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  • CUB 65711

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    Hsiang Mei KOO

    et

    d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Richmond Hill (Ontario) le 13 mai 2005

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    La prestataire a travaillé pour Lintek Holdings du 22 juin au 5 novembre 2004. Elle a présenté une demande de prestations le 17 janvier 2005 et a demandé que cette dernière soit antidatée pour prendre effet le 7 novembre 2004. La Commission a refusé d'accorder une antidatation à la prestataire parce que cette dernière n'avait pas démontré qu'elle avait un motif de retard valable.

    La prestataire a appelé de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, lequel a accueilli son appel. La Commission a interjeté appel de la décision du conseil; cet appel a été instruit à Toronto, en Ontario, le 2 mars 2006, en l'absence de la prestataire. La prestataire avait appelé au bureau de la greffière pour expliquer qu'elle ne pouvait pas assister à l'audience car elle venait de commencer un nouvel emploi. Elle a donc demandé qu'une décision soit rendue sur la foi du dossier.

    La Commission estime que le conseil a commis une erreur de droit en concluant que la prestataire avait un motif valable de tarder à présenter sa demande. La prestataire a invoqué comme motif de retard qu'elle était persuadée qu'il lui fallait obtenir son relevé d'emploi avant de pouvoir présenter une demande et elle a attendu d'avoir ce document en main avant de faire sa demande. Elle ne s'est pas informée auprès de la Commission de ses droits et obligations relativement à la demande de prestations; par conséquent la Commission considère qu'elle ne satisfait pas au critère établi dans la jurisprudence concernant les raisons pouvant constituer des motifs valables pour avoir tardé à présenter une demande de prestations. La Commission s'appuie sur la jurisprudence ayant établi que la bonne foi et l'ignorance de la loi ne constituent pas des motifs de retard valables, en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi sur l'assurance-emploi.

    En l'espèce, la prestataire a expliqué dans sa demande d'antidatation qu'elle attendait d'avoir reçu son relevé d'emploi avant de faire sa demande. Elle a de plus indiqué qu'il lui manquait son dernier talon de chèque, qu'elle a reçu par la suite. Elle a joint une copie de son talon de chèque à sa demande d'antidatation.

    Dans sa lettre d'appel devant le conseil arbitral, la prestataire explique qu'elle a eu beaucoup de difficulté à obtenir son dernier talon de chèque et son relevé d'emploi. Elle s'est même rendue au ministère du Travail dans l'espoir d'accélérer les choses, mais cela n'a pas aidé du tout; l'administration tournait au ralenti dans tous les services parce que c'était la période des Fêtes. Elle décrit tous les efforts qu'elle a déployés pour tenter de régler la situation. Quant un représentant du ministère du Travail lui a dit qu'il fallait bien compter 120 jours avant de connaître les résultats de l'enquête, elle a communiqué avec un agent de la Commission pour obtenir conseil. Ce dernier lui a dit de présenter sa demande sans attendre d'avoir reçu son relevé d'emploi, et c'est ce qu'elle s'est empressée de faire, en se rendant sur place dans les bureaux de la Commision.

    La prestataire a comparu devant le conseil, qui a pris connaissance de la preuve et a accueilli l'appel pour les raisons suivantes :

    « Dans ses demandes précédentes, la prestataire a toujours reçu son RE le jour de son départ. Par conséquent, elle croyait sincèrement avoir besoin de son RE avant de présenter une demande. Elle croyait également qu'elle devait avoir des nouvelles du ministère du Travail au sujet de sa plainte avant de pouvoir présenter une demande de prestations d'assurance-emploi. De plus, la prestataire avait besoin d'argent et elle n'avait aucune raison pour tarder à présenter sa demande de prestations.

    Compte tenu des faits au dossier et étant donné ce qui précède, le conseil convient d'accueillir l'appel de la prestataire, aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi.

    Nous concluons que la prestataire était très crédible et décidons qu'elle avait un motif valable pour tarder pendant toute la période visée. Elle n'a obtenu son RE qu'en mars 2005 et des nouvelles du ministère du Travail le 14 janvier 2005. »

