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  • CUB 66443

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    JOSEE HAWTHORNE

    et

    d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Barrie (Ontario) le 2 novembre 2005

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    La prestataire a travaillé pour Simcoe Parts Service Inc. du 28 avril 2003 au 14 juillet 2005. Le 27 juillet 2005, elle a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi, et une période initiale de prestations a été établie à son profit à partir du 17 juillet 2005. La Commission a déterminé que la prestataire avait quitté volontairement son emploi sans justification et lui a infligé une exclusion d'une durée indéterminée à partir du 17 juillet 2005.

    La prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui a rejeté son appel à l'unanimité. La Commission en a appelé. Cet appel a été instruit à Barrie (Ontario) le 18 juillet 2006. La prestataire s'est présentée à l'audience, accompagnée de son mari, M. Dave Hawthorne.

    Dans sa demande de prestations, la prestataire a indiqué avoir quitté son emploi pour cause de discrimination, harcèlement ou conflit personnel au travail. Elle a ensuite décrit en détail le harcèlement dont elle avait fait l'objet. Elle a fait état d'une réunion au cours de laquelle son superviseur criait après tout le monde et l'a prise à partie devant le groupe. Elle a déclaré que cela l'avait gênée et humiliée. Elle a indiqué avoir été accusée de ne pas faire son travail lorsqu'elle a dû nettoyer les dégâts laissés par le personnel du quart de travail précédent. Un superviseur l'a alors menacée de la renvoyer chez elle. On lui a ensuite dit quoi faire et trois superviseurs sont restés pour la surveiller. Encore une fois, il y a eu affrontement devant d'autres membres du personnel, ce qui était contrariant et dérangeant au point qu'elle s'est mise à pleurer. Elle se sentait intimidée à cause de cette supervision excessive. Elle en a fait part à son superviseur qui n'a rien dit. Elle a donc décidé de quitter son emploi. La prestataire a discuté de l'incident avec son superviseur qui a nié qu'il y avait eu harcèlement à son endroit. Celui-ci lui a répondu qu'il la surveillait elle ainsi que d'autres et que si elle voulait en savoir plus ou prendre connaissance de ses notes, il l'a reverrait en cour. Elle a discuté de l'incident avec trois personnes qu'elle considérait comme ses patrons. La prestataire n'a pas eu le temps de chercher un autre emploi parce que tout cela s'était passé très rapidement.

    L'employeur a indiqué que la prestataire n'avait pas expliqué son départ et qu'elle n'avait soulevé aucun problème de harcèlement. Il a signalé qu'il existait une politique interdisant formellement le harcèlement et que la prestataire aurait pu remplir les documents prévus, mais qu'elle ne l'a pas fait.

    La prestataire a répliqué que lorsqu'elle avait discuté de l'incident avec son superviseur, celui-ci lui avait répondu qu'il ne s'agissait pas de harcèlement. Elle a donc cru qu'elle n'avait rien à gagner à poursuivre ses démarches et qu'elle n'avait plus aucun recours

    Dans son avis d'appel devant le conseil arbitral, la prestataire a de nouveau fait état des deux principaux incidents où elle s'était sentie humiliée et harcelée. Il ne lui servait à rien d'en discuter avec son superviseur puisque celui-ci faisait la sourde oreille. Elle a ajouté que personne ne devrait être traitée de la sorte et qu'il n'était pas question que son employeur continue de la maltraiter et de l'intimider. Elle croyait qu'elle n'avait d'autre choix que de quitter son emploi.

