TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Pat L. BENDL
et
d'un appel interjeté par le prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral le 27 novembre 2003 à Belleville (Ontario)
DÉCISION
Le juge-arbitre GUY GOULARD
Le prestataire a travaillé pour Van L. Masonry Ltd du 4 octobre 2002 au 11 juillet 2003. Le 9 septembre 2003, il a demandé des prestations d'assurance-emploi. Une période de prestations initiale débutant le 7 septembre 2003 a été établie à son profit. La Commission a par ailleurs déterminé que le prestataire avait quitté son emploi sans justification et l'a exclu du bénéfice des prestations pour une période indéfinie qui commençait le 7 septembre 2003.
Le prestataire a appelé de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui a rejeté l'appel. Il a ensuite interjeté appel de la décision du conseil. Le présent appel a été instruit à Peterborough (Ontario) le 18 novembre 2004. Le prestataire était présent, et représenté par son avocate, Mme Lois Cromarty.
Le prestataire a dit qu'il avait quitté son emploi parce que l'employeur et certains de ses collègues de travail usaient de violence verbale et psychologique envers lui, et parce que les conditions de travail n'étaient pas sécuritaires. Il a affirmé avoir parlé de ses préoccupations à l'employeur mais que celui-ci n'avait rien fait et qu'il lui avait même répondu que s'il n'était pas content de ses conditions de travail, il n'avait qu'à s'en aller. Le prestataire a dit que ses collègues exigeaient de lui toutes sortes de choses et lui criaient après. Il en avait parlé à l'employeur et lui avait laissé entendre qu'il faudrait peut-être davantage d'ouvriers mais celui-ci l'avait traité d'idiot et lui avait tenu « d'autres propos encore moins acceptables » [Traduction]. Il a soutenu que les situations et propos de ce genre étaient quotidiens, ajoutant que les jours où il ne travaillait pas à cause de la pluie, il cherchait un autre emploi.
Le résumé de la preuve fait à l'audience par le conseil et la conclusion qu'il en a tirée sont importants dans le présent appel. En voici le texte :
« Le prestataire, accompagné de son représentant juridique Kevin Shults et de son ami Robert Landry, a comparu à l'audience; il a alors témoigné que les conditions sur le chantier de construction étaient intolérables en raison des injures qu'adressaient les surveillants et les briqueteurs aux ouvriers. Le témoin a affirmé que 18 ouvriers avaient démissionné au cours des 10 derniers mois en raison des conditions de travail insatisfaisantes. Le prestataire a déclaré que, après avoir demandé qu'on lui paie ses vacances et ses jours fériés, les conditions se sont détériorées. Interrogé à ce sujet, le prestataire a affirmé que les injures n'étaient pas dirigées contre lui seulement; d'autres ouvriers étaient aussi victimes de commentaires inacceptables. Le prestataire a dit qu'à la fin de la journée, il était toujours épuisé psychologiquement par ces injures, et qu'il savait que l'histoire se répéterait le lendemain. Selon les arguments du représentant juridique du prestataire, le problème de tension mentale était à la base même de la démission du prestataire.
Par contre, la Commission a affirmé que le prestataire a démissionné pour entreprendre une autre carrière comme plombier, mais le prestataire a réfuté ce propos lors de son témoignage.
Constatation des faits et application de la loi : La présentation du prestataire a fait bonne impression sur la Commission, qui convient en outre que l'argumentation du représentant juridique sur le mauvais traitement dont le prestataire était victime était convaincante. Néanmoins, en dernière analyse, le conseil n'a pas pu retenir l'argument selon lequel ce mauvais traitement était de nature insupportable. L'emploi de termes familiers est fréquent sur les chantiers. Le harcèlement pratiqué par les surveillants et par les ouvriers pourrait certes être considéré humiliant, mais le conseil a conclu qu'il ne l'était pas suffisamment pour contraindre une personne prudente à quitter volontairement son emploi. Le conseil s'est référé au CUB 24945 pour appuyer sa décision. »
L'avocat du prestataire a fait valoir que les conditions de travail décrites par le conseil permettaient clairement d'établir que le prestataire était fondé à quitter son emploi. Je suis du même avis. Le prestataire a été victime d'une grande violence verbale pendant longtemps. Lorsqu'il en a parlé à son employeur, il a essuyé la même violence verbale, sinon une violence pire encore. Dire que « l'emploi de termes familiers est fréquent sur les chantiers » n'excuse rien. D'ailleurs, rien ne prouve qu'il en va ainsi, et même si tel était le cas, pareille attitude ne devrait pas être tolérée. Le conseil a reconnu que le prestataire avait été la cible de ce que l'on pourrait appeler de la coercition. Le Webster's New Dictionary of Synonyms donne les synonymes suivants du mot « coerce » (exercer une coercition) :
« obliger, forcer, contraindre, astreindre, intimider, malmener, rudoyer, brusquer, menacer »
[Traduction]
Pour reprendre les propos tenus par le juge Haddad dans la décision CUB 50186, « [m]algré les erreurs et l'inefficacité démontrées par un employé dans le cadre de son emploi, ce dernier n'est pas tenu de tolérer des traitements humiliants et hostiles de son employeur. » Dans la décision CUB 51723, le juge Haddad a également dit que des conditions semblables à celles auxquelles M. Bendl était exposé allaient au-delà du harcèlement et tombaient dans la catégorie de l'abus pur et simple, ajoutant que « [t]oute personne qui est constamment victime de harcèlement et d'abus dans son milieu de travail n'est pas tenue de conserver son emploi. »
En l'espèce, le prestataire a parlé maintes fois de l'abus et du harcèlement graves dont il faisait l'objet. Le conseil ne pouvait pas faire abstraction de la preuve essentiellement incontestée qu'il avait lui-même associée à de la coercition pour ensuite arriver à la conclusion qu'il a tirée.
J'estime que la décision du conseil n'est pas raisonnablement compatible avec les éléments portés à sa connaissance. La décision du conseil est par conséquent annulée.
Je pourrais renvoyer la présente affaire devant un conseil formé de nouveaux membres mais je suis convaincu, d'après la constatation des faits qui est présentée dans la décision portée en appel, qu'il existait une preuve significative et probante permettant d'établir que le prestataire était fondé à quitter son emploi.
La décision du conseil est donc annulée et l'appel du prestataire est accueilli.
GUY GOULARD
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 17 décembre 2004