• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • CUB 62637

    EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    Jonathan BOUTHILLETTE

    et

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la Commission de la décision d'un conseil arbitral rendue le 13 mai 2003 à Hull, Québec

    DÉCISION

    GUY GOULARD, Juge-arbitre

    Le prestataire avait travaillé pour Aliments Martel Inc. du 14 juin 2002 jusqu'au 12 février 2003. Il présenta une demande de prestations le 6 mars 2003 et une période de prestations fut établie prenant effet le 16 février 2003. La Commission détermina par la suite que le prestataire avait perdu son travail à cause de sa propre inconduite et imposa une exclusion indéterminée des prestations à compter du 17 février 2003.

    Le prestataire en appela de la décision de la Commission au conseil arbitral qui accueillit l'appel. La Commission porta la décision du conseil devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Ottawa, Ontario le 3 décembre 2004. Le prestataire était présent.

    L'employeur indiquait que le prestataire avait été congédié parce qu'il avait quitté son travail sans aviser et que le lendemain il ne s'était pas présenté au travail et n'avait pas motivé son absence. Le prestataire avait déjà été averti à ce sujet. Il fut donc congédié.

    À la pièce 6, le prestataire avait reconnu qu'il était parti de son travail sans aviser « sur un coup de tête » à cause d'une surcharge de travail. Il indiquait qu'il n'avait pas discuté du problème de surcharge avec son employeur. Il a cependant nié avoir reçu un avertissement à ce sujet.

    Dans sa longue lettre d'appel au conseil arbitral, le prestataire a maintenu qu'il ne s'agissait pas d'un départ volontaire mais bien d'un congédiement. Il décrivait en détail ses tâches au travail. Il niait avoir reçu des avertissements pour avoir manqué du travail. Il insistait qu'il était assidûment au travail et avait remis un bon nombre de talons de paie confirmant qu'il avait toujours travaillé des semaines entières, travaillant souvent 60 heures par semaine. Il a expliqué qu'il avait quitté plus tôt une journée parce qu'il s'était blessé à la tête au travail. Il est resté chez-lui le lendemain et s'est présenté au travail comme toujours à 4h00 le jour suivant et a travaillé quelques heures avant de se faire aviser par son supérieur immédiat que le patron avait décidé de le congédier.

    À la pièce 9, le prestataire expliquait qu'il n'avait pas vu de médecin pour sa blessure à la tête parce qu'il ne s'agissait pas d'une blessure sérieuse. Il ajoutait qu'il n'était pas entré au travail le lendemain parce qu'il avait peur de la réaction de son patron.

    Le prestataire a comparu devant le conseil. Il a répété le témoignage qui se trouvait déjà au dossier et a ajouté que les conditions de travail était très difficiles. Le conseil a revu la preuve en détail et a conclu comme suit :

    « Le Conseil conclut que les gestes posés par le prestataire sont matière à congédiementmais qu'il ne rencontrent pas le test de la jurisprudence pour l'inconduite. Le Conseil a considéré les faits suivants en rendant sa décision : le témoignage du prestataire indique clairement qu'il n'était pas au courant de la gravité de la situation. Il s'est absenté suite à la condition du milieu de travail et la blessure mineure subie. Il est retourné le mercredi pour reprendre le travail avec une tâche différente. Il est l'opinion du Conseil que le prestataire n'a pas posé un geste qui pouvait rencontrer le test de l'inconduite : un geste insouciant, négligent et fait délibérément que le prestataire pouvait s'attendre d'être congédié. Le Conseil conclut que le geste méritait un congédiement mais que les circonstances, la compréhension du prestataire de la gravité du geste posé, ne rencontrait pas la définition de l'inconduite. »

    En appel, la Commission a soumis que le conseil avait erré en fait et en droit en concluant que le prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. La Commission a soumis que la preuve démontrait que le prestataire avait perdu son emploi pour des absences non motivées et que cela représentait de l'inconduite au sens de la Loi.

    Le conseil avait à déterminer si la conduite du prestataire constituait une inconduite au sens de l'article 30 de la Loi sur l'assurance-emploi; c'est-à-dire si les gestes du prestataire démontraient un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement de son contrat de travail (Nolet (A-517-91)), si l'inconduite était telle que le prestataire pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible d'être congédié à cause de sa conduite (Meunier (A-130-96)) et si l'inconduite était de caractère délibéré ou si insouciant qu'elle frôlait le délibéré (Tucker (A-381-85) et Brissette (A-1342-92)).

