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  • CUB 62369

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la Loi sur l'assurance-emploi

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    OLGA ORTIZ

    - et -

    d'un appel interjeté par la prestataire devant un juge-arbitre à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Mississauga (Ontario) le 12 janvier 2004

    DÉCISION

    Appel instruit à Toronto (Ontario) le 15 octobre 2004.

    Le juge-arbitre W.J. HADDAD, c.r.

    Le présent appel a été interjeté par la prestataire. Celle-ci a quitté l'emploi qu'elle avait chez Grime Eater Products Ltd. le 13 mai 2003, et le conseil arbitral devait déterminer s'il s'agissait d'un départ volontaire sans justification l'excluant du bénéfice des prestations de chômage.

    Les dispositions législatives suivantes, figurant dans la Loi sur l'assurance-emploi, s'appliquent en l'espèce :

    29c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

    (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur, [...]

    30(1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi sans justification [...]

    Après la cessation de son emploi, la prestataire a rempli une demande de prestations de chômage, et une période initiale débutant le 11 mai 2002 a été établie à son profit.

    La prestataire a décrit de la façon suivante l'incident qui l'a poussée à quitter son emploi :

    « Il y a deux semaines, j'ai demandé à M. Hayes de m'accorder un congé de trois jours sans traitement. Il y avait une urgence familiale dans mon pays d'origine, le Guatemala, et je devais m'y rendre en avion pour régler ma situation. Comme M. Hayes n'avait pas donné suite à ma requête, j'ai demandé à mon fils de lui téléphoner et de prendre rendez-vous pour discuter avec lui de cette délicate question. Finalement, après que mon fils lui eut laissé de nombreux messages téléphoniques, M. Hayes nous a donné rendez-vous, à mon fils et à moi, le 13 mai 2003 après 17 h. Quand mon fils est arrivé, M. Hayes a commencé à nous crier à tous les deux « ce n'est pas juste, vous me faites vraiment perdre mon temps », « allez-vous-en, partez, sorteznbsp;», « arrêtez de me faire perdre mon tempsnbsp;». J'ai été très intimidée d'être conduite de son bureau jusqu'à l'usine devant son directeur des ventes et d'autres membres du personnel. M. Hayes n'a même pas daigné entendre ma requête ni écouter les explications de mon fils au sujet de l'urgence familiale. Tout ce que je demandais, c'était un congé de trois jours sans traitement. Il m'a agressée verbalement et m'a dit de partir. J'ai donc dû sortir de son bureau, de crainte qu'il s'emporte encore plus et qu'il s'en prenne physiquement à mon fils et à moi. »

    [Traduction]

    Ces propos s'accordent en partie avec les constatations du conseil, bien que ce dernier ne mentionne pas que la prestataire ait eu peur de son employeur.

    Rejetant finalement l'appel interjeté par la prestataire de la décision de la Commission de l'assurance-emploi, la majorité du conseil a dit ce qui suit :

    « La majorité des membres du conseil ont constaté que la prestataire avait affirmé qu'elle n'avait pas l'intention de quitter son emploi. En outre, l'employeur a affirmé que la prestataire était une bonne employée. L'employeur a également affirmé qu'il lui aurait probablement accordé le congé demandé mais qu'il avait besoin de temps pour voir s'il devrait ajouter des employés à l'horaire.

    Se fondant sur ce raisonnement, la majorité du conseil a estimé que l'employeur n'était pas en mesure à ce moment de donner une réponse définitive à la prestataire au sujet de sa demande de congé. L'employeur a senti que la prestataire et son fils faisaient pression sur lui pour qu'il prenne une décision qu'il était incapable de prendre à ce moment. Il a réagi en fonction du fait qu'il était incapable de prendre une décision au pied levé, disant « c'est à prendre ou à laisser ». On peut comprendre que l'attitude de l'employeur ait placé la prestataire dans l'embarras.

    La prestataire a affirmé au conseil qu'elle n'avait pas l'intention de quitter son emploi; elle aurait donc dû demander à l'employeur de lui préciser s'il voulait simplement qu'elle quitte les lieux ou s'il la congédiait définitivement. Malheureusement, elle n'a pas clarifié la question. Le motif pour lequel elle a quitté son emploi est qu'elle s'était sentie humiliée ou embarrassée. Ce point a été confirmé dans le dossier et au cours de l'audience. »

    [Traduction]

    La majorité du conseil a conclu, sur la base de sa dernière constatation : « Le fait que la prestataire se soit sentie embarrassée et qu'elle ait pris la décision consciente de partir relevait de raisons d'ordre personnel de quitter un emploi. » [Traduction] Il ne s'agit pas de raisons personnelles de nature à exclure la prestataire du bénéfice des prestations. La raison de son embarras ne dépendait pas d'elle ni ne découlait d'une affaire personnelle. Elle avait été embarrassée et humiliée par le manque de courtoisie de l'employeur à son endroit.

    La prestataire a dit qu'elle avait essayé de remettre sa demande de congé par écrit à M. Hayes mais qu'il l'avait refusée. Les constatations faites dans la décision majoritaire concernant l'humiliation et l'embarras ressentis montrent, lorsqu'on les considère à la lumière de toute la preuve, que M. Hayes a accueilli la prestataire et son fils sur un ton hostile et impoli. La prestataire a fait l'objet d'une forme d'agression verbale. Quand un employé est traité avec hostilité par un employeur et en ressent humiliation et embarras, il peut certainement plaider la justification. Il s'agit selon moi d'un principe valable que le conseil arbitral n'a pas su reconnaître et appliquer en l'espèce.

    La majorité du conseil a reproché à la prestataire de ne pas être retournée demander d'éclaircissements à l'employeur au sujet de son congédiement, parce qu'il avait dit « partez », « c'est à prendre ou à laisser » [Traduction]. C'était presque l'inviter à s'exposer à une nouvelle rencontre humiliante.

    La conclusion tirée dans la décision rendue par la majorité cadre mal avec ses constatations. Ces constatations appellent la conclusion contraire à celle à laquelle est arrivée la majorité; le conseil aurait dû, à la lumière de ces constatations, statuer que la prestataire avait montré qu'elle était fondée à quitter son emploi parce qu'elle n'avait pas d'autre solution raisonnable dans les circonstances. Le conseil a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive et arbitraire.

    Je suis d'accord en principe avec la conclusion suivante, tirée par le membre dissident :

    « Je conclus que la rencontre que la prestataire avait eue avec M. Hayes avait été éprouvante et qu'elle l'avait amenée à quitter son emploi. La prestataire s'était fait manquer de respect, et n'avait pas pu avoir de réponse au sujet de sa demande de congé. Bien que cet incident semble avoir été le seul affrontement, j'estime qu'il était assez grave pour détruire la relation employeur-employé, au point où la prestataire a dû partir. Je conclus qu'il y avait justification au sens du sous-alinéa 29c)(x) de la Loi sur l'assurance-emploi. »

    [Traduction]

    Pour les raisons qui précèdent, j'accueille l'appel. La décision rendue par la majorité du conseil arbitral et la décision de la Commission sont annulées, afin que la prestataire soit admissible au bénéfice des prestations.

    L'appel est accueilli.

    « W.J. Haddad »

    W.J. Haddad, c.r. - Juge-arbitre

    Edmonton (Alberta)
    Le 24 novembre 2004

    2011-01-16