• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • CUB 68191

    CUB 68191

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande de prestations

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la prestataire à l'encontre de la décision du conseil arbitral rendue à Burnaby (Colombie-Britannique) le 13 mars 2006


    CUB CORRESPONDANT : 68191A

    CUB CORRESPONDANT : 68191B

    CUB CORRESPONDANT : 68191C

    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-318-07


    DÉCISION

    Le juge-arbitre MAX M. TEITELBAUM

    La prestataire a interjeté appel de la décision rendue à la majorité par le conseil arbitral, qui a jugé qu'elle n'était pas fondée à quitter volontairement son emploi. Le membre dissident du conseil a conclu que, compte tenu de toutes les circonstances, la prestataire était fondée à quitter son emploi et il aurait accueilli son appel.

    Le 9 mai 2006, la prestataire a interjeté appel devant le juge-arbitre. Le 4 juillet 2006, la Commission de l'assurance-emploi du Canada a fait parvenir une lettre à la prestataire pour l'aviser qu'elle avait examiné la décision du conseil arbitral et qu'elle allait recommander au juge-arbitre d'accueillir son appel. La Commission a joint à l'envoi un formulaire que la prestataire a signé et retourné à la Commission le 12 juillet 2006, attestant ainsi qu'elle avait été informée de la recommandation de la Commission. Vu l'évolution du dossier, la prestataire a indiqué qu'elle souhaitait retirer sa demande d'audience devant le juge-arbitre. Le 18 juillet 2006, l'employeur a informé la Commission qu'il s'opposait à son changement de position en faveur de la prestataire et a demandé une audience devant le juge-arbitre.

    En conséquence, je dois maintenant déterminer s'il faut accepter la recommandation de la Commission d'accueillir l'appel de la prestataire.

    Voici les faits relatifs à cette affaire. Une demande initiale de prestations a été présentée, et une période de prestations débutant le 6 novembre 2005 a été établie au profit de la prestataire (pièce 2). Le relevé d'emploi présenté à l'appui de la demande de prestations indiquait que la prestataire avait occupé un emploi chez un fabriquant de vêtements d'extérieur jusqu'au 2 novembre 2005, date à laquelle elle a quitté volontairement son emploi (pièce 3).

    En fait, onze couturières ont quitté l'emploi qu'elles exerçaient au sein de cette entreprise en raison d'un différend avec l'employeur au sujet des politiques salariales. Les employées ont adressé à la Commission une lettre indiquant qu'elles estimaient être fondées à quitter leur emploi puisque l'employeur avait modifié unilatéralement les conditions initiales d'emploi ainsi que les conditions salariales et les avantages sociaux, et ce, à leur détriment (pièce 5). Dans cette lettre, elles ont également énuméré plusieurs incidents qui se sont produits, disant notamment que l'employeur avait réduit leur salaire, qu'il avait supprimé les pauses-café et que les heures supplémentaires n'étaient pas rémunérées. En conclusion, les employées ont indiqué que les mesures appliquées par l'employeur depuis le printemps 2005 les avaient mises en colère et les avaient déçues. Des avantages sociaux dont elles bénéficiaient auparavant avaient été remplacés par des récompenses qui n'étaient pas très bien définies. Les employées avaient demandé à l'employeur de leur expliquer les changements apportés, mais celui-ci n'avait pas donné suite à cette demande. En raison des changements apportés régulièrement aux politiques de l'entreprise, les employées ne faisaient plus confiance à la direction.

    La prestataire a dit à la Commission qu'elle avait quitté son emploi parce que l'employeur avait apporté d'importantes modifications aux conditions salariales. Elle a indiqué qu'elle n'était pas payée pour les heures supplémentaires, mais qu'elle était obligée d'en faire. Elle a précisé à la Commission qu'elle avait travaillé pour cet employeur pendant sept ans et qu'elle avait quitté son emploi parce que son salaire était passé de 9,50 $ l'heure à 8 $ l'heure. La prestataire a affirmé que les modifications apportées au système de paye de l'employeur ont réduit la rémunération versée pour la même quantité de travail et que l'employeur avait réduit les salaires à plusieurs reprises (pièces 5 et 9). Enfin, la prestataire a indiqué qu'elle n'avait pas cherché d'emploi avant de quitter celui qu'elle occupait parce qu'elle n'avait pas eu le temps de le faire, mais qu'elle s'y consacrait activement depuis qu'elle avait quitté son emploi (pièce 5).

    La Commission a communiqué avec l'employeur, qui a confirmé que onze couturières avaient quitté leur emploi le 3 novembre 2005 (pièce 10-1). L'employeur a déclaré qu'il désirait négocier avec les travailleuses, mais que ces dernières étaient parties. Elles ont quitté leur emploi parce qu'elles étaient insatisfaites du nouveau système de gestion. Elles n'appréciaient pas la façon dont le travail à la pièce était rémunéré à la suite des changements apportés. L'employeur a signalé que les employées travaillaient moins vite parce qu'elles étaient insatisfaites des changements, et que c'est pour cette raison que leur salaire avait diminué. Il a ajouté que l'entreprise était l'un des meilleurs ateliers de couture de la région. Elle avait la réputation de mieux rémunérer ses couturières, et la plupart d'entre elles gagnaient plus de 10 $ l'heure. Le salaire que chaque employée pouvait toucher variait en fonction du travail terminé, mais l'employeur versait toujours au moins 8,60 $ l'heure même si l'employée n'arrivait pas à atteindre le nombre de pièces requis (pièce 6-1).

