TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
Travis LARIVEE
et
d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Timmins (Ontario) le 18 août 2005
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-473-06
DÉCISION
Le juge-arbitre GUY GOULARD
Le prestataire a travaillé pour Monteith Correctional Complex jusqu'au 10 juin 2004. Le 13 mai 2005, il a présenté une demande initiale de prestations d'assurance-emploi, qui a pris effet le 22 août 2004. La Commission a déterminé qu'il avait perdu son emploi en raison de son inconduite et l'a exclu du bénéfice des prestations pour une période indéterminée, à compter du 24 avril 2005.
Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, qui a accueilli l'appel. La Commission a ensuite interjeté appel de la décision rendue par le conseil. Cet appel a été instruit à Timmins (Ontario) le 30 août 2006. Le prestataire n'a pas assisté à l'audience. Lorsqu'on a communiqué avec lui, il a dit qu'il souhaitait présenter ses observations par téléphone, ce qu'il a fait.
Dans sa demande de prestations, le prestataire a indiqué qu'il avait été suspendu sans rémunération jusqu'à ce que l'employeur ait terminé son enquête. Il a déposé un grief concernant cette suspension.
L'employeur a déclaré que le prestataire devait à l'origine être suspendu sans rémunération pendant l'enquête, mais qu'en raison de la durée de celle-ci, il avait été décidé que le prestataire serait rémunéré jusqu'à ce qu'il soit déterminé s'il devait être congédié ou s'il pouvait conserver son emploi. L'employeur a indiqué qu'aucun autre renseignement ne serait fourni pendant l'enquête.
À la pièce 11-1, le prestataire a indiqué que sa suspension s'était transformée en congédiement.
Dans la pièce 12-3, l'employeur a informé la Commission qu'après avoir mené une longue enquête concernant le comportement du prestataire, qui allait à l'encontre de la politique de l'employeur, et avoir appris, parce que ce renseignement était de notoriété publique, qu'une accusation criminelle ou une accusation d'abus de confiance avait été portée contre le prestataire et que les tribunaux en étaient toujours à étudier cette affaire, il avait décidé de congédier le prestataire.
À la pièce 13-2, le prestataire a déclaré que son employeur avait allégué qu'il vendait du tabac au Monteith Correctional Complex et l'avait congédié. Il a nié avoir mal agi et indiqué qu'il avait déposé un grief concernant son congédiement.
Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission de refuser de lui verser des prestations. Dans la lettre d'appel qu'il a rédigée à l'intention du conseil arbitral, il a déclaré avoir été congédié pour des actes qu'il n'avait pas posés.
À la pièce 17, l'employeur a déclaré que le prestataire avait admis, verbalement, avoir vendu des cigarettes de contrebande à des détenus de l'établissement où il travaillait, ce qui allait à l'encontre de la politique de l'employeur. Il a donc été accusé d'abus de confiance, en application du Code criminel. L'employeur a indiqué que si la Commission souhaitait obtenir une copie de la déclaration du prestataire, elle devait lui faire parvenir une demande écrite à cet égard, laquelle serait transmise à l'unité des enquêtes qui allait déterminer s'il était possible de fournir le document demandé à la Commission. L'employeur a confirmé que le grief déposé par le prestataire concernant sa suspension n'était toujours pas réglé, et a précisé qu'aucun grief n'avait été formulé par rapport au congédiement.
La Commission a demandé une copie de la déclaration du prestataire. En réponse à cette demande, l'employeur a fourni à la Commission une copie de sa politique concernant les employés qui vendent des biens à des détenus et les conséquences qui découlent de tels actes, mais elle n'a pas fourni de copie de ladite déclaration.
Lorsqu'on lui a dit que l'employeur avait déclaré qu'il avait reconnu avoir vendu des cigarettes aux détenus, le prestataire a indiqué qu'il ignorait que le fait de vendre des cigarettes de contrebande constituait une infraction et pouvait mener au congédiement. Il a soutenu que par le passé, lorsque des employés vendaient des cigarettes à des détenus, ils étaient mutés, ou des mesures d'adaptation étaient prises. Il n'a jamais cru qu'il s'agissait là d'un grave problème pouvant entraîner un congédiement. Il a expliqué qu'il n'avait pas encore déposé de grief concernant son congédiement parce qu'on lui avait dit d'attendre de voir ce qu'il adviendrait des accusations portées contre lui avant de le faire.
