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  • CUB 68177

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande présentée par
    HUIRONG LILY LUI

    - et -

    d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Burnaby (Colombie-Britannique) le 14 août 2006

    DÉCISION

    Le juge-arbitre MAX TEITELBAUM

    La prestataire interjette appel de la décision d'un conseil arbitral confirmant la décision de la Commission selon laquelle elle a perdu son emploi en raison de son inconduite et, par conséquent, n'est pas admissible au bénéfice des prestations.

    Mme Lui a présenté une demande initiale de prestations, laquelle a pris effet le 28 mai 2006 (pièce 2). Sur le relevé d'emploi soumis à l'appui de sa demande, on peut lire que la prestataire a travaillé pour Gateway Casinos Inc. du 17 avril 1999 au 28 mai 2005, date à laquelle elle a été suspendue en raison d'une enquête menée par la Gaming Policy and Enforcement Branch (GPEB) (pièce 4). Dans sa demande de prestations, la prestataire a indiqué qu'elle avait été suspendue parce qu'elle était accusée d'une infraction criminelle, et elle savait qu'il était possible qu'elle ne puisse obtenir et conserver une licence de jeu (pièce 2-7).

    La Commission a communiqué avec l'employeur, lequel a confirmé que Mme Lui avait été accusée d'une infraction criminelle et que, par conséquent, elle ne pouvait obtenir et conserver une licence de jeu, ce qui constituait une condition d'emploi. Sans détenir une telle licence, elle ne pouvait travailler pour le Casino (pièce 5).

    En se fondant sur les informations qui lui ont été présentées, la Commission a conclu que la prestataire avait été suspendue en raison de son inconduite parce qu'elle n'était pas en mesure de respecter ses conditions d'emploi chez Gateway Casinos. L'une des conditions d'emploi étant de détenir une licence de jeu, elle ne pouvait plus respecter cette condition en étant accusée d'une infraction criminelle. Par conséquent, la Commission l'a exclue du bénéfice des prestations pour une durée indéterminée à partir du 29 mai 2006 (pièce 8).

    La prestataire a interjeté appel devant un conseil arbitral au motif qu'elle n'avait pas été congédiée par son employeur et qu'elle était innocente des fautes dont on l'accusait. Elle était accompagnée de son fils lorsqu'elle s'est présentée devant le conseil.

    Après avoir entendu le témoignage de la prestataire et avoir examiné les documents au dossier, le conseil arbitral a rejeté l'appel de Mme Lui en invoquant, en partie, les motifs suivants :

    En l'espèce, il est clair que la prestataire, qui a été accusée d'avoir commis une infraction criminelle, a été suspendue parce qu'elle ne pouvait pas respecter les exigences relatives à son emploi, soit de détenir une licence de jeu valide et permanente.

    Le conseil note également qu'il existe une abondante jurisprudence qui démontre que la perte d'un élément requis pour exercer son emploi, tel qu'un permis de conduire ou, en l'espèce, une licence de jeu, constitue une inconduite et empêche un prestataire de toucher des prestations d'assurance-emploi.

    Le conseil tient pour avéré que la suspension de la prestataire découle du fait qu'elle a été accusée d'avoir commis une infraction criminelle; en effet, en raison de cette infraction, elle ne peut respecter une condition essentielle pour conserver son emploi, soit détenir de [sic] licence de jeu valide. Par conséquent, conformément à la jurisprudence, le conseil conclut que les actes commis par la prestataire constituaient de l'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi.

    De plus, le conseil estime que la prestataire ne satisfait à aucune des conditions d'exemption prévues par l'article 31. Par conséquent, le conseil conclut que la prestataire n'est pas admissible au bénéfice des prestations d'assurance-emploi.

    Aujourd'hui, la prestataire interjette appel devant le juge-arbitre au motif que le conseil arbitral a commis une erreur de droit et de fait en rendant sa décision. Dans sa lettre d'appel devant le juge-arbitre, le représentant de la prestataire invoque la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Meunier c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) [1996] A.C.F. n° 1347 (C.A.F.) à l'appui de son témoignage selon lequel les fautes criminelles dont la prestataire avait été accusée n'ayant pas été prouvées au moment de la cessation de son emploi, elles ne pouvaient suffire à établir que cette dernière avait fait preuve d'inconduite.

    Il s'agit d'une affaire intéressante et je suis convaincu que le conseil arbitral a commis une erreur en rendant sa décision. D'abord, il convient de faire remarquer que la prestataire a été exclue du bénéfice des prestations en vertu de l'article 31 de la Loi, lequel porte sur l'inadmissibilité d'un prestataire lorsque ce dernier est suspendu de son emploi [sic] en raison de son inconduite.

    En l'espèce, le problème est que l'employeur a exercé un pouvoir discrétionnaire en suspendant l'autorisation de la prestataire au motif qu'elle avait été accusée d'infractions criminelles qu'il présumait être très graves. Or, jusqu'à ce qu'elle soit déclarée coupable, la prestataire pouvait conserver son autorisation. Toutefois, l'employeur semble avoir manifesté un préjugé concernant la culpabilité ou l'innocence de la prestataire.

    Cette démarche s'oppose à celle qui est exprimée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Meunier (aux paragraphes 11 et 12) :

    Il n'est pas suffisant, pour démontrer l'inconduite que sanctionne l'article 28 et le lien entre cette inconduite et l'emploi, de faire état du dépôt d'allégations de nature criminelle non encore prouvées au moment de la cessation d'emploi et de s'en remettre, sans autre vérification, aux spéculations de l'employeur. Les conséquences qui s'attachent à une perte d'emploi en raison d'inconduite sont sérieuses. On ne peut pas laisser la Commission et, après elle, le conseil arbitral et le juge-arbitre, se satisfaire de la seule version des faits, non vérifiée, de l'employeur à l'égard d'agissements qui ne sont, au moment où l'employeur prend sa décision, qu'allégations non prouvées. Il est certain que la Commission pourra se décharger de son fardeau plus facilement si l'employeur a pris sa décision, par exemple, après la tenue de l'enquête préliminaire et, a fortiori, s'il l'a prise après le procès.

    Nous en arrivons ainsi à la conclusion que la Commission ne s'est pas déchargée, ni devant le conseil arbitral ni devant le juge-arbitre, du fardeau de prouver l'inconduite du requérant au sens de l'article 28 de la Loi.

    De fait, le 26 mars 2007, la prestataire a été jugée non coupable.

    En conséquence de la décision rendue dans l'arrêt Meunier et, plus particulièrement, de la déclaration de non-culpabilité de la prestataire, la décision du conseil arbitral datée du 14 août 2006 est annulée et l'appel de la prestataire, accueilli.

    Max M. Teitelbaum

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 17 mai 2007

    2011-01-16