TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la Loi sur l'assurance-emploi
- et -
d'une demande de prestations présentée par
JENNIFER LYNNE EDMISON
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à North York (Ontario) le 31 janvier 2006
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-132-07
DÉCISION
Appel instruit à Toronto (Ontario) le 7 décembre 2006.
MONSIEUR LE JUGE W.J. HADDAD, C.R., JUGE-ARBITRE
La Commission interjette appel de la décision du conseil arbitral, qui a déterminé que la prestataire avait démontré qu'elle avait un motif valable de tarder à présenter sa demande de prestations.
Le paragraphe 10(5) de la Loi sur l'assurance-emploi prévoit ce qui suit :
10(5) Lorsque le prestataire présente une demande de prestations, autre qu'une demande initiale, après le délai prévu par règlement pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si celui-ci démontre qu'il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.
La prestataire, qui est une enseignante, a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi. Le 25 août 2005, la Commission l'a informée, dans une lettre, qu'elle ne toucherait aucune prestation pour la période du 4 juillet au 2 septembre 2005 parce qu'elle n'avait pas prouvé qu'elle était disponible pour travailler, étant donné qu'elle avait indiqué qu'elle n'était disposée à travailler qu'à titre d'enseignante. La période en question se situait entre la fin d'une année d'enseignement et le début d'une autre.
Après le 2 septembre 2005, la prestataire a de nouveau fait des efforts, en vain, pour trouver un poste d'enseignante, et elle a présumé qu'étant donné qu'elle continuait de limiter sa recherche d'emploi au domaine de l'enseignement, elle n'était toujours pas admissible au bénéfice des prestations. Au début de décembre, la prestataire a finalement communiqué avec la Commission, qui l'a informée qu'elle était admissible au bénéfice des prestations depuis le 2 septembre 2005. La prestataire a présenté une demande renouvelée et a indiqué qu'elle souhaitait que celle-ci soit antidatée et qu'elle prenne effet le 6 septembre 2005. La Commission a rejeté la demande de la prestataire, qui a interjeté appel de cette décision devant un conseil arbitral.
Le conseil arbitral a déterminé qu'il avait été raisonnable de la part de la prestataire de croire qu'elle n'était pas admissible au bénéfice des prestations, et il a établi que la prestataire avait démontré qu'elle avait un motif valable de tarder à présenter sa demande. Le conseil arbitral a par conséquent accueilli l'appel visant l'antidatation de la demande de la prestataire.
La Commission interjette appel au motif que le conseil arbitral a commis une erreur de droit. La Commission soutient que rien n'empêchait la prestataire de présenter sa demande de prestations plus tôt, et que l'avis envoyé à la prestataire précisait qu'elle avait été déclarée inadmissible au bénéfice des prestations seulement pour la période du 4 juillet au 5 septembre 2005. La Commission a ajouté que la prestataire n'avait pas communiqué avec elle, comme on l'y avait invitée à le faire dans l'avis, pour obtenir de plus amples renseignements ou des précisions. Selon la Commission, la prestataire n'a par conséquent pas démontré qu'elle avait agi comme l'aurait fait une personne raisonnable pour s'informer de ses obligations et de ses droits au sens de la Loi.
La décision de principe portant sur la notion de « motif valable » est celle rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (P.G.) c. Albrecht 1985 1 C.F. 710, 60 N.R. 213. Dans cette décision, le juge Marceau a, au nom de la Cour, déclaré ce qui suit en ce qui a trait aux principes à prendre en considération pour déterminer l'existence d'un motif valable :
« Évidemment, je ne doute pas qu'il serait illusoire pour un prestataire d'invoquer un "motif justifiant son retard" lorsque sa conduite ne peut être imputée qu'à son indifférence ou à son incurie. J'admets également sans peine qu'il ne suffit pas pour le prestataire d'invoquer simplement sa bonne foi et son ignorance totale de la loi. Mais le respect d'une obligation et du devoir de prudence qui l'accompagne n'exige pas des actes qui vont au-delà des limites raisonnables. A mon avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un "motif valable" s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n'existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d'un critère exclusivement objectif. Je crois cependant que c'est là, ce que le législateur avait en vue et c'est, à mon avis, ce que la justice commande. »
Il est important de se rappeler qu'il n'existe aucun principe clair et que chaque affaire doit être tranchée suivant ses faits propres. Le retard de la prestataire ne peut être imputé à l'indifférence ou à l'insouciance de cette dernière. La prestataire a présumé que la raison qu'avait fournie la Commission pour refuser de lui verser des prestations - soit qu'elle limitait sa recherche d'emploi de sorte qu'elle n'était disponible pour travailler qu'à titre d'enseignante - constituait un principe général qui allait continuer de s'appliquer au-delà du 5 septembre 2005, et elle a donc, après cette date, continué de limiter sa recherche d'emploi au domaine de l'enseignement. La prestataire croyait que ses droits et obligations lui avaient été communiqués par la Commission. L'essentiel de la décision du conseil arbitral tient en ces termes : la conduite de la prestataire correspond à celle qu'aurait adoptée une personne raisonnable dans la même situation.
Les règles énoncées par la Cour d'appel fédérale laissent une certaine latitude quant à l'établissement de l'existence d'un motif valable, et, à mon avis, on ne peut reprocher au conseil arbitral de s'être fondé sur les faits propres de l'affaire et d'avoir déterminé que la prestataire avait agi de façon raisonnable et démontré qu'elle avait un motif valable pour tarder à présenter sa demande, et, par conséquent, d'avoir accueilli, dans les circonstances, sa demande d'antidatation.
Je conclus que le conseil n'a commis aucune erreur lorsqu'il a rendu sa décision.
L'appel est rejeté.
« W.J. Haddad »
W. J. Haddad, c.r. - Juge-arbitre
Edmonton (Alberta)
Le 16 janvier 2007