EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
RELATIVEMENT à une demande de prestations par
Frank Gunther
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par l'employeur, Placements Sergakis Inc., de la décision d'un conseil arbitral rendue le 13 décembre 2005 à Montréal, Québec
DÉCISION
GUY GOULARD, Juge-arbitre
Le prestataire a travaillé pour Placements Sergakis Inc. du 18 février 2004 au 2 septembre 2005. Le 12 septembre 2005, il présenta une demande de prestations d'assurance-emploi qui fut établie prenant effet le 11 septembre 2005. La Commission a par la suite déterminé que le prestataire avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite et une exclusion d'une durée indéterminée fut imposée à compter du 11 septembre 2005.
Le prestataire en appela de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui accueillit l'appel. L'employeur porta la décision du conseil en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Montréal, Québec le 7 février 2007. Le prestataire était présent et il était représenté par Me Roch Guertin. L'employeur était représenté par Me Sébastien Sénéchal.
Le motif de congédiement fourni par l'employeur était à l'effet que le prestataire avait volé de l'argent. La preuve avait établi que le prestataire travaillait pour son employeur comme concierge. Il travaillait avec un autre concierge qui demeurait avec le prestataire dans le même logement à même l'édifice où ils travaillaient. Les deux concierges s'occupaient de la perception du loyer de quelques 140 logements. Le deuxième concierge était disparu au mois d'août 2005. En septembre 2005, le prestataire fut convoqué devant cinq dirigeants de l'employeur pour répondre à des questions à l'égard d'argent de loyer qui avait disparu. Le prestataire avait signé un document dans lequel il reconnaissait avoir gardé les sommes qui manquaient et s'engageait à retourner cet argent par voie de déductions de sa paie. La police avait été avisée et des accusations criminelles avaient été portées contre les deux concierges. Le prestataire était en attente de procès.
Le prestataire a par la suite nié avoir volé l'argent et a indiqué qu'il avait signé sa déclaration sous menaces des cinq personnes qui l'interrogeaient et qu'il était alors nerveux et apeuré au point où il s'était senti obligé de signer le document qu'on lui présentait.
Le prestataire et l'employeur, M. Peter Sergakis, se sont présentés devant le conseil arbitral qui a revu la preuve et a accueilli l'appel du prestataire pour les motifs suivants:
"Il n'est pas suffisant, pour démontrer l'inconduite, de faire la preuve de dépôt d'accusations criminelles non encore prouvées. La Commission s'est basée simplement sur la version des faits de l'employeur à l'effet qu'il y a eu vol commis par l'appelant. La preuve telle que soumise par l'employeur devant le Conseil arbitral ne permet pas de conclure, sur la balance des probabilités, qu'il y a eu vol commis par l'appelant. La Commission ne s'est pas déchargée du fardeau de prouver l'inconduite de l'appelant."
En appel, le procureur de l'employeur a indiqué que les accusations criminelles portées contre le prestataire allaient être entendues en cour la semaine du 11 février prochain. Il a soumis que l'employeur avait présenté une preuve suffisante de l'implication du prestataire dans la disparition d'argent du fait qu'il y avait eu des accusations criminelles portées contre lui suite à sa déclaration avouant qu'il avait pris l'argent. Il a soumis que la décision du conseil semblait indiquer qu'il aurait été nécessaire d'attendre le verdict de la cour sur la question du vol pour qu'on détermine qu'il y avait eu inconduite. Il a soumis que ceci n'était pas requis puisque le fardeau de preuve de la Commission et de l'employeur était de démontrer, sur une prépondérance de probabilités, que le prestataire avait commis les gestes allégués contre lui.
Le procureur du prestataire a soumis que la décision du conseil arbitral était bien fondée sur la preuve devant le conseil ou sur le manque de preuve démontrant que le prestataire avait commis l'inconduite en question. Il a soumis qu'il n'y avait en effet aucune preuve de l'implication du prestataire dans la disparition de l'argent sauf sa déclaration. Il a souligné que le conseil avait accepté les explications du prestataire pour avoir signé cette déclaration. Il a aussi soumis que la Cour d'appel fédérale avait décidé dans Meunier (A-130-96) qu'il n'est pas suffisant pour démontrer de l'inconduite de déposer des allégations criminelles non encore prouvées au moment de la cessation d'emploi.
La Commission n'est pas intervenue dans cet appel.
La jurisprudence nous enseigne que le conseil arbitral est le maître dans l'appréciation de la preuve et des témoignages présentés devant lui. La Cour d'appel fédérale s'est exprimée ainsi sur ce sujet dans l'arrêt Guay (A-1036-96):
"De toute façon, dans tous les cas, c'est le conseil arbitral, le pivot de tout le système mis en place par la Loi, pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation, qui est celui qui doit apprécier."
La jurisprudence (Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), McCarthy (A-600-93), Ash (A-115-94), Ratté (A-255-95) et Peace (A-97-03)) nous enseigne de plus qu'un juge-arbitre ne doit pas substituer son opinion à celle d'un conseil arbitral, sauf si sa décision lui paraît avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Dans l'arrêt Ash (supra) la juge Desjardins écrivait:
"Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. Il y avait en outre une preuve abondante appuyant la conclusion de la majorité."
Dans l'arrêt Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (supra), le juge Létourneau indiquait que le rôle d'un juge-arbitre se limite "à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier".
Et plus récemment, dans Peace (supra), le juge Sexton ajoutait:
"Dans l'arrêt Budhai, précité, la Cour a conclu que l'application de l'analyse pratique et fonctionnelle, lorsqu'un juge-arbitre examine une décision rendue par conseil, laquelle décision comporte une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Sacrey, 2003 CAF 377, la Cour a également conclu que la question de savoir si un employé est fondé à quitter son emploi est une question mixte de droit et de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.
Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la Cour suprême a déclaré qu'une décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise."
Dans la présente affaire la décision du conseil est entièrement compatible à la preuve au dossier. Le conseil a accepté les explications du prestataire à l'égard de sa déclaration et, comme il a été établi dans la jurisprudence, il n'y avait aucune preuve de l'inconduite alléguée contre le prestataire sauf le fait que des accusations criminelles avaient été portées contre lui.
Le juge-arbitre n'est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du conseil. Les compétences du juge-arbitre sont limitées par le paragraphe 115(2) de la Loi. À moins que le conseil arbitral n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'il ait erré en droit ou qu'il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le juge-arbitre doit rejeter l'appel.
L'employeur n'a pas démontré que le conseil arbitral a erré de la sorte.
Par conséquent, l'appel est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
Ottawa, Ontario
Le 15 février 2007