TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande présentée par
JULIA COURCHENE
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Winnipeg (Manitoba) le 2 novembre 2005
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-294-06
DÉCISION
Le juge-arbitre PAUL ROULEAU
La prestataire interjette appel d'une décision rendue par le conseil arbitral, qui a déterminé qu'elle avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Compte tenu de la décision qu'il a rendue, le conseil a maintenu l'exclusion du bénéfice des prestations pour une période indéfinie qu'avait imposée la Commission à la prestataire en application des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi.
Mme Courchene a présenté une demande de prestations le 29 juillet 2005. Selon les renseignements qui figurent sur le relevé d'emploi fourni à l'appui de la demande, la prestataire, qui occupait un poste de travailleuse spécialisée dans le mieux-être de la communauté au Centre autochtone de la santé et du bien-être de Winnipeg, a été congédiée le 15 juillet 2005. La Commission a communiqué avec l'employeur. Ce dernier l'a avisée que la prestataire avait été congédiée en raison de divers problèmes de discipline : elle n'accomplissait pas certaines tâches administratives, elle n'effectuait pas toujours ses visites à domicile et elle avait tendance à mentir par rapport à ses allées et venues. La prestataire avait reçu des avertissements écrits et avait déjà été suspendue. Lorsque l'employeur a appris que la prestataire vendait des produits de tabac qu'elle s'était procurés sur la réserve, sans qu'aucune taxe ne soit jamais perçue, il l'a congédiée.
La Commission a avisé la prestataire des raisons qu'avait fournies l'employeur pour expliquer son congédiement. Mme Courchene a soutenu que son superviseur l'avait harcelée jusqu'à ce qu'elle finisse par quitter l'organisation. Elle a ajouté qu'un grief pour congédiement injustifié avait été présenté par son syndicat. La prestataire a indiqué que son superviseur procédait régulièrement à des vérifications judiciaires de son dossier et c'est pour cette raison qu'elle semblait accuser du retard dans ses tâches administratives. Elle a soutenu que son travail était à jour et qu'aucun autre de ses collègues ne faisait l'objet de ce genre de vérifications. Mme Courchene a indiqué qu'elle avait reçu des avertissements pour des transgressions mineures, par exemple parce qu'elle était arrivée au travail quelques secondes en retard. La prestataire n'a pas nié avoir vendu des produits du tabac qu'elle s'était procurés sur la réserve, et ce, sans percevoir ni payer de taxes. Elle a simplement déclaré qu'elle l'avait fait pour rendre service à un ami, et qu'elle n'avait fait aucun profit sur la vente.
À la lumière de ces renseignements, la Commission a déterminé que la prestataire n'était pas admissible au bénéfice des prestations régulières puisqu'elle avait perdu son emploi en raison de son inconduite. La prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral. Le conseil a fait remarquer que le processus de médiation et d'arbitrage entrepris dans le cadre du grief déposé par Mme Courchene était terminé, et que les renseignements concernant la cessation d'emploi de la prestataire avaient été modifiés. En effet, il a précisé qu'il était maintenant indiqué que la décision de mettre fin à la période d'emploi avait été prise « d'un commun accord ». Toutefois, le conseil s'est appuyé sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (A.G.) v. Boulton (1996), 208 N.R. 63 pour conclure que rien dans l'entente à l'amiable conclue entre la prestataire et l'employeur ne permettait de conclure que ce dernier avait retiré l'allégation d'inconduite qu'il avait formulée à l'encontre de la prestataire. Le conseil a conclu ce qui suit :
En l'espèce, le conseil conclut que les explications concernant les événements ayant entraîné le congédiement de Mme Flett, lesquelles figurent dans les documents fournis par la Commission, satisfont à la définition de l'inconduite établie dans la Loi. La prestataire n'a fourni aucun document permettant de réfuter la preuve présentée par l'employeur dans les pièces 5.1 à 5.4.
Pendant la période d'emploi de la prestataire, des notes portant sur le rendement insatisfaisant de cette dernière ont été versées à son dossier, plusieurs avertissements verbaux et écrits ont été émis et la prestataire a été suspendue pendant une journée. Dans son évaluation du rendement annuelle, en décembre 2004, la prestataire a été avisée que son rendement dans plusieurs domaines devait s'améliorer. De ce moment-là jusqu'à la date de son congédiement, dix autres avis, indiquant qu'aucune amélioration n'avait été observée, ont été versés à son dossier. La prestataire a choisi, de façon délibérée et intentionnelle, de ne pas tenir compte des avertissements de son employeur, ce qui a mené directement à son congédiement. La décision rendue par la Commission à cet égard est confirmée.
