonstances qui permettent de déterminer si le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise dans la mesure décrite au paragraphe (2) sont les suivantes :
a) le temps qu'il y consacre;
b) la nature et le montant du capital et des autres ressources investis;
c) la réussite ou l'échec financiers de l'emploi ou de l'entreprise;
d) le maintien de l'emploi ou de l'entreprise;
e) la nature de l'emploi ou de l'entreprise;
f) l'intention et la volonté du prestataire de chercher et d'accepter sans tarder un autre emploi.
M. Peterson était engagé dans l'exploitation d'III à titre de cointéressé. Il s'agit de déterminer si, entre le 7 août 2001 et le 31 janvier 2002, il y était engagé dans une mesure si limitée qu'une personne n'aurait pas normalement compté sur cette activité comme principal moyen de subsistance.
Dans sa décision, le conseil arbitral a dit ce qui suit :
TRAVAIL INDÉPENDANT
Les constatations seront établies selon les six facteurs évalués, conformément au Règlement.
Heures
Selon le témoignage de David Peterson et la charte qu'il a préparée, on a établi en preuve que ses heures consacrées à III ont été comme suit : 20 heures en août 2001, 80 heures par mois, de septembre à décembre 2001, 27 heures en janvier 2002 et six ou sept heures par mois, de février à avril 2002.
Capital
D'après la preuve fournie par David Peterson, on a établi en preuve qu'il a investi un capital de 1 000 $ dans Innovative Integrations Inc.
Succès financier
D'après la preuve fournie par David Peterson et Mishaal Naik, on a établi en preuve que l'entreprise n'avait pas de clients actifs et qu'elle n'a pas généré de revenus.
Continuité
Pendant la période touchée par la demande de prestations de David Peterson, Innovative Integrations Inc existait déjà. L'entreprise a fermé ses portes et réintégré les locaux chez David Hogg, mais la ligne téléphonique a été conservée pour qu'on puisse maintenir le lien avec des investisseurs. Aucune preuve ne révèle que l'équipement informatique a été vendu ou que l'entreprise a réduit progressivement ses activités, de sorte que les activités pourraient reprendre lorsque Charles Farrugia obtiendrait du financement. Nous sommes en mesure de constater qu'Innovative Integrations Inc existe depuis sa constitution le 25 avril 2001 jusqu'à aujourd'hui, 28 novembre 2002.
Nature de l'emploi
David Peterson est directeur financier et nous tenons pour avéré que son rôle chez Innovative Integrations Inc était relié à ce poste.
Intentions du prestataire à se chercher du travail
David Peterson a indiqué qu'il se cherchait un travail à temps plein auprès d'une autre entreprise depuis sa mise à pied. L'industrie des télécommunications était durement touchée, ce qui rendait ses recherches plus difficiles, mais il avait noué des relations avec tous les recruteurs susceptibles de savoir si un poste se libérait. Il ne recevait aucune rémunération de III, parce que l'entreprise n'avait pas encore d'investisseurs, mais il avait le choix d'y travailler jusqu'à ce qu'il se trouve un poste auprès d'une autre entreprise. De plus, les recruteurs lui ont mentionné que cette expérience ferait belle figure sur son curriculum vitæ. Les faits démontrent que M. Peterson menait deux stratégies de front : rechercher un emploi auprès d'une société et aider à faire croître III pour attirer des investisseurs.
RECHERCHE D'EMPLOI
David Peterson avait une documentation très complète de ses recherches d'emploi, que Ross Hodgson accepte au nom de la Commission. Nous tenons pour avéré que David Peterson a fait une recherche d'emploi très exhaustive. À la pièce 34-15, nous constatons que 36 % des entreprises ont été jointes entre août 2001 et janvier 2002, et que 64 % d'entre elles l'ont été entre février et avril 2002.
[...]
Il s'agit de déterminer si David Peterson exploitait une entreprise dans une mesure limitée, et si cela n'était pas le cas, s'il était apte au travail et disponible pour travailler sans restriction.
Temps consacré
En août 2001, M. Peterson a passé 20 heures à s'occuper des affaires de III, et entre septembre et décembre 2001, il y a consacré 80 heures par mois. En janvier 2002, il avait passé 27 heures à la fin du mois. Le prestataire a consacré de nombreuses heures à III, et puisqu'il choisissait ses heures, les moments qu'il y consacrait n'avaient pas d'importance, que ce soit en soirée ou la fin de semaine. Le conseil considère selon la prépondérance des probabilités qu'il a collaboré à la création de l'entreprise jusqu'à la fin de janvier 2002.
Capital et ressources investis
David Peterson a investi 1 000 $ et a fourni des meubles de bureau, ce qui ne représente pas une somme importante.
Succès financier ou échec
L'entreprise avait besoin d'un apport en capital de 500 000 $ à 1 000 000 $ pour financer l'équipement nécessaire pour les services Long-Distance Zero-Plus. En avril 2002, les associés avaient trouvé un nouvel investisseur, mais ils devaient recommencer à trouver des clients.
Continuité des affaires
L'entreprise existe encore aujourd'hui, 28 novembre 2002, et elle poursuit ses activités tant que les fonds le lui permettent.
