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  • CUB 65977

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande présentée par
    ROSE CHRISTIUK

    - et -

    d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Winnipeg (Manitoba) le 2 décembre 2005

    DÉCISION

    Le juge-arbitre PAUL ROULEAU

    Il s'agit d'un appel interjeté par la prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral le 2 décembre 2005, selon laquelle cette dernière n'était pas admissible au bénéfice des prestations car elle a quitté volontairement son emploi sans justification.

    Mme Christiuk a présenté une demande de prestations le 12 juillet 2005, dans laquelle elle a indiqué qu'elle était au chômage car elle avait quitté l'emploi d'opératrice sur presse qu'elle occupait dans l'entreprise LKM Parts Mfg. Ltd., à Aurora, en Ontario. À la suite d'une enquête menée par la Commission, il a été établi que Mme Christiuk n'avait pas droit aux prestations car elle avait quitté volontairement son emploi sans justification le 17 juin 2005. La prestataire a appelé de cette décision devant un conseil arbitral, en invoquant les raisons suivantes comme motifs de départ dans sa lettre d'appel datée du 12 août 2005 (pièce 8) :

    Je porte en appel la décision selon laquelle mon départ volontaire n'était pas fondé. Je vais tâcher de vous expliquer clairement mon point de vue et je vais ensuite vous exposer en détail ma situation actuelle et vous parler de ce que j'ai vécu ces dernières années.

    J'ai travaillé quatre ans et demi pour l'entreprise et les derniers temps, la situation empirait de jour en jour. Il s'agissait d'une toute petite entreprise comptant tout au plus cinq employés (les jours où on était gâté), travaillant comme opérateurs de presse à estamper les métaux. Ce qui me démoralisait le plus c'était de travailler quotidiennement dans un milieu strictement masculin et macho. Il m'arrivait souvent de pleurer au travail car je n'étais plus capable de supporter davantage la méchanceté dont on faisait preuve à mon égard.

    Le propriétaire de l'entreprise, M. K., n'arrêtait pas de crier après ses employés, de les insulter et de leur lancer des injures et je n'y échappais pas. Pour ma part je suis le genre de personne qui encaisse sans rien dire. La plupart des nouveaux arrivants repartaient aussitôt et on n'en entendait plus jamais parler. Ils entraient pour ainsi dire par une porte et sortaient par une autre. Dans une boutique de cette taille il n'y a personne à qui adresser ses doléances. La Commission de l'assurance-emploi de même que l'agence de placement temporaire de Newmarket avec laquelle l'employeur faisait affaire ont toutes deux reçu des plaintes contre lui, car on trouve qu'il n'est pas facile de travailler avec lui. Je lui ai donné un préavis de départ d'environ quatre mois, et deux semaines avant mon départ il m'a dit devant mes collègues : « Je ne peux pas te dire à quel point j'ai hâte que tu partes d'ici. Je me demande ce que tu fais encore ici; tu aurais dû rester chez toi! » Il va sans dire que je ne pouvais plus continuer plus longtemps à travailler là. Ça ne servait à rien de se plaindre à qui que ce soit, parce que la personne en question ne changera jamais; c'est sa personnalité qui est ainsi. Quand le patron a appris qu'un des employés prenait des médicaments contre le stress à cause de ce qui se passait au travail, il l'a traité de tous les noms et a ri de lui en disant qu'il n'était pas capable de faire face à la situation. C'était chacun pour soi comme on dit, à cet endroit-là. En ce qui me concerne j'ai fait ce que j'ai pu pour me défendre, mais à la longue cette situation a fini par me miner. Je suis une personne déterminée et je n'avais pas l'intention de partir avant que le moment soit venu, mais les derniers mois j'ai dû prendre des anxiolytiques et je dois encore en prendre à l'heure qu'il est.

    [traduction]

    La prestataire a de plus raconté qu'elle avait quitté l'Ontario pour déménager au Manitoba afin de se rapprocher de sa mère et de sa soeur, qui étaient toutes deux devenues veuves récemment. Mme Christiuk a indiqué qu'elle avait postulé des emplois au Manitoba alors qu'elle travaillait encore en Ontario, mais qu'il n'était pas facile de trouver un emploi dans une province quand on habitait dans une autre province.

    Dans une décision datée du 9 septembre 2005, le conseil arbitral a renvoyé l'affaire devant la Commission avec les directives suivantes :

    Compte tenu de ce qui précède, le conseil recommande que la Commission prenne les mesures suivantes :

    1. demander à la prestataire d'obtenir un certificat médical du médecin qui la traitait, en Ontario, le Dr Susan Leader, attestant de la nature de son problème de santé et des conseils qui lui ont été donnés;

    2. examiner de plus près avec la prestataire les rapports qu'elle avait avec son employeur et son superviseur; et enfin,

    3. vérifier auprès de la prestataire les démarches d'emploi qu'elle a dit avoir faites, à l'audience.