    L'employeur a déclaré que la prestataire avait reconnu par écrit avoir reçu et lu le manuel de l'associé distribué par l'employeur. L'employeur a présenté un passage du manuel où l'on peut lire ceci :

    « SPS a l'intention de maintenir un milieu de travail agréable où tous les employés peuvent se sentir à l'aise. Par conséquent, toute forme de harcèlement doit être dénoncée, le harcèlement étant tout comportement non souhaité ou qui devrait être raisonnablement reconnu comme tel.
    [...]
    Si vous vous croyez victime de harcèlement, veuillez en informer immédiatement votre superviseur des services aux associés. »
    [Traduction]

    Il est intéressant de signaler que plus loin dans le manuel, dans une partie intitulée « Position de l'entreprise concernant les syndicats » on peut lire que « l'employeur ne peut encourager et améliorer cet effort collectif que par une communication libre, ouverte et directe entre tous les associés, peu importe le rang qu'ils occupent. Nous croyons donc que l'immixtion et l'influence externes d'une tierce partie, notamment d'un syndicat, va à l'encontre d'un effort collectif efficace et cohérent » [Traduction].

    La prestataire s'est présentée devant le conseil, accompagnée de son mari, Dave Hawthorne. Le conseil a résumé la preuve présentée par la prestataire comme suit :

    « La prestataire a confirmé les renseignements versés au dossier et a ajouté ce qui suit :
    - Elle était au courant du processus de l'entreprise concernant la politique en matière de harcèlement, mais son superviseur a refusé d'admettre qu'elle faisait l'objet de harcèlement et n'a pas offert de lui fournir le formulaire comme l'exigeait la politique de l'entreprise.
    - Le superviseur a nié qu'il y avait eu harcèlement et il lui a même dit : « Je te reverrai en cour. » [Traduction].
    - Trois de ces superviseurs l'ont sermonnée devant ses collègues.
    - Lorsqu'elle a tenté de se renseigner sur la disponibilité des périodes de vacances, son superviseur n'était pas coopératif pour ce qui était de lui fournir les dates disponibles, et il refusait sans cesse ses demandes.
    - Barb, la responsable des ressources humaines avec qui la prestataire avait communiqué à ce sujet, a géré la situation en renvoyant la prestataire au superviseur qui lui posait problème.
    - Elle a déclaré qu'elle n'avait jamais refusé de travailler et qu'elle ne détestait pas son emploi. En fait, son lieu de travail était situé à proximité du lieu de travail de son mari, ce qui faisait son affaire.
    - À la pièce 11, il est indiqué que « l'employée avait été incitée à faire le tour de la situation » [Traduction]. La prestataire ni que l'employeur ait communiqué avec elle après qu'elle eut pris la décision de rendre sa carte magnétique.

    Le conseil a examiné la preuve et conclu que la prestataire avait prouvé qu'elle était fondée à quitter son emploi aux termes du sous-alinéa 29c)(i) de la Loi sur l'assurance-emploi pour les raisons suivantes :

    « La prestataire a semblé être une personne honnête et crédible. Le conseil tient pour avéré que la prestataire a tenté de suivre la politique et les procédures de l'entreprise, mais que les procédures en place ne permettaient pas à l'employée d'accéder facilement au processus de résolution. En effet, la mise en œuvre de la politique en l'espèce exigeait que l'employée victime de harcèlement affronte l'auteur du harcèlement, ce qui s'avérait d'autant plus intimidant. La dernière expérience de la prestataire auprès du service des ressources humaines ne l'a pas incitée à suivre cette voie et, de toute façon, cette voie n'était pas décrite dans le manuel. En outre, l'entreprise n'a pas communiqué avec la prestataire après qu'elle eut remis sa carte magnétique, comme le soutenait l'employeur dans sa lettre. »

    En appel, la Commission a fait valoir que le conseil arbitral avait commis une erreur de droit et de fait en concluant que la prestataire avait prouvé qu'elle était fondée à quitter son emploi aux termes des articles 29 et 30 de la Loi. L'avocat de la Commission a déclaré que, pour établir qu'il était fondé à quitter son emploi pour cause de harcèlement, le prestataire doit démontrer qu'il y a eu plusieurs incidents de harcèlement et qu'il a tenté de régler le problème en s'adressant à son employeur. La Commission a également fait valoir que le conseil ne s'était pas prononcé sur la question de savoir si la prestataire, dans ces circonstances, avait ou non des solutions raisonnables autres que de quitter son emploi.

