TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Patricia LOGAN
et
d'un appel interjeté par la prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Brantford (Ontario) le 3 mai 2005
DÉCISION
Le juge-arbitre GUY GOULARD
La prestataire a présenté une demande de prestations de maladie, laquelle a pris effet le 1er février 2004. Elle a reçu des prestations de maladie pendant quinze semaines. Puis, le 11 février 2005, elle a présenté une demande de prestations régulières. La Commission a refusé d'établir une période de prestations parce que, au cours de sa période de référence, la prestataire n'avait pas accumulé le nombre minimal d'heures d'emploi assurable requis pour avoir droit aux prestations. Il lui aurait fallu 665 heures d'emploi assurable et elle n'avait exercé aucun emploi assurable depuis le 30 janvier 2004. Le 13 mars 2005, la prestataire a demandé que sa demande de prestations soit antidatée afin qu'elle prenne effet le 5 mai 2004. La Commission a déterminé que la prestataire n'avait pas démontré qu'elle avait un motif valable justifiant son retard à présenter une demande de prestations et a rejeté la demande d'antidatation.
La prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission de refuser d'antidater sa demande devant un conseil arbitral, lequel a rejeté l'appel. Elle a ensuite porté la décision du conseil en appel. Le présent appel a été instruit à Brantford (Ontario) le 26 octobre 2005 en présence de la prestataire.
La prestataire a expliqué qu'elle avait tardé à présenter une demande de prestations parce qu'elle croyait avoir encore un emploi et qu'elle ne pouvait donc pas demander des prestations. Elle était certaine de retourner au travail et allait régulièrement porter les rapports du médecin sur l'évolution de son rétablissement, espérant qu'elle serait capable de réintégrer son poste. Chaque fois, on lui disait de prendre encore du temps pour se rétablir complètement. Au cours de l'audience devant le conseil, la prestataire a affirmé que pendant la période où elle ne travaillait pas, elle avait appelé au bureau de la Commission et on lui avait dit qu'elle devrait peut-être demander des prestations d'invalidité et un formulaire lui avait été envoyé à cette fin. Elle a précisé que, à partir du moment où elle a appris qu'on avait mis fin à son emploi, elle s'est considérée comme une personne en chômage et a présenté une demande de prestations.
Le conseil a examiné les éléments de preuve et a conclu que la prestataire n'avait pas démontré qu'elle avait un motif valable justifiant son retard puisqu'elle n'avait pas communiqué avec la Commission pour s'informer de ses droits et obligations relativement à sa demande de prestations. Le conseil n'arrivait pas à comprendre pourquoi la prestataire n'avait pas communiqué avec la Commission pendant la période de plusieurs mois où elle ne touchait aucun revenu.
Or, il a été établi que le fait qu'une personne croit qu'elle a toujours un emploi peut constituer un motif valable justifiant un retard à présenter une demande de prestations (décisions CUB 15236A et 24908). Dans la décision CUB 15236A, le juge Strayer s'est exprimé en ces termes :
« Il soutient également qu'une fois réengagé il n'était pas obligé de présenter une demande dans le délai prescrit puisque, selon la jurisprudence, le fait qu'une personne croit avoir un emploi constitue un motif valable pour ne pas présenter de demande de prestations. Cette jurisprudence s'applique aux situations ambiguës où une personne croit avoir un emploi alors qu'en fait ce n'est pas le cas. »
[Traduction]
Et, dans la décision CUB 24908, le juge Rouleau a écrit ce qui suit :
« Bien que je sois d'accord que la décision Albrecht appuie le fait que le Parlement a voulu que l'on observe strictement les règles relatives à la demande de prestations, et ce, afin de faciliter le travail de la Commission, elle indique néanmoins que la détermination du « motif justifiant » le retard de la présentation de la demande « n'est pas une question de fait et de pouvoir discrétionnaire, mais bien une question de fait et de qualification. La question est une question mixte de fait et de droit ». Un juge-arbitre peut intervenir dans certaines circonstances pour modifier la décision rendue par un conseil arbitral. Cette décision confirme le principe selon lequel l'ignorance de la loi n'est pas un « motif justifiant » le retard, mais les circonstances de l'affaire dont je suis saisi sont différentes. Le juge Marceau a écrit ce qui suit :
À mon avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la Loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un « motif valable » s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi dans ce cas. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n'existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d'un critère exclusivement objectif. Je crois cependant que c'est là, ce que le législateur avait en vue et c'est, à mon avis, ce que la justice commande.
La Cour d'appel a conclu que ce qu'il faut considérer, c'est ce que l'on « attendrait d'une personne raisonnable ». »
Dans l'affaire qui nous occupe, la prestataire faisait tout ce qu'elle pouvait pour reprendre l'emploi qu'elle croyait toujours avoir. Elle se rendait régulièrement chez son médecin pour aller chercher un rapport médical sur son rétablissement et l'apportait à son employeur. Elle considérait qu'elle avait encore un emploi et qu'elle n'avait donc pas droit aux prestations d'assurance-emploi. Cette situation n'est pas attribuable à une mauvaise interprétation des dispositions législatives et des droits conférés par la loi mais plutôt au fait que le statut de la prestataire n'était pas clair. Elle avait encore un emploi et espérait être en mesure de réintégrer son poste. Le conseil a donc commis une erreur de droit en n'admettant pas ce fait.
Par conséquent, l'appel est accueilli et la décision du conseil est annulée.
Guy Goulard
Juge-arbitre
OTTAWA (Ontario)
Le 10 novembre 2005