    Le conseil s'est penché sur les différents éléments constitutifs d'inconduite au sens de la Loi et a conclu que la conduite du prestataire ne rencontrait pas ce test. Le conseil a, entre autres, indiqué qu'il était d'avis que le prestataire n'était pas au courant de la gravité de la situation. Il aurait fourni une preuve démontrant une excellente assiduité et avait nié avoir reçu des avertissements. Ceci équivaut à une détermination que le prestataire ne pouvait prévoir qu'il serait congédié pour son geste. Le conseil a de plus déterminé sur la preuve présentée que le geste du prestataire n'avait pas la qualité d'insouciance ou de négligence requise pour constituer de l'inconduite au sens de la Loi, même si l'employeur pouvait quand même le congédier pour ce geste.

    Il a été établi dans la jurisprudence que l'appréciation subjective de l'employeur quant à l'existence d'une inconduite ne démontre pas en soi que cette inconduite rencontre le test d'inconduite au sens de la Loi. Dans l'affaire James Gates, CUB 43356, le juge Blais écrivait :

    « Je ne conteste pas l'appréciation subjective de l'employeur quant à l'existence d'une inconduite; néanmoins, je me réfère aux commentaires du juge Marceau dans Eppel (1995), 189 N.R. 191 (C.A.F.) à la page 195 :

    Il est possible de lire la décision de ce tribunal dans Canada (Procureur général) c. Jewell (1995), 175 N.R. 350 (CAF) comme soutenant la proposition que l'appréciation subjective de l'employeur quant à l'existence d'une inconduite serait exécutoire pour la Commission et pour le conseil arbitral. Toutefois, je crois qu'une telle interprétation irait au-delà de ce qui était l'essence de la réflexion des membres du conseil à cette occasion.

    [TRADUCTION]

    Je me réfère également à la décision rendue dans Diane Choinière c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, (CAF) 1997, (CUB 28142) :

    Toutefois, il semble d'après le dossier que cette soi-disant « version » décisive de l'employeur se soit limitée à une déclaration de l'un de ses représentants consignée par un agent de la Commission dans un texte de quelques lignes où il est indiqué laconiquement que l'employée a été renvoyée parce qu'elle a pris la journée de congé sans autorisation. Était-il possible d'utiliser uniquement cette « version » des faits pour conclure que la Commission s'était acquittée de son obligation de prouver que les conditions de l'article 28 étaient remplies?

    Nous ne le croyons pas, à la lumière des décisions de ce tribunal, qui en de nombreuses occasions récentes a répété que c'était une erreur que de penser un seul instant que l'opinion de l'employeur concernant l'existence d'une inconduite qui justifierait le renvoi pourrait suffire à déclencher la sanction, maintenant si sévère, de l'article 28, et qu'au contraire, une évaluation objective était nécessaire, suffisante pour dire que l'inconduite était en fait la cause de la perte de l'emploi. »

    La jurisprudence nous enseigne que le conseil arbitral est le maître dans l'appréciation de la preuve et des témoignages présentés devant lui. La Cour d'appel fédérale s'est exprimée ainsi sur ce sujet dans l'arrêt Guay (A-1036-96) :

    « De toute façon, dans tous les cas, c'est le conseil arbitral, le pivot de tout le système mis en place par la Loi, pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation, qui est celui qui doit apprécier. »

    La jurisprudence (Ash (A-115-94) et Ratté (A-255-95)) nous enseigne de plus qu'un juge-arbitre ne doit pas substituer son opinion à celle d'un conseil arbitral, sauf si sa décision lui paraît avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Dans l'arrêt Ash (supra) la juge Desjardins écrivait :

    « Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. Il y avait en outre une preuve abondante appuyant la conclusion de la majorité. »

    Et, plus récemment, dans l'arrêt Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau indiquait que le rôle d'un juge-arbitre se limite « à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier ».

    Dans le présent dossier, la décision du conseil est entièrement compatible avec la preuve au dossier. Le conseil pouvait, sur la preuve dont il était saisi, en venir à la conclusion que la Commission ne s'était pas dégagée du fardeau de prouver que le prestataire avait perdu son emploi en vertu de son inconduite.

    En conséquence, l'appel est rejeté.

    GUY GOULARD

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA, Ontario
    Le 17 décembre 2004

    2011-01-16