    [traduction]

    Par la suite, la prestataire a fourni le certificat médical demandé (pièce 13-2), qui indiquait « qu'elle avait été traitée pour dépression et troubles d'anxiété aggravés par les problèmes qu'elle connaissait au travail, et qu'on lui avait conseillé de chercher un autre emploi au Manitoba, après avoir constaté qu'elle n'avait pas réussi à résoudre ces problèmes » [traduction]. De plus, la Commission a interrogé la prestataire par téléphone concernant les rapports qu'elle avait avec son employeur et les démarches qu'elle avait faites pour trouver un autre emploi avant de quitter celui qu'elle avait. À la suite de cet entretien, la Commission a confirmé sa position selon laquelle la prestataire n'était pas fondée à quitter volontairement son emploi, et une date a été fixée pour une nouvelle audience devant le même conseil arbitral.

    La prestataire a assisté à l'audience devant le conseil arbitral et l'employeur s'est fait représenter pour y prendre part par conférence téléphonique. Le conseil a rejeté l'appel de la prestataire, en partie pour les raisons suivantes :

    La prestataire a obtenu de son médecin traitant une lettre qui a été versée au dossier d'appel (pièce 13-2), toutefois cette lettre ne précise pas qu'on lui conseillait de quitter son emploi; elle indique tout simplement qu'il serait peut-être préférable pour sa santé qu'elle retourne vivre au Manitoba.

    En ce qui concerne ses rapports avec son employeur, M. Kuhn, même s'il faut reconnaître qu'il s'agit d'une personne avec laquelle il n'est pas facile de s'entendre, le fait est que la prestataire n'a jamais essayé de discuter avec lui de ses conditions de travail pour essayer d'améliorer la situation. Elle a consulté un médecin qui lui a prescrit des anxiolytiques qui, il est vrai, l'ont aidée pendant un certain temps à faire face à la situation qu'elle vivait au travail, mais elle n'a pris aucune mesure pour tenter de régler les problèmes qui nuisaient à sa santé.

    La prestataire a effectivement entrepris certaines démarches pour tenter de trouver un emploi au Manitoba, mais elle a elle-même reconnu que c'était difficile quand on habite dans une autre province.

    [traduction]

    Le conseil, s'inspirant de la jurisprudence établie dans les décisions CUB 25700, 43643 et 48288, a conclu ce qui suit :

    Le conseil conclut en l'espèce que la prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification, car elle n'a fait aucun effort pour remédier à la situation avec son employeur et n'a pas fait de recherche d'emploi sérieuse avant de déménager au Manitoba.

    [traduction]

    Mme Christiuk en appelle maintenant devant un juge-arbitre, au motif que le conseil a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée.

    J'ai examiné attentivement la preuve documentaire et j'estime qu'il y a lieu d'annuler la décision du conseil. Tout d'abord, il est indéniable d'après la preuve présentée par la prestataire qu'elle travaillait dans un milieu où il y avait de la violence verbale et où l'employeur maltraitait ses employés; d'ailleurs la plupart des nouveaux employés n'y restaient pas quand ils constataient ce qui se passait. Le conseil et la Commission ont fait valoir que selon le certificat médical, la prestataire a commencé à prendre des anxiolytiques et des antidépresseurs après coup, et que par conséquent son départ volontaire n'était pas fondé, car elle n'a pas démontré que son départ constituait la seule solution raisonnable dans les circonstances. À mon avis ils sont passés à côté de l'essentiel en tirant cette conclusion, et le conseil, quant à lui, a interprété de façon beaucoup trop restrictive les propos du médecin figurant dans le certificat médical.

    Je suis persuadé que cela ne correspond pas à l'esprit de la loi de forcer des employés à demeurer dans un tel environnement de travail. Il n'y a aucune raison de ne pas accorder foi au témoignage de la prestataire concernant la façon dont elle était traitée au travail et il est évident, vu la nature du milieu où elle travaillait, que le genre de plaintes qu'elle avait à formuler n'aurait pas abouti à grand-chose. Si je comprends bien, la Commission et le conseil auraient voulu que la prestataire fasse part de ses doléances précisément à la personne même qui était à l'origine de tous ses problèmes, c'est-à-dire son employeur. Quand les conditions de travail d'une personne sont aussi intolérables que l'étaient celles de la prestataire, la seule solution raisonnable est de quitter l'emploi en question et c'est la seule conclusion raisonnable à laquelle on pouvait en venir.

    L'appel de la prestataire est accueilli.

    Paul Rouleau

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 2 juin 2006

    2011-01-16