TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande présentée par
JEFF CLARK
- et -
d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la Commission de l'assurance-emploi du Canada à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Winnipeg (Manitoba) le 15 septembre 2005
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-315-06
DÉCISION
Le juge-arbitre PAUL ROULEAU
Il s'agit d'un appel interjeté par la Commission de l'assurance-emploi du Canada à l'encontre d'une décision du conseil arbitral selon laquelle le prestataire n'a pas perdu son emploi à cause de son inconduite et par conséquent, était admissible au bénéfice des prestations.
M. Clark a présenté une demande de prestations le 16 juin 2005. Il a travaillé pour Chase Autobody Supplies Ltd. comme expéditeur-réceptionnaire du 20 août 2002 au 3 juin 2005, date à laquelle il a été congédié. La Commission a appris de l'employeur qu'il avait mis fin à l'emploi de M. Clark parce que ce dernier n'avait pas renouvelé son permis de conduire et qu'il était sans permis depuis le début de décembre 2004. L'employeur soutenait que le poste qu'occupait le prestataire exigeait un permis de conduire car l'employé devait être en mesure de faire des livraisons. M. Clark a expliqué qu'il n'avait pas renouvelé son permis parce que cela lui aurait coûté plus de 1000 $ à cause d'infractions aux règlements de la circulation dont les amendes n'avaient pas été payées. Comme il n'avait pas les moyens de payer une telle somme il a tout simplement décidé de ne pas renouveler son permis et d'utiliser les transports en commun pour faire l'aller retour entre son domicile et son lieu de travail. Il précise que son employeur ne lui avait jamais demandé de faire de livraison.
Quand la Commission a fait part à l'employeur des explications du prestataire, celui-ci a déclaré que les ouvriers d'entrepôt sont avisés au moment de leur embauche qu'ils doivent détenir un permis de conduire valide car on pourrait leur demander en tout temps d'effectuer une livraison. L'employeur a fourni à la Commission une copie de l'annonce publiée dans le journal pour le poste du prestataire, dans laquelle il est clairement indiqué que les candidats doivent obligatoirement posséder un permis de conduire valide. M. Clark a déclaré qu'il avait un permis de conduire valide quand il a été embauché, mais que jamais l'employeur ne lui avait demandé de faire une livraison durant les trois années où il avait travaillé pour lui. Il a toutefois précisé qu'après la réorganisation de l'entreprise on lui avait effectivement demandé d'effectuer une livraison, mais qu'il avait dû refuser. L'employeur lui a alors dit qu'il avait jusqu'au 3 juin 2005 pour renouveler son permis, mais comme il ne l'a pas fait, il a été congédié, et ce, une semaine après avoir reçu l'avertissement en question.
Se fondant sur cette information, la Commission a décidé d'exclure le prestataire du bénéfice des prestations, conformément aux dispositions du paragraphe 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, considérant qu'il avait perdu son emploi à cause de son inconduite.
Le prestataire a appelé de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui, après avoir pris connaissance du dossier et entendu les arguments de M. Clark, a accueilli l'appel, pour les raisons suivantes :
Dans cette affaire, le prestataire a travaillé longtemps pour l'entreprise sans détenir de permis de conduire valide. Comme il ne faisait pas de livraisons, il n'a pas posé de geste pouvant nuire aux intérêts de l'employeur. La première fois qu'on lui a demandé d'effectuer une livraison, il a refusé, en expliquant à son employeur que son permis n'était plus valide. Le prestataire avait des raisons valables pour ne pas avoir encore renouvelé son permis de conduire au moment où il a été congédié. Il n'avait pas les moyens de payer les amendes substantielles qui lui avaient été imposées et dont la plupart étaient liées à des infractions dont il n'était pas l'auteur. Le prestataire se trouvait dans une situation financière difficile et l'employeur n'a pas offert de l'aider.
