TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande présentée par
STEPHEN JONES
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Mississauga (Ontario) le 8 juin 2005
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-371-06
DÉCISION
LE JUGE JEAN A. FORGET, juge-arbitre
La Commission interjette appel de la décision d'un conseil arbitral, qui a infirmé la décision de la Commission selon laquelle le prestataire n'était pas admissible au bénéfice des prestations parce qu'il a été congédié par son employeur, Burlington Taxi Inc., le 15 mai 2004, en raison de son inconduite. Le conseil a entendu le témoignage des deux parties et a préféré croire la version du prestataire plutôt que celle de l'employeur, parce que le prestataire était présent à l'audience et a livré un témoignage de vive voix.
Une demande initiale de prestations a pris effet le 16 mai 2004. L'employeur a déclaré que le prestataire avait été congédié pour avoir enfreint les règles de l'entreprise. L'incident culminant s'est en fait produit pendant que le prestataire conduisait son taxi. Les obligations de l'employeur s'étendent au conseil scolaire de Halton, avec lequel l'employeur a signé un contrat de transport scolaire. L'employeur a mis en place une politique écrite indiquant que, lorsqu'une employée ou un employé, comme le prestataire, effectue le transport d'écoliers, il ou elle n'a pas le droit de s'arrêter ailleurs qu'aux arrêts prévus, et qu'il n'a pas le droit de s'arrêter pour faire des courses personnelles.
L'incident culminant, dans le cas du prestataire, s'est produit alors qu'il effectuait un transport d'écolier. Avant de conduire l'enfant à l'école, le prestataire s'est arrêté chez lui pour laisser un paquet de cigarettes à sa conjointe. Le prestataire a mentionné que l'école primaire est située juste en face de sa maison et qu'il n'est pas sorti de la voiture plus de dix secondes. Il a laissé le moteur du véhicule en marche ainsi qu'une portière ouverte. Les parents de l'enfant étaient en colère, et l'employeur a dû assumer des responsabilités supplémentaires par rapport à l'écolier, pendant deux semaines. Au bout du compte, l'employeur a congédié le prestataire pour avoir enfreint les règles de l'entreprise.
Le prestataire reconnaît s'être arrêté chez lui et avoir enfreint les règles de l'entreprise. Toutefois, il estime que l'employeur a voulu faire de lui un exemple. Le prestataire soutient que l'employeur aurait eu raison de lui donner un avertissement en bonne et due forme, voire même de le suspendre, mais que le congédiement était une sanction exagérée. Le prestataire a déclaré qu'aucune règle n'indiquait qu'un manquement à la politique relative au transport scolaire entraînait un congédiement. L'employeur a admis que le personnel n'a jamais été informé qu'une politique de tolérance zéro avait été mise en place. Cependant, l'employeur a fait observer que les gestes du prestataire ont accru ses obligations en ce qui concerne le transport des écoliers, qui correspond à un tiers des activités de l'entreprise. L'employeur a exprimé son inquiétude par rapport à la possibilité de perdre un tiers de son revenu total, si le conseil scolaire résiliait son contrat. L'employeur considérait le congédiement comme une mesure de précaution, afin d'assurer la poursuite des affaires avec le conseil scolaire.
La Commission était du même avis que l'employeur, concluant que les gestes du prestataire constituaient une inconduite et que son congédiement en était le résultat direct. Le prestataire a interjeté appel devant un conseil arbitral. À l'audience, le prestataire a témoigné et a déclaré ne pas avoir laissé le moteur du véhicule en marche lors de l'incident en question. Il a également indiqué ne pas avoir laissé de portière ouverte et avoir eu les clés dans sa main lorsqu'il a donné les cigarettes à sa conjointe. Le prestataire a déclaré qu'on ne lui a jamais remis un exemplaire de la politique relative au transport scolaire, et il a répété qu'il croyait qu'un avertissement écrit ou une suspension aurait constitué une mesure appropriée à prendre par l'employeur relativement à l'incident. Le prestataire a aussi ajouté que l'employeur lui avait dit que s'il s'était arrêté pour déposer des médicaments, il n'y aurait pas eu de problème, alors que ce n'était pas le cas pour des cigarettes.