[Traduction]
La prestataire interjette maintenant appel devant un juge-arbitre au motif que le conseil a commis une erreur de droit et de fait lorsqu'il a rendu sa décision et qu'il a manqué aux principes de justice naturelle. Dans sa lettre d'appel (pièce 18), la prestataire soutient que comme le conseil a fait référence à « Mme Flett » dans sa décision, il est possible qu'il ait, par inadvertance, tenu compte des éléments de preuve concernant l'inconduite de Mme Flett lorsqu'il a examiné le dossier de Mme Courchene, ce qui constitue un manquement à la justice naturelle (voir pièce 17.6). En outre, le représentant de la prestataire déclare que le conseil s'est fondé sur des ouï-dire pour rendre sa décision et qu'il n'a pas observé les principes de justice naturelle lorsqu'il s'est appuyé sur des éléments de preuve que l'employeur s'était engagé à détruire en date du 1er mars 2005. Il ajoute que le conseil a erré en droit lorsqu'il a conclu que le fait que la prestataire n'ait pas fourni de documents réfutant la preuve de l'employeur suffisait à corroborer la preuve de l'employeur, selon laquelle la prestataire avait fait preuve d'inconduite. En outre, le représentant indique que le conseil a erré en droit lorsqu'il a déterminé que la conduite de la prestataire constituait de l'inconduite et que les actes reprochés à la prestataire avaient un « caractère délibéré ou résultaient d'une insouciance telle qu'ils frôlaient le caractère délibéré ». Enfin, selon le représentant, le conseil a erré en droit lorsqu'il a omis de tenir compte du sous-alinéa 29c)(x) de la Loi sur l'assurance-emploi, et donc omis de considérer que la prestataire pouvait avoir quitté volontairement son emploi en raison de « relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur ».
Dans une lettre du 26 janvier 2006, l'employeur fait des observations par rapport à l'appel qu'a interjeté la prestataire auprès du juge-arbitre. L'employeur soutient que le fait qu'il ait conclu une entente avec la Manitoba Association of Health Care Professionals ne signifie pas que la prestataire n'a pas fait preuve d'inconduite. L'employeur dit avoir permis à la prestataire de démissionner, lui avoir versé une somme équivalant à douze semaines de salaire et lui avoir fourni une lettre confirmant son emploi et énonçant les tâches qu'elle accomplissait, afin d'éviter d'avoir à payer les frais juridiques élevés auxquels aurait donné lieu l'audience d'arbitrage. L'employeur ne reconnaît aucunement que des conflits de personnalité existaient entre la prestataire et ses employés ni que ces derniers ont fait preuve de discrimination envers la prestataire.
Selon moi, il convient de déterminer quelle incidence l'entente conclue peut avoir sur la question d'établir si la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Comme l'a souligné avec raison le conseil arbitral, l'incidence que peut avoir un règlement de grief dans le cadre d'un appel interjeté devant un juge-arbitre a été traitée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Boulton :
L'avocat représentant le procureur général ne conteste pas la conclusion du juge-arbitre sur l'admissibilité en preuve de la transaction. Il a par contre réduit le point litigieux à la question de savoir si celui-ci a commis une erreur en invoquant l'existence d'un règlement de grief entre l'employeur et le prestataire pour conclure que le premier a retiré son argument initial que le second avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. [...]
Le simple fait qu'il existe une transaction ne tranche pas la question de savoir si l'employé a été renvoyé en raison de sa propre inconduite; v. Canada (Procureur général) c. Peruse, décision non rapportée, no A-309-81, 14 décembre 1981 [...] Il appartient au conseil arbitral d'examiner les preuves et témoignages et d'en tirer les conséquences de droit. Il n'est pas lié par la manière dont les motifs de renvoi sont qualifiés par l'employeur et l'employé ou un tiers.
Nous sommes aussi d'avis que rien dans la transaction en question ne permet de conclure que l'employeur a retiré l'allégation [...] faite contre le prestataire. Cette transaction ne renferme aucun aveu exprès ou implicite que les faits consignés dans le dossier déposé auprès de la Commission étaient mal rapportés ou ne s'accordaient pas avec les événements survenus le 8 octobre 1993. En bref, rien dans cette transaction ne suscite des doutes quant à la décision majoritaire du conseil arbitral. [...]