La Commission a par ailleurs fait valoir que la possession d'un permis de conduire valide faisait partie des exigences du contrat de travail du prestataire, mais en fait, cette exigence n'était pas appliquée dans le milieu de travail et cela ne semblait pas avoir une grande importance jusqu'au jour où on a décidé de congédier le prestataire. En réalité le prestataire a agi dans l'intérêt de l'employeur en l'avisant de l'expiration de son permis de conduire et en refusant de prendre le volant, pour ne pas risquer de mettre l'entreprise dans l'embarras.
Le prestataire était un bon employé, mais malheureusement, il était aux prises avec de sérieux problèmes financiers. Le jour où il a voulu renouveler son permis il a constaté qu'il n'avait plus que 100 $ dans son compte de banque et 65 $ dans sa poche, alors que le coût du renouvellement dépassait les 1000 $. Le conseil estime que M. Clark a sincèrement fait ce qu'il a pu pour remplir les obligations de son contrat de travail et se conformer aux directives de son employeur, mais que les circonstances ont joué contre lui.
Le conseil constate qu'il n'y a aucun élément de preuve attestant qu'on ait demandé au prestataire de conduire un véhicule à un moment ou un autre de la période qu'il a passée à l'emploi de cette entreprise. L'entreprise avait classé le poste comme étant un emploi d'« expéditeur-réceptionnaire » (pièce 3-1), ce qui selon M. Clark peut être vérifié en consultant le registre du poste de travail. Compte tenu des tâches qui lui étaient dévolues durant sa période d'emploi, on ne peut pas conclure que le prestataire ait posé un geste volontaire ou délibéré ou qu'il ait fait preuve d'une négligence qui risquaient de lui faire perdre son emploi ou de nuire à son employeur. Sa conduite n'était pas délibérée; par conséquent on ne peut l'accuser de s'être rendu coupable d'inconduite.
Compte tenu de toutes les circonstances et de la preuve portée à sa connaissance, le conseil a conclu que le prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite.
[traduction]
La Commission interjette maintenant appel devant un juge-arbitre, au motif que le conseil a commis une erreur de droit et de fait en rendant sa décision. Contrairement à ce que le conseil a déclaré dans sa conclusion, elle soutient qu'il est clair d'après la preuve au dossier que l'employeur exigeait du prestataire qu'il possède un permis de conduire valide pour travailler comme expéditeur-réceptionnaire, car on pouvait lui demander à tout moment de faire des livraisons. De plus, le conseil disposait d'une preuve selon laquelle il était écrit noir sur blanc dans les conditions d'emploi du prestataire qu'il devait posséder un permis de conduire valide et le non-respect de cette exigence pouvait entraîner sur-le-champ son congédiement.
À mon avis il n'y a aucune raison en l'espèce justifiant qu'un juge-arbitre intervienne pour modifier la décision rendue par le conseil arbitral. La conclusion du conseil, selon laquelle le prestataire ne s'est pas rendu coupable d'inconduite, a été tirée en tenant compte de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance. Lorsque la décision d'un conseil arbitral est contestée au motif qu'elle était fondée sur une conclusion de fait erronée, le rôle du juge-arbitre se borne à vérifier et à déterminer si l'appréciation de la preuve par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés à sa connaissance. Autrement dit, le critère applicable est le suivant : y avait-il une preuve au dossier sur laquelle pouvait se fonder le conseil pour en venir à la conclusion à laquelle il en est venu, sans commettre d'erreur en appliquant les principes de droit? Et ce, même si le juge-arbitre en serait peut-être venu de son côté à une autre conclusion. Un juge-arbitre ne peut tirer une conclusion de fait différente de celle qu'a tirée le conseil arbitral, à moins que ce dernier n'ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Or j'estime qu'en l'espèce, le conseil arbitral disposait d'une preuve suffisante pour conclure que compte tenu de tous les éléments portés à sa connaissance, le prestataire ne s'est pas rendu coupable d'inconduite. Sa conclusion est raisonnable, considérant les faits qui lui ont été présentés, et en tant que juge-arbitre, je n'ai pas le droit de substituer mon appréciation des faits à celle d'un conseil arbitral.
Paul Rouleau
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 8 juin 2006