Le conseil a examiné la preuve et a tranché unanimement en faveur du prestataire. La décision du conseil, datée du 8 juin 2005, se lit en partie comme il suit :
« Le conseil a conclu que les éléments de preuve fournis par l'employeur ne concordaient pas suffisamment : rien ne prouve que le prestataire avait lu la politique relative au transport scolaire; que l'enfant était traumatisé; que le conseil scolaire a demandé que le chauffeur n'effectue plus le transport scolaire; que le moteur du véhicule était en marche; que la portière du véhicule était ouverte et que le renvoi du prestataire était la seule solution dans ce cas.
Le conseil a conclu, en se fondant sur les éléments de preuve fournis par le prestataire, qu'il se peut qu'une politique ait été mise en place mais qu'elle n'était pas rigoureusement respectée.
Le conseil a conclu qu'en raison de l'importance de l'affaire, le témoignage en personne de l'employeur aurait été utile.
Le conseil a dû prendre une décision en se fondant sur les éléments de preuve fournis par l'employeur, en l'absence de ce dernier. Par conséquent, le conseil a été obligé de donner plus de poids au témoignage du prestataire, qui était présent.
Le conseil conclut que le caractère intentionnel et la négligence qui constituent de l'inconduite n'ont pas été clairement démontrés. Le conseil a donc accepté les explications du prestataire, selon lesquelles ce dernier a commis une erreur de jugement pour la première fois depuis son embauche.
Le conseil espère qu'à l'avenir, dans des affaires semblables, des éléments de preuve pouvant corroborer les déclarations des prestataires et celles des autres parties seront disponibles afin de faciliter la prise de décision. »
Le conseil a accueilli l'appel à l'unanimité, l'employeur n'ayant pas livré de témoignage direct. La Commission en appelle aujourd'hui de la décision devant le juge-arbitre. Elle soutient que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu'il a déterminé qu'en l'absence de l'employeur, il devait accepter le témoignage du prestataire. La Commission allègue que le conseil ne peut exclure la preuve fournie par l'employeur pour la simple raison que ce dernier ne s'est pas présenté devant lui (voir CUB 29583). En outre, la Commission fait valoir que si le conseil choisit de croire la version d'une partie, il est obligé de donner les raisons de son choix.
En vertu de l'alinéa 115(2)b) de la Loi, le juge-arbitre qui réexamine l'affaire peut accueillir l'appel si le conseil a commis une erreur de droit. En l'espèce, je ne suis pas convaincu que le conseil a commis une erreur de droit et, par conséquent, je suis d'avis que l'appel doit être rejeté.
La Commission soutient que le conseil a exclu la preuve pour la simple raison que l'employeur ne s'est pas présenté devant le conseil. Le conseil n'a toutefois pas exclu le témoignage de l'employeur, mais a plutôt choisi de croire la version du prestataire. La Commission a raison de soutenir que le conseil doit donner les raisons de son choix (voir El Maki, A-737-97 et Boucher, A-271-96). À mon avis, le conseil a bel et bien donné ses raisons, notamment le manque de preuve, puisque rien ne prouve que la portière du véhicule était ouverte, que le prestataire a lu la politique relative au transport scolaire et qu'il n'y avait aucune autre solution que de congédier le prestataire, dans les circonstances. Le critère juridique à appliquer pour l'inconduite consiste à déterminer si l'acte était volontaire ou d'une telle insouciance et négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur le rendement au travail (voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Johnson, [2004] A.C.F. no 432 (CAF) et Locke c. Canada (Procureur général) [2003] A.C.F. no 1962 (CAF)). Dans sa décision, le conseil a conclu que les éléments de caractère intentionnel et de négligence requis pour qualifier les gestes du prestataire d'inconduite étaient absents et, de ce fait, a appliqué le critère juridique pour déterminer s'il y avait inconduite. Compte tenu des raisons données pour expliquer la préférence accordée à la version du prestataire plutôt qu'à celle de l'employeur et de l'application du critère juridique approprié, j'estime que les motifs d'appel de la Commission ne sont pas convaincants.
Pour toutes ces raisons, l'appel est rejeté.
Jean A. Forget
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 21 juin 2006