TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Jolene CORNELIUS
et
d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre d'une décision d'un conseil arbitral rendue à London (Ontario) le 12 janvier 2006
DÉCISION
Le juge-arbitre GUY GOULARD
La prestataire a travaillé au YMCA de la région du Grand Toronto du 25 octobre 2004 au 6 juin 2005. Le 24 octobre 2005, elle a déposé une demande initiale de prestations d'assurance-emploi et une période de prestations a pris effet le 23 octobre 2005. Par la suite, la Commission a constaté que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite et lui a imposé une exclusion du bénéfice des prestations pour une période indéfinie, à partir du 23 octobre 2005.
La prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, lequel a accueilli l'appel à l'unanimité. La Commission a porté la décision du conseil en appel. Cet appel a été instruit à London, en Ontario, le 11 juillet 2006. La prestataire avait reçu un avis d'audience, mais elle ne s'est pas présentée. Elle n'a pas communiqué avec le Bureau du juge-arbitre ni avec la Commission. La Commission a soutenu que le conseil avait commis une erreur de droit en concluant que la prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite, puisque la preuve établit que la prestataire n'avait pas informé son employeur de son absence, ce qui constitue une inconduite aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi, selon l'interprétation qu'en donne la jurisprudence.
La preuve, en l'espèce, a permis d'établir que la prestataire ne s'était pas présentée au travail du 7 au 9 juin 2005, et qu'elle n'avait pas communiqué avec son employeur pour lui donner des explications à ce sujet. Dans son appel devant le conseil arbitral, la prestataire a expliqué qu'elle avait reçu un coup de fil l'informant que son cousin de 15 ans s'était suicidé. Elle a affirmé être partie sur-le-champ pour se rendre chez sa mère, sur la réserve, sans même prendre le temps de préparer ses bagages. Elle déclaré ne pas avoir appelé son employeur car elle n'avait pas son numéro de téléphone sous la main lorsqu'elle est partie. Par la suite, elle a téléphoné à son superviseur, mais sans laisser de message. Elle a expliqué au conseil qu'elle était complètement bouleversée par les événements et ne savait pas comment justifier son absence car elle ne voulait pas dire que son cousin s'était suicidé. Elle a déclaré au conseil qu'elle avait assisté à la veillée funèbre les 8 et 9 juin et aux funérailles, le 10 juin. Elle a répété qu'elle n'avait pas le numéro de téléphone de son employeur. Lorsqu'elle est retournée chez elle par la suite, c'est par un ami qu'elle a appris son congédiement.
Le conseil a examiné la preuve et accueilli l'appel de la prestataire pour les raisons suivantes :
« Dans l'arrêt Tucker (A-381-95), la Cour d'appel fédérale a établi le critère juridique à appliquer en matière d'inconduite. Dans cette affaire, la Cour a établi ce qui suit : Pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail.
En l'espèce, la prestataire a tenté de téléphoner à son employeur pour l'informer de son absence, mais elle a été incapable de contenir ses émotions et de laisser un message parce qu'elle ne savait pas comment annoncer à son employeur que son cousin s'était suicidé. La prestataire a veillé son cousin de 15 ans qui s'était suicidé et a assisté aux funérailles de celui-ci. À son retour chez elle, un ami lui a transmis un message selon lequel elle avait été congédiée.
Le conseil estime que le fait que la prestataire n'ait pas signalé son absence à son employeur ne constituait pas un geste délibéré et insouciant. Elle était incapable de maîtriser ses émotions et d'annoncer à son employeur qu'elle était absente parce que son cousin s'était suicidé.
Le conseil conclut que les gestes de la prestataire ne constituent pas de l'inconduite au sens de la Loi et de la jurisprudence pertinente. »
La Commission estime que la prestataire ne peut invoquer son état émotif pour justifier le fait qu'elle se soit absentée du travail sans avertir son employeur; que ce comportement équivaut à de la négligence et qu'il constitue de l'inconduite.
En l'espèce, le conseil a conclu, en se fondant sur la preuve présentée, que le geste de la prestataire n'était pas un acte délibéré et teinté d'insouciance, deux critères qui auraient permis de conclure à une inconduite, tel qu'établi dans l'arrêt Tucker (A-381-85). Le conseil n'a pas commis d'erreur de droit, car il a soupesé la preuve en se servant du critère applicable en cas d'inconduite.
Pour déterminer si le geste posé par un prestataire dans tel ou tel cas constitue une inconduite ayant mené au congédiement, il faut avant tout apprécier la preuve et établir les faits. Or la jurisprudence est très claire à cet égard; c'est le conseil arbitral qui est le principal juge des faits dans les affaires d'assurance-emploi et, à moins qu'il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le juge-arbitre n'a pas à intervenir.
Dans l'arrêt Verreault (A-186-86), le juge Pratte a écrit :
« Dans le premier cas, il est clair que le juge aurait excédé ses pouvoirs. Suivant l'alinéa 95c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage (aujourd'hui, l'alinéa 29c)) un juge-arbitre ne peut réviser une conclusion de fait d'un conseil arbitral à moins que cette conclusion n'ait été erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. Or, il est évident que même si les conclusions de fait sur lesquelles le conseil a appuyé sa décision peuvent être discutées, on ne peut affirmer qu'elles soient erronées et encore moins qu'elles soient absurdes ou arbitraires. »
Dans l'arrêt Guay (A-1036-96), le juge Marceau a ajouté :
« Nous sommes tous d'avis, après ce long échange avec les procureurs, que cette demande de contrôle judiciaire portée à l'encontre d'une décision d'un juge-arbitre agissant sous l'autorité de la Loi sur l'assurance-chômage se doit de réussir. Nous pensons, en effet, qu'en contredisant, comme il l'a fait, la décision unanime du Conseil arbitral, le juge-arbitre n'a pas respecté les limites dans lesquelles la Loi assoit son pouvoir de contrôle.
[...]
De toute façon, dans tous les cas, c'est le Conseil arbitral -- le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation -- qui est celui qui doit apprécier. »
Dans l'arrêt Ash (A-115-94), le juge Desjardins a écrit :
« Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. [...] »
Et, plus récemment, dans l'affaire Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a déclaré que le rôle d'un juge-arbitre se limitait à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier.
En l'espèce, la décision du conseil est entièrement compatible avec les éléments qui lui ont été présentés. Le conseil a accepté l'explication de la prestataire à savoir qu'elle était si bouleversée en raison du suicide de son cousin qu'elle est immédiatement partie chez sa mère. Dans les circonstances, le conseil a estimé que le fait de ne pas avoir signalé son absence à son employeur ne constituait pas un acte délibéré et teinté d'insouciance, deux critères qui auraient permis de conclure à une inconduite, au sens de la Loi.
La Commission n'a pas prouvé que le conseil avait commis une erreur de doit ou de fait en rendant sa décision.
En conséquence, l'appel est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 28 juillet 2006