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  • CUB 66923

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d'une demande de prestations présentée par
    Pamela INSHAN

    et

    d'un appel interjeté par l'employeur, 1487316 Ontario Corporation, à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à North York (Ontario) le 18 août 2005

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    La prestataire a travaillé pour l'entreprise 1487316 Ontario Corporation du 6 mai 2003 au 21 avril 2005. Le 28 avril 2005, elle a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi, qui a pris effet le 24 avril 2005. La Commission a établi que la prestataire avait démontré qu'elle était fondée à quitter son emploi et a informé l'employeur de sa décision.

    L'employeur a appelé de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, qui a rejeté l'appel. L'employeur a interjeté appel de la décision du conseil. Cet appel a été instruit à Toronto, en Ontario, le 11 octobre 2006, en l'absence de la prestataire. L'employeur était représenté par Mme Amanda Singh.

    La prestataire a déclaré qu'elle avait quitté son emploi parce que son employeur lui avait fait des avances de nature sexuelle. Ce n'était pas la première fois que cela se produisait, mais l'employeur s'était montré si direct avec elle, la dernière fois, qu'elle avait quitté les lieux et porté plainte à la Commission des droits de la personne. Le détail des allégations de la prestataire figure en pièce 10, dans les observations préparées par le représentant de la prestataire et présentées dans l'avis d'appel devant le conseil arbitral.

    L'employeur a nié les accusations de la prestataire selon lesquelles il aurait agi de façon inappropriée ou lui aurait fait des avances. L'employeur a indiqué que la prestataire avait démissionné sans donner de raison. Il a toutefois admis qu'elle avait demandé une augmentation de salaire et que, devant son refus, elle était sortie en trombe de son bureau, avait ramassé ses effets personnels et avait lancé ses clés à son supérieur. Cet incident s'est produit le 21 avril 2005. L'employeur a ajouté que la prestataire avait téléphoné plus tard cette même journée et qu'elle avait menacé son supérieur de communiquer avec Revenu Canada et avec divers clients si elle ne recevait pas de « compensation ». L'employeur a présenté une copie d'un courriel que la prestataire aurait envoyé à son supérieur le 19 avril 2005, dans lequel elle lui demandait à le rencontrer pour discuter d'une éventuelle augmentation de salaire. C'est à la suite de cette rencontre que la prestataire a démissionné.

    La prestataire s'est présentée devant le conseil accompagnée de son représentant, M. Patrick James. L'employeur était représenté par sa comptable, Mme Amanda Singh, et par sa secrétaire, Mme Tina Wilson. La prestataire et l'employeur ont exposé de nouveau leurs points de vue respectifs. La prestataire a toutefois insisté sur le fait qu'elle avait quitté son emploi parce qu'elle était victime de harcèlement sexuel, ce que l'employeur a nié. L'employeur était pour sa part convaincu que la prestataire n'avait porté ces accusations que pour obtenir une compensation monétaire. La prestataire a déclaré que, lors de sa dernière rencontre avec son superviseur, ce dernier avait refusé de lui donner l'augmentation de salaire qu'elle demandait, mais qu'il lui avait proposé de conclure une entente secrète entre eux. C'est à ce moment-là que la prestataire serait sortie du bureau. L'employeur a répété que la prestataire l'avait appelé plus tard pour le menacer. Le représentant de la prestataire a fourni des renseignements indiquant que la prestataire souffrait d'anxiété et de dépression et qu'elle consultait un thérapeute.

    Le conseil a noté des contradictions dans les témoignages présentés par la prestataire et par l'employeur et a déclaré qu'en pareil cas, la question devait être tranchée en se fondant sur la preuve qui semblait la plus raisonnable, fiable et crédible compte tenu des circonstances. Le conseil a rejeté l'appel de l'employeur pour les raisons suivantes :

    « Le conseil estime que les déclarations de la prestataire sont crédibles. De plus, cette dernière a indiqué qu'elle avait besoin de cet emploi. Par conséquent, le conseil estime qu'elle n'aurait pas quitté cet emploi sans en avoir trouvé un autre, à moins qu'elle n'en ait pas eu le choix. La prestataire ne semblait pas menaçante. Elle a insisté sur le fait qu'elle avait vraiment besoin de cet emploi et qu'elle avait craint de régler la situation plus tôt.

    L'alinéa 29c) de la Loi sur l'assurance-emploi prévoit que"le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas, y compris le sous-alinéa 29c)(i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre."

    Le conseil se fonde sur la décision CUB 40589, dans laquelle on peut lire ceci : « Il ne fait aucun doute qu'une allégation de harcèlement sexuel comporte un élément subjectif et un élément plus objectif. Il se peut bien que le harcèlement sexuel allégué ne soit perçu comme tel par personne d'autre que la prestataire. »

    Que l'employeur ait eu l'intention ou non de harceler sexuellement la prestataire, le conseil tient pour avéré que cette dernière a eu l'impression de faire l'objet de harcèlement sexuel. De ce fait, elle estimait qu'elle n'avait d'autre solution que de quitter son emploi ».