Nature de l'emploi
David Peterson a mis à profit son expérience financière dans l'entreprise en élaborant le produit de télécommunications. Il était la seule personne de l'entreprise à posséder cette expertise. Le conseil estime que l'analyse financière et l'élaboration du plan d'affaires font partie intégrante du lancement d'une entreprise et de son exploitation initiale. [...]
Volonté du prestataire d'accepter ou de se chercher un autre emploi
M. Peterson déclare se chercher du travail depuis le moment où il a présenté sa demande de prestations, mais ne pas avoir eu de succès jusqu'à ce qu'Innovative Integrations Inc ait obtenu un nouvel apport financier en avril 2002.
En l'espèce, les facteurs les plus importants à considérer sont les heures de travail consacrées à l'entreprise, sa continuité, sa nature et les intentions de David Peterson. Le conseil croit que celui-ci serait intéressé à exploiter son entreprise tant et aussi longtemps qu'elle aurait une chance de réussir. Le secteur des télécommunications ralentissait toujours, et David Peterson a vu qu'il n'avait pas beaucoup de chance de se trouver du travail au sein d'une société d'envergure, et c'est pourquoi il a fait le nécessaire pour continuer à développer III. Il a mené deux stratégies de front, mais concernant ses prestations, le temps qu'il a consacré à essayer de faire avancer III le rend inadmissible au bénéfice des prestations, malgré ses recherches d'emploi. Le conseil croit qu'après s'être rendu compte à la fin janvier 2002 que III ne progressait toujours pas, il a décidé d'y limiter les heures qu'il y consacrait, ce qui lui permettait de faire de plus amples recherches d'emploi. Il est admissible au bénéfice des prestations du 1er février au 30 avril 2002.
[...]
Après avoir soigneusement réexaminé la preuve au dossier d'appel et écouté le témoignage de David Peterson, le conseil conclut à l'unanimité qu'il a été travailleur indépendant dans une mesure où le nombre d'heures qu'il consacrait à son entreprise était considérable, pendant la période du 5 août 2001 au 31 janvier 2002, et qu'il n'a pas droit aux prestations jusqu'à cette date. Après le 1er février 2002, le conseil conclut à l'unanimité que son emploi à Innovative Integrations Inc ne lui demandait qu'un nombre d'heures limité et qu'il a droit aux prestations à compter de cette date, jusqu'au moment où il a commencé à travailler le 1er mai 2002.
M. Peterson soutient que le conseil arbitral a manqué à l'un des principes de justice naturelle parce qu'il a restreint la quantité et la nature des éléments de preuve qu'il pouvait présenter, surtout relativement à sa recherche d'emploi. La preuve en question est d'intérêt pour le sixième facteur (intention et volonté du prestataire de chercher et d'accepter un autre emploi). Le conseil a peut-être limité la présentation de cette preuve parce que la Commission avait reconnu que le résumé écrit présenté par M. Peterson dénotait « une recherche d'emploi crédible, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de photocopier son cartable de 10 cm ou d'écouter ses audiocassettes » [Traduction]. Le conseil a peut-être commis une erreur en excluant des éléments de preuve pertinents ou en faisant abstraction de la preuve relative aux recherches d'emploi que M. Peterson avait faites avant le mois d'août 2001, mais je ne suis pas convaincu qu'il y a eu déni de justice naturelle.
Lorsque le conseil a dit « En l'espèce, les facteurs les plus importants à considérer sont les heures de travail consacrées à l'entreprise, sa continuité, sa nature et les intentions de David Peterson », il a effectivement fait abstraction des deux autres facteurs, soit la nature et le montant du capital et des autres ressources investis, et la réussite ou l'échec financiers de l'entreprise. J'estime que ce faisant, le conseil a commis une erreur. Le capital et les ressources investis par M. Peterson étaient minimes et sans importance. Pendant la période visée, soit d'août à janvier, l'entreprise a essuyé un échec financier total. Les deux facteurs en question étaient au moins aussi importants que les quatre facteurs dits « les plus importants » par le conseil.
Le conseil arbitral n'a pas non plus accordé tout le crédit voulu à M. Peterson lorsqu'il a dit, au sujet du sixième facteur seulement, « M. Peterson déclare se chercher du travail depuis le moment où il a présenté sa demande de prestations ».
La question de savoir si un prestataire est engagé dans l'exploitation d'une entreprise dans une mesure si limitée qu'une personne ne compterait pas normalement sur cette activité comme principal moyen de subsistance est une question de fait. Ce qu'il me faut déterminer, c'est si d'après l'ensemble de la preuve, la décision du conseil était déraisonnable ou fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Je conclus que le conseil a rendu une décision déraisonnable, qui était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, parce qu'il a effectivement fait abstraction des facteurs relatifs à l'investissement et au succès ou à l'échec, facteurs auxquels il fallait donner un poids considérable en l'espèce.
L'appel est accueilli, et la décision relative à l'inadmissibilité est annulée.
Ronald C. Stevenson
Juge-arbitre
FREDERICTON (NOUVEAU-BRUNSWICK)
Le 16 décembre 2004