[...] avant qu'une transaction puisse être invoquée pour réfuter une constatation antérieure d'inconduite, il faut qu'il y ait une preuve quelconque en la matière qui neutraliserait la position prise par l'employeur durant l'enquête de la Commission ou lors de l'audience du conseil arbitral. À notre avis, la transaction en question n'a pas cet effet. Ce qui ne signifie pas que les transactions ne puissent être admises en preuve pour réfuter la conclusion tirée par la Commission que le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Dans le cas par exemple où la transaction prévoit la réintégration ou le paiement d'une compensation substantielle à l'employé, elle constitue une preuve dont il faut vraiment tenir compte.
(Soulignement ajouté)
À mon avis, le conseil arbitral n'a pas appliqué les principes de droit susmentionnés de façon appropriée. En effet, le conseil ne disposait pas d'une copie de l'entente intervenue. La Commission n'a reçu le document que le 3 janvier 2006, soit deux mois après que le conseil eut rendu sa décision. Par conséquent, le conseil n'était aucunement en mesure de déterminer si l'entente appuyait ou non une conclusion d'inconduite. Le conseil arbitral s'est limité à tenir pour acquis que le fait qu'une entente soit intervenue ne pouvait avoir aucune incidence sur la conclusion de la Commission selon laquelle la prestataire avait fait preuve d'inconduite. À la lumière de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Boulton, il ne fait aucun doute qu'il s'agit là d'une erreur de droit qui justifie que la décision du conseil soit annulée.
Les paragraphes 2 à 8 de l'entente (pièces 18-31 à 18-33) sont libellés ainsi :
2. L'employeur retire sa lettre de congédiement, datée du.
3. L'employeur versera à l'employée une somme équivalant à douze semaines de salaire, au taux de rémunération habituel de l'employée, moins les déductions nécessaires.
4. L'employée fournira à l'employeur une lettre de démission prenant effet le 21 juillet 2005, rédigée selon le modèle fourni à l'annexe « A ». Cette lettre sera versée au dossier de l'employée.
5. L'employeur retirera du dossier de l'employée tous les avertissements ainsi que la lettre de congédiement, c'est-à-dire les documents portant sur les questions qui ont fait l'objet de griefs. L'employeur versera au dossier de l'employée une copie de la présente entente.
6. L'employeur fournira à l'employée une lettre confirmant sa période d'emploi, le titre de son poste, certaines de ses tâches et de ses responsabilités, et son plus récent taux de rémunération. Cette lettre sera rédigée selon le modèle fourni à l'annexe « B ».
7. L'employeur accepte que toute demande présentée par un employeur éventuel au sujet de l'employée soit traitée uniquement par Mme Darlene Hall, directrice administrative de l'entreprise, et que les commentaires fournis par Mme Hall soient tous conformes à ceux présentés à l'annexe « B » et qu'ils s'y limitent.
8. L'employeur remplira un relevé d'emploi modifié, dans lequel il indiquera que la décision de mettre fin à la période d'emploi de l'employée a été prise d'un commun accord.
[Traduction]
D'après ce que je comprends de cette entente, on ne peut conclure à une inconduite de la part de la prestataire. En effet, les dispositions de l'entente sont sans équivoque. D'abord, la prestataire ne travaille plus au Centre autochtone de la santé et du bien-être de Winnipeg, et la décision de mettre fin à la période d'emploi a été prise d'un « commun accord » (voir le relevé d'emploi modifié qui figure à la pièce 11). En outre, tous les documents portant sur des questions disciplinaires ainsi que la lettre de congédiement de la prestataire devaient être retirés du dossier de Mme Courchene. De plus, l'employeur a accepté de verser à la prestataire une somme correspondant à douze semaines de salaire et de lui fournir une lettre confirmant sa période d'emploi et ses tâches. Contrairement à l'entente à l'amiable dont il est fait mention dans l'arrêt Boulton, l'entente en l'espèce va totalement à l'encontre d'une conclusion d'inconduite.
Pour tous ces motifs, l'appel interjeté par la prestataire est accueilli et la décision du conseil est annulée.
Paul Rouleau
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 31 mai 2006