Le prestataire a assisté à l'audience du conseil et a passé en revue les éléments de preuve versés au dossier d'appel. Il a confirmé qu'il était toujours en attente de son procès concernant les accusations portées contre lui. Le conseil a examiné la preuve et a essentiellement déterminé que la Commission n'avait pas prouvé que le prestataire s'était rendu coupable d'inconduite aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi. Le conseil a indiqué que, même si le prestataire avait en quelque sorte admis avoir vendu du tabac, d'autres renseignements ou éléments de preuve présentés au cours du procès pourraient être utiles pour déterminer s'il y avait eu inconduite ou non. Le conseil a fait référence à la décision rendue dans l'arrêt Granstrom (A-444-02), où la Cour d'appel fédérale, comme l'avait fait le juge-arbitre, a confirmé la conclusion du conseil, selon laquelle le fait que des accusations criminelles soient portées contre un prestataire ne suffisait pas, en soi, à établir qu'il s'était rendu coupable d'inconduite au sens de la Loi. En l'espèce, le conseil a déclaré que la Commission ne pouvait présumer que le prestataire était coupable avant que les tribunaux rendent une décision. Le conseil a accueilli l'appel du prestataire.
Pendant l'audience d'appel, la Commission a soutenu que le conseil avait commis une erreur de droit en omettant de déterminer si les gestes du prestataire constituaient de l'inconduite et en déclarant plutôt que la Commission ne pouvait présumer que le prestataire était coupable des accusations portées contre lui avant qu'un verdict de culpabilité ait été rendu par un tribunal. La Commission a indiqué que l'affaire Granstrom (supra) différait de l'affaire en l'espèce, puisque dans ce cas, rien ne prouvait que le prestataire, qui avait été accusé de conduite avec facultés affaiblies, s'était rendu coupable d'inconduite. La Commission a soutenu que le conseil devait déterminer si les gestes du prestataire constituaient de l'inconduite aux termes de la Loi, et non s'il était coupable d'une infraction criminelle.
J'approuve tout à fait la déclaration de la Commission selon laquelle il n'est pas nécessaire qu'un prestataire ait été reconnu coupable d'une accusation portée contre lui pour que l'on puisse établir qu'il a posé un acte qui doit être considéré comme de l'inconduite aux termes de la Loi. Toutefois, la Cour d'appel fédérale a établi clairement qu'il incombe à la Commission de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les gestes du prestataire constituent de l'inconduite aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi, telle qu'elle est interprétée dans la jurisprudence. Dans l'arrêt Tucker (A-381-85), la Cour d'appel fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la juge-arbitre d'accueillir l'appel formé par le prestataire à l'encontre de la décision du conseil en ce qui a trait à une conclusion d'inconduite ayant mené à une perte de prestations d'assurance-emploi. La Cour a expliqué la façon de déterminer s'il y avait eu inconduite, aux termes de la Loi, en citant les propos de la juge Reed :
« [...] il correspond parfaitement, à mon sens, à notre droit, dans la mesure où il indique que, pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Aucune volonté de la sorte ne s'est manifestée dans la présente affaire. »
Dans l'arrêt Meunier (A-130-96), la Cour d'appel fédérale a dû se prononcer sur une situation similaire à celle en l'espèce. En effet, dans l'affaire en question, le prestataire a été congédié après avoir été accusé d'infractions criminelles. Dans ses motifs, le juge Décary a indiqué ce qui suit :
« Il est acquis [...] qu'il faut "une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi", que la seule affirmation par l'employeur que les agissements reprochés constituent à son avis de l'inconduite ne saurait suffire et que "pour qu'un conseil arbitral puisse conclure à l'inconduite d'un employé, il doit avoir devant lui une preuve suffisamment circonstanciée pour lui permettre, d'abord, de savoir comment l'employé a agi et, ensuite, de juger si ce comportement était répréhensible. »
Le juge Décary a ensuite indiqué que le conseil avait ajourné l'audience et demandé à la Commission de poursuivre l'enquête relative aux allégations formulées contre le prestataire. La Commission a refusé de le faire puisque selon elle, le prestataire et l'employeur avaient tous deux fourni leur version des faits et leur point de vue, et qu'il ne servait à rien de poursuivre l'enquête. En outre, la Commission a déclaré qu'elle n'avait pas, selon sa politique, à demander un rapport de police puisqu'il ne lui incombait pas de démontrer la culpabilité du prestataire, et qu'elle devait simplement, pour s'acquitter du fardeau de la preuve, démontrer que l'employeur avait agi de bonne foi et s'était fondé sur des motifs raisonnables lorsqu'il avait congédié le prestataire.