    Dans son argumentation d'appel, la représentante de l'employeur a fait valoir que le conseil avait commis une erreur en acceptant la preuve présentée par la prestataire à l'égard de ses allégations de harcèlement sexuel. Elle a soutenu que ces accusations avaient été portées dans le but d'obtenir une compensation monétaire et que la prestataire s'était présentée devant le conseil avec un air triste et désespéré dans le but d'émouvoir les membres. Elle a souligné que la plainte présentée devant la Commission des droits de la personne suivait son cours. L'employeur estimait que la prestataire ne faisait qu'abuser du système et qu'elle ne devrait pas avoir droit au bénéfice des prestations d'assurance-emploi, étant donné qu'elle n'était pas fondée à quitter son emploi.

    La Commission a allégué que l'affaire devait être instruite une seconde fois devant un conseil formé de nouveaux membres, parce que le conseil n'avait pas expliqué correctement pourquoi il refusait la preuve présentée par l'employeur. La Commission a également fait valoir que le conseil aurait dû offrir aux parties d'être entendues séparément, comme le prévoit le paragraphe 114(2) de la Loi, ainsi libellé :

    114(2) Dans le cas où un conseil arbitral est saisi d'une affaire comportant une allégation de harcèlement de nature sexuelle ou autre mentionné au sous-alinéa 29c)(i), le président du conseil peut, à la demande du prestataire, ordonner un huis clos ou interdire toute forme de publication ou de diffusion des détails relatifs au harcèlement s'il juge que la nature des révélations possibles sur des questions personnelles ou autres est telle qu'en l'espèce l'intérêt du prestataire ou l'intérêt public l'emporte sur le droit du public à l'information.

    En l'espèce, la prestataire n'a pas demandé à ce que l'audience soit instruite à huis clos. Le président du conseil n'était donc pas obligé d'en faire la proposition.

    Le paragraphe 49(2) de la Loi sur l'assurance-emploi porte que la Commission doit accorder le bénéfice du doute au prestataire dans la détermination de l'existence de circonstances ou de conditions ayant pour effet de le rendre inadmissible au bénéfice des prestations, lorsque les éléments de preuve présentés de part et d'autre à cet égard sont équivalents.

    En l'espèce, le conseil a examiné la preuve et a conclu que les éléments de preuve présentés par les deux parties étaient contradictoires et qu'ils ne concordaient pas. Le conseil a conclu à la crédibilité de la prestataire et a accepté la preuve soumise par cette dernière plutôt que celle de l'employeur. Le conseil, faisant référence à la décision CUB 40589, a souligné qu'il y avait un élément de subjectivité dans le cas d'allégations de harcèlement sexuel et qu'il se pouvait bien que le harcèlement sexuel allégué ne soit perçu comme tel par personne d'autre que la prestataire.

    Pour déterminer si un prestataire était fondé à quitter son emploi aux termes de l'article 29 de la Loi sur l'assurance-emploi dans telle ou telle situation, il faut avant tout examiner et établir les faits. La jurisprudence a établi sans équivoque que c'est au conseil arbitral qu'il incombe d'établir les faits dans les affaires d'assurance-emploi.

    Voici un extrait de l'arrêt Guay (A-1036-96), libellé par le juge Marceau :

    « Nous sommes tous d'avis, après ce long échange avec les procureurs, que cette demande de contrôle judiciaire portée à l'encontre d'une décision d'un juge-arbitre agissant sous l'autorité de la Loi sur l'assurance-chômage se doit de réussir. Nous pensons, en effet, qu'en contredisant, comme il l'a fait, la décision unanime du Conseil arbitral, le juge-arbitre n'a pas respecté les limites dans lesquelles la Loi assoit son pouvoir de contrôle.
    [...]
    De toute façon, dans tous les cas, c'est le Conseil arbitral -- le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation -- qui est celui qui doit apprécier ».

    Dans l'arrêt Ash (A-115-94), la juge Desjardins s'est exprimée comme suit :

    « Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité [...] ».

    Dans Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a déclaré que le rôle d'un juge-arbitre se limitait à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier.

    En l'espèce, la décision du conseil est dûment étayée par la preuve qui lui a été présentée. Le conseil devait trancher entre des éléments de preuve contradictoires et a accepté la preuve présentée par la prestataire, comme il était en droit de le faire aux termes du paragraphe 49(2) de la Loi sur l'assurance-emploi. Je conclus donc que le conseil a examiné tous les éléments de preuve avant de rendre sa décision, et que celle-ci est dûment étayée par la preuve.

    L'employeur et la Commission n'ont pas démontré que le conseil avait rendu une décision entachée d'une erreur.

    Par conséquent, l'appel est rejeté.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 3 novembre 2006

    2011-01-16