    La prestataire avait présenté une preuve non contredite selon laquelle elle avait fait l'objet de harcèlement plusieurs fois de la part de ses superviseurs. Elle a témoigné qu'elle avait tenté d'en discuter avec son superviseur qui lui a répondu qu'il l'a reverrait en cour. Lorsqu'elle a communiqué avec le service des ressources humaines, elle a été renvoyée à l'une des personnes qui, a-t-elle déclaré, l'avait harcelée.

    La conduite décrite par la prestataire correspond sans l'ombre d'un doute à la description du harcèlement donnée par l'employeur dans son manuel. La prestataire a tenté de faire les démarches indiquées dans le manuel, mais cela n'a pas mis fin au harcèlement, au contraire. Comme elle l'a déclaré, elle ne savait plus à qui s'adresser et elle est partie parce qu'elle considérait que personne ne pouvait tolérer d'être traité de cette façon. Le conseil était du même avis. Si on laissait entendre qu'une personne dans une telle situation devrait endurer ces mauvais traitements jusqu'à ce qu'elle trouve un autre emploi, cela équivaudrait à obliger les employés à tolérer le harcèlement et les mauvais traitements de l'employeur, ce qui n'est certainement pas le but de la Loi sur l'assurance-emploi.

    Il est établi de façon non équivoque dans la jurisprudence que le conseil arbitral est le principal juge des faits dans les affaires d'assurance-emploi et qu'une conclusion de fait du conseil arbitral ne peut être annulée par le juge-arbitre à moins qu'elle n'ait été tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve qui lui ont été présentés.

    Dans l'arrêt Verreault (A-186-86), le juge Pratte écrit ceci :

    « Dans le premier cas, il est clair que le juge aurait excédé ses pouvoirs. Suivant l'alinéa 95c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, un juge-arbitre ne peut réviser une conclusion de fait d'un conseil arbitral à moins que cette conclusion n'ait été erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. Or, il est évident que même si les conclusions de fait sur lesquelles le conseil a appuyé sa décision peuvent être discutées, on ne peut affirmer qu'elles soient erronées et encore moins qu'elles soient absurdes ou arbitraires. »

    Dans l'arrêt Guay (A-1036-96), le juge Marceau écrit ceci :

    « Nous sommes tous d'avis, après ce long échange avec les procureurs, que cette demande de contrôle judiciaire portée à l'encontre d'une décision d'un juge-arbitre agissant sous l'autorité de la Loi sur l'assurance-chômage se doit de réussir. Nous pensons, en effet, qu'en contredisant, comme il l'a fait, la décision unanime du conseil arbitral, le juge-arbitre n'a pas respecté les limites dans lesquelles la Loi assoit son pouvoir de contrôle.
    [...]
    De toute façon, dans tous les cas, c'est le conseil arbitral - le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation - qui est celui qui doit apprécier. »

    Dans l'arrêt Ash (A-115-94), la juge Desjardins écrit ceci :

    « Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. Il y avait en outre une preuve abondante appuyant la conclusion de la majorité. »

    Et plus récemment, dans Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a déclaré que le rôle d'un juge-arbitre se limitait à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier.

    En l'espèce, la décision du conseil est entièrement compatible avec la preuve qui lui a été présentée. Le conseil a accepté la preuve présentée par la prestataire et a conclu que le comportement de l'employeur à l'égard de cette dernière constituait du harcèlement et qu'elle a été obligée de quitter son emploi. Je suis convaincu que, en me fondant sur la preuve que le conseil a acceptée, celui-ci pouvait raisonnablement conclure que la prestataire avait démontré qu'elle était fondée à quitter son emploi et qu'elle n'avait d'autre solution raisonnable que celle-là dans sa situation.

    La Commission n'a pas démontré que le conseil a commis une erreur de droit ou de fait en rendant sa décision.

    En conséquence, l'appel est rejeté.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 28 juillet 2006

    2011-01-16