    Je constate que le conseil, en l'espèce, a pris en considération l'effet cumulatif de plusieurs facteurs mentionnés par la prestataire comme autant de raisons pour avoir tardé à présenter sa demande. Un des facteurs qui me semble primordial est le fait qu'il s'agit somme toute d'un bien léger retard, si l'on tient compte du fait qu'il englobe la période des Fêtes et aussi du fait que la prestataire était persuadée, d'après son expérience, qu'il lui fallait attendre d'avoir reçu son relevé d'emploi avant de présenter une demande de prestations. Il ne s'agit pas ici d'un retard de plusieurs mois, mais d'environ six semaines, en comptant à partir de la date à laquelle la demande aurait dû être faite. D'autre part la prestataire n'est pas restée là à ne rien faire sans s'inquiéter de sa demande durant tout ce temps. Elle s'est au contraire démenée pour essayer d'obtenir les documents dont elle croyait avoir besoin pour présenter une demande. Quand un agent lui a dit qu'elle n'avait pas besoin de ces documents pour faire sa demande, elle s'est rendue immédiatement aux bureaux de la Commission pour la présenter. Je considère que la prestataire a fourni des raisons valables pour avoir tardé à présenter sa demande, compte tenu des circonstances et de tous les efforts qu'elle a déployés pour tenter de régler la situation. Étant donné le caractère social de la Loi sur l'assurance-emploi, j'estime qu'il faut accorder le bénéfice du doute aux prestataires dans les situations de ce genre, plutôt que de se servir de la loi pour les empêcher de s'en prévaloir. C'est d'ailleurs le point de vue qu'a clairement exposé le juge Muldoon dans la décision CUB 9958 :

    « Le Parlement n'a jamais décrété que l'ignorance de cette Loi soit une malchance de plus pour les chômeurs qui ne sont pas assez instruits, érudits ou raffinés pour présenter des demandes dans le délai prescrit. Dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit pas d'un tricheur indigne, mais d'un prestataire ordinaire et honnête qui était en retard. La politique de la Loi est d'offrir des prestations pour lesquelles les prestataires ont payé leurs cotisations et non pas chercher des excuses pour retenir ces prestations. Ici encore, dans cette perspective, l'intention du Parlement lorsqu'il a décrété le paragraphe 20(4) semble assez claire: le juge-arbitre n'a qu'à déterminer si ce prestataire, dans ces circonstances particulières, a fait valoir "un motif justifiant son retard" lorsqu'il a formulé sa demande de prestations. Chaque fois qu'il blâme un prestataire de ne pas connaître cette Loi complexe, le juge-arbitre n'est pas obligé de faire rejeter sa demande tardive. L'ignorance de la Loi, en particulier si elle est volontairement cultivée, peut fort bien jouer contre une demande tardive ou contre toute autre procédure dans laquelle il incombe au prestataire de faire valoir qu'il avait un motif valable de ne pas respecter les normes imposées par ce régime d'assurance. Ce n'est qu'un facteur que le juge-arbitre doit considérer, mais il n'exclut pas automatiquement ou inévitablement la demande de prestations tardive de la part du prestataire, car il est évident que là n'est pas l'intention du Parlement. »

    Et dans la décision CUB 16498, le juge-arbitre fait valoir qu'il est important de prendre en considération tous les facteurs pertinents, et notamment la durée de la période écoulée, avant de déterminer si le prestataire avait un motif valable de tarder à présenter une demande de prestations. Voici ce qu'il écrit :

    « En ce qui concerne le prestataire de bonne foi, il ne lui suffit pas de démontrer qu'il ignorait les règles. Il doit également prouver qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable compte tenu des circonstances. Ce principe a été établi clairement par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Procureur général du Canada c. Albrecht, [1985) 1 C.F. 710. La longueur du retard pour présenter une demande peut également être prise en considération. Par exemple, dans l'affaire Foley (CUB 12454), le juge-arbitre en chef Jerome a estimé que le fait d'attendre trois semaines pour recevoir un relevé d'emploi pouvait constituer un motif valable, décision qui était différente de celle rendue dans l'affaire Middleton (CUB 10994) où le retard pour le même motif était de trois mois. »

    Les pouvoirs du juge-arbitre sont limités par les dispositions du paragraphe 115(2) de la Loi sur l'assurance-emploi. À moins que le conseil arbitral ait omis d'observer un principe de justice naturelle, qu'il ait rendu une décision entachée d'une erreur de droit ou qu'il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le juge-arbitre est tenu de rejeter l'appel.

    Dans Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a déclaré que le rôle d'un juge-arbitre se limitait à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier.

    La Commission n'a pas prouvé que le conseil arbitral avait commis une erreur en rendant sa décision. La décision du conseil, bien au contraire, est fondée sur les faits portés à sa connaissance, lesquels démontrent clairement que la prestataire avait effectivement eu un motif valable de tarder à présenter sa demande de prestations.

    En conséquence, l'appel est rejeté.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    le 20 avril 2006

    2011-01-16