TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
JO-ANNE BLAIR
et
d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre de la décision rendue à North York (Ontario) le 13 novembre 2003
DÉCISION
Le juge David G. Riche
Le conseil arbitral a déterminé que la question qu'il fallait trancher était de savoir si la prestataire avait montré qu'elle était fondée à quitter volontairement son emploi au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi.
La prestataire avait travaillé pour une compagnie d'assurance-vie pendant un certain nombre d'années. Elle était en conflit avec sa supérieure, qui un jour était allée jusqu'à crier après elle devant d'autres employés. À la réunion tenue immédiatement après avec la gestionnaire, la prestataire avait eu l'impression de ne pas avoir été traitée équitablement et de ne pas avoir eu la possibilité de présenter son point de vue. À la suite de cette réunion, elle avait remis sa démission par courriel à sa supérieure.
Le conseil a constaté, à la lumière de la preuve dont il était saisi, que la prestataire et sa supérieure n'avaient eu aucun problème pendant un an et demi. On avait dit à la prestataire qu'elle aurait de l'avancement, et celle-ci souhaitait recevoir un peu plus de formation. Par contre, sa supérieure lui disait sans cesse qu'elle n'aurait pas d'avancement parce qu'elle n'avait pas assez de scolarité. La prestataire se sentait victime de discrimination. Quand elle essayait de communiquer avec sa supérieure, celle-ci lui répondait en criant devant les collègues de travail et la mettait dans l'embarras.
Après avoir remis sa démission, la prestataire a voulu la retirer et en a parlé à la gestionnaire, qui lui a dit que la question serait étudiée. Cependant, après vérification auprès des Ressources humaines, elle a appris que sa démission avait été acceptée.
Le conseil a conclu que la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi, surtout en raison de la relation conflictuelle avec sa supérieure, selon le sous-alinéa 29c)(x) de la Loi sur l'assurance-emploi. Il a aussi conclu qu'un prestataire est fondé en droit à quitter volontairement son emploi s'il n'a d'autre solution raisonnable que de partir ou de prendre congé.
Dans son appel, la Commission allègue que le conseil a rendu une décision entachée d'erreur. Elle soutient qu'il incombait à la prestataire de montrer que son départ constituait la seule solution raisonnable. Le fait qu'on lui ait manifesté de l'hostilité n'est pas un motif suffisant, elle doit aussi montrer qu'elle n'avait d'autre solution raisonnable que de partir. La Commission s'est référée à l'arrêt Horslen (A-517-94), dans lequel la Cour d'appel fédérale a statué que l'absence de solution raisonnable est un élément essentiel et indissociable de la justification, même lorsque le prestataire invoque l'une des circonstances énumérées aux articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi.
Après examen de la preuve en l'espèce, je conclus que la décision du conseil arbitral ne doit pas être modifiée. Il est facile de conclure que la prestataire aurait dû prendre le temps de chercher un autre emploi avant de présenter sa démission. En réponse à cette objection, je renvoie à la pièce 9.1, formée d'une lettre rédigée par la prestataire dans le cadre de son appel. J'ajouterais que le conseil arbitral a trouvé la prestataire digne de foi, ce qui me permet de conclure que la preuve figurant dans la pièce en question devrait être acceptée.
La prestataire a parlé de la réunion stressante qu'elle avait eue avec sa supérieure et à la suite de laquelle elle avait donné sa démission. À peine deux jours plus tard, elle avait demandé à la gestionnaire que la question soit réexaminée, car sa supérieure était absente ce jour-là, qui était le 5 septembre 2003. Sa démission n'avait pas encore pris effet. La gestionnaire devait parler à sa supérieure mais celle-ci revenait au travail seulement le 9 septembre, date à laquelle la démission prenait effet. La gestionnaire avait dit à la prestataire qu'elle avait été abordée trois fois par la supérieure pour réexaminer la question mais qu'il n'y avait jamais eu aucune conversation à ce sujet. Puis le 9 septembre 2003, la prestataire a rencontré sa supérieure et lui a demandé que sa démission soit annulée mais elle s'est fait répondre qu'il était trop tard parce que l'avis de démission avait été envoyé aux Ressources humaines. La prestataire a appelé le service des Ressources humaines, où on lui a dit que personne de ce service n'avait parlé à sa supérieure.
La prestataire a souligné que si sa démission n'avait pas été annulée, ce n'était pas parce que son rendement au travail laissait à désirer; elle avait au contraire reçu des primes généreuses basées sur son rendement et reçu chaque année des félicitations écrites dans son évaluation de rendement.
Je déduis de cette correspondance et de ce qui s'est passé entre la prestataire et sa supérieure que celle-ci était hostile envers la prestataire. Il y avait de l'animosité entre elles, et la supérieure n'a pas eu l'attitude attendue des personnes dans sa position, qui devraient normalement venir en aide à leurs subalternes.
La recherche d'un autre emploi est une obligation dont tous les employés doivent tenter de s'acquitter avant de démissionner. Dans la présente affaire, la prestataire s'est accrochée à son poste jusqu'au moment où elle a été tellement embarrassée qu'elle a donné sa démission. Il est déplacé de la part d'un supérieur d'humilier quelqu'un en public au sujet de son rendement au travail. On peut se demander combien de temps un employé devrait supporter pareil traitement mais selon moi, il devient alors très difficile pour cet employé de continuer dans ces conditions tout en faisant une recherche d'emploi, démarche qui peut prendre de un à trois mois.
La prestataire aurait pu continuer de travailler si sa supérieure et la gestionnaire avaient pris des mesures raisonnables afin de la reprendre au lieu d'accepter sa démission. Si sa démission avait été refusée, elle n'aurait pas eu besoin de recourir à l'assurance-emploi et aurait eu le temps de chercher un autre emploi si la situation au travail ne s'était pas améliorée. Ma perception de la preuve cadre avec celle du conseil arbitral, c'est-à-dire que la prestataire a agi comme une personne raisonnable aurait agi dans les circonstances. Personne ne devrait être ridiculisé en public et être ensuite censé garder son emploi jusqu'à ce qu'il en trouve un autre, ce qui peut prendre trois mois ou plus.
Pour ces motifs, je suis convaincu que l'appel de la Commission doit être rejeté.
David G. Riche
Juge-arbitre
Le 10 décembre 2004
St. John's (T.-N.-L.)