La décision majoritaire du conseil dans l'affaire Meunier est formulée ainsi :
« Le Président et le Représentant des Employeurs sont d'avis que l'accusation publique citée dans le journal fut faite suite à une enquête préliminaire de la part de la CUM qui devait se baser sur des circonstances suffisantes à porter l'accusation. Devant ces faits, l'employeur était alors en mesure d'établir qu'il y avait inconduite de la part de son employé et il a pris les mesures nécessaires pour protéger sa réputation en le suspendant indéfiniment. »
Le juge-arbitre a rejeté l'appel du prestataire pour les raisons suivantes :
« Il est clair que le dépôt des accusations n'est généralement pas suffisant. Mais en l'espèce, je suis d'avis que toutes les circonstances prises dans leur ensemble étaient tout à fait susceptibles de constituer une inconduite aux termes du paragraphe 28(1) de la Loi. C'était donc au conseil arbitral qu'il appartenait de décider si en fait il y avait eu inconduite. Rien dans l'article 80 de la Loi ne m'oblige, ni ne m'incite, à intervenir. »
La Cour d'appel fédérale a conclu que la Commission n'avait pas établi que le prestataire s'était rendu coupable d'inconduite. Le juge Décary a déclaré ce qui suit :
« La Commission, à notre avis, n'a pas fait son devoir. Il n'est pas suffisant, pour démontrer l'inconduite que sanctionne l'article 28 et le lien entre cette inconduite et l'emploi, de faire état du dépôt d'allégations de nature criminelle non encore prouvées au moment de la cessation d'emploi et de s'en remettre, sans autre vérification, aux spéculations de l'employeur. Les conséquences qui s'attachent à une perte d'emploi en raison d'inconduite sont sérieuses. On ne peut pas laisser la Commission et, après elle, le conseil arbitral et le juge-arbitre, se satisfaire de la seule version des faits, non vérifiée, de l'employeur à l'égard d'agissements qui ne sont, au moment où l'employeur prend sa décision, qu'allégations non prouvées. Il est certain que la Commission pourra se décharger de son fardeau plus facilement si l'employeur a pris sa décision, par exemple, après la tenue de l'enquête préliminaire et, a fortiori, s'il l'a prise après le procès. »
La Cour a rendu la décision suivante :
« La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, la décision attaquée sera annulée et l'affaire sera retournée au juge-arbitre en chef ou au juge-arbitre qu'il désignera pour qu'il la reconsidère en tenant pour acquis, pour les fins de l'application du paragraphe 28(1) de la Loi sur l'assurance-chômage, qu'il n'avait pas été démontré que le requérant avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. »
En l'espèce, les membres du conseil ont indiqué que le prestataire avait en quelque sorte admis avoir vendu du tabac; il s'agit là de la seule preuve dont disposait le conseil. La Commission a demandé à l'employeur de lui fournir une copie de la déclaration du prestataire à cet égard, en vain. Le prestataire a fourni des explications par rapport à sa conduite. L'employeur a mené une enquête approfondie, mais n'a fourni aucune précision quant aux conclusions que celle-ci a permis de formuler. Aucun renseignement n'a été fourni par rapport à la nature ou aux résultats des enquêtes menées par l'employeur et par la police. Le prestataire a nié avoir mal agi. Il a déclaré que d'autres avaient agi comme lui par le passé et n'avaient pourtant fait l'objet d'aucune mesure disciplinaire importante. Il était toujours en attente de son procès concernant les accusations portées contre lui. Comme l'a déclaré le juge Décary dans l'arrêt Meunier (supra), « [...] on ne peut pas laisser la Commission et, après elle, le conseil arbitral et le juge-arbitre, se satisfaire de la seule version des faits, non vérifiée, de l'employeur à l'égard d'agissements qui ne sont, au moment où l'employeur prend sa décision, qu'allégations non prouvées. »
Pour déterminer si les actes ayant entraîné le congédiement d'un prestataire constituent de l'inconduite, il faut avant tout, et ce, quelles que soient les circonstances, examiner et établir les faits. La jurisprudence a établi hors de tout doute que le conseil arbitral est la principale instance qui doit juger des faits dans les affaires ressortissant à l'assurance-emploi (arrêts Guay [A-1036-96] et Ash [A-115-94]). Plus récemment, dans l'affaire Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a déclaré que le rôle du juge-arbitre se limitait à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec la preuve portée à la connaissance du conseil.
En l'espèce, le conseil a rendu une décision qui est tout à fait compatible avec la preuve qui lui a été présentée. En effet, la Commission n'a pas prouvé que le prestataire avait commis des actes constituant de l'inconduite aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi, telle qu'elle est interprétée dans la jurisprudence.
La Commission n'a pas réussi à prouver que le conseil avait commis une erreur en rendant sa décision.
Par conséquent, l'appel est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 11 septembre 2006