    Après avoir quitté leur emploi, la prestataire et ses collègues de travail avaient communiqué avec un organisme dans le but d'obtenir de l'aide. La Commission a donc contacté le conseiller, la personne au sein de cet organisme qui, à l'époque, avait aidé les employées. Celui-ci a indiqué à la Commission qu'il s'occupait de cas relatifs à cet employeur depuis de nombreuses années et que la situation s'était détériorée au cours des huit derniers mois. Il a précisé que l'employeur n'avait pas tenu compte des besoins des employées, et que celles-ci doivent maintenant travailler dix heures par jour mais ne sont payées que pour huit heures de travail. Le conseiller a également signalé à la Commission que l'employeur avait pris des mesures pour que les employées n'aient plus à quitter leur poste de travail de la journée. Elles n'ont qu'à appuyer sur un bouton si elles ont besoin de quelque chose et on leur apporte l'objet demandé. Le conseiller a affirmé que ce milieu de travail était un atelier de misère. Il a confirmé que toutes les employées touchaient un salaire inférieur depuis la mise en place du nouveau système et qu'il avait dit aux couturières d'évaluer le nombre d'heures pour lesquelles elles n'avaient pas été rémunérées si elles voulaient déposer une plainte à la Commission des normes du travail (pièce 7).

    La Commission a examiné la feuille de temps présentée par la prestataire et a déterminé que les employées semblaient travailler 80 heures mais qu'elles étaient rémunérées pour un nombre d'heures inférieur. La Commission a communiqué avec l'employeur à ce sujet et celui-ci a expliqué que compte tenu du fait que les employées n'étaient plus rémunérées durant leurs pauses, 3,2 heures par semaine étaient donc retranchées de leur nombre d'heures de travail. L'employeur a signalé que le nombre d'heures indiqué sur les feuilles de temps correspondait au temps consacré au travail à la pièce. L'employeur a ajouté que, selon lui, dans le cadre du nouveau système, les employées auraient dû être capables de travailler plus vite et de coudre un plus grand nombre de pièces étant donné qu'elles cousaient toujours le même type de pièces et que, en théorie, cela leur permettrait d'augmenter leur salaire. Selon l'employeur, les employées n'aimaient pas le nouveau système et ont donc ralenti la cadence. Leur superviseur les a avisées qu'en raison de ce ralentissement leur salaire de base diminuerait d'un échelon. En d'autres mots, toutes les employées rémunérées à la pièce dont le salaire de base était de 9,50 $ verraient leur salaire passer à 9 $. Si les employées avaient gardé leur rythme de travail habituel, leur salaire n'aurait pas été touché. Enfin, l'employeur a dit à la Commission qu'il n'avait jamais communiqué avec la Commission des normes du travail pour s'informer au sujet de la façon dont il devrait rémunérer le travail à la pièce (pièce 11).

    Se fondant sur l'information dont elle disposait, la Commission a déterminé que la prestataire n'avait pas démontré qu'elle était fondée à quitter volontairement son emploi parce qu'elle n'avait pas réussi à prouver que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Selon la Commission, il aurait été préférable que la prestataire communique avec une agence de placement ou avec la Commission des normes du travail avant de quitter son emploi. La Commission estimait également que la prestataire aurait dû chercher un autre emploi avant de quitter celui qu'elle occupait. Elle a donc exclu la prestataire du bénéfice des prestations pour une période indéterminée à partir du 3 novembre 2005 (pièce 12) en application des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi.

    La prestataire a porté cette décision en appel devant le conseil arbitral. La preuve documentaire présentée au conseil contenait les observations détaillées faites par l'employeur (pièces 15, 18 et 19). La prestataire a participé à l'audience en compagnie de sa représentante et interprète. La majorité des membres du conseil, même s'ils compatissaient avec la prestataire, ont conclu qu'il n'était pas urgent qu'elle quitte son emploi et qu'il y avait d'autres solutions raisonnables à sa disposition, par exemple elle aurait pu communiquer avec la Commission des normes du travail ou avec la Commission de l'assurance-emploi pour obtenir des conseils. La majorité des membres du conseil ont donc jugé que la prestataire n'était pas fondée à quitter son emploi et ont rejeté son appel.

    Le membre dissident était d'avis que, compte tenu des circonstances, la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi et il aurait accueilli l'appel de la prestataire.

    Comme il a été dit précédemment, la prestataire a interjeté appel devant le juge-arbitre mais, entre-temps, la Commission a examiné la décision du conseil et concédé l'appel en faveur de la prestataire. L'employeur conteste maintenant le changement de position de la Commission.

    Depuis la date où j'ai instruit cette affaire, l'employeur a présenté d'autres documents qu'il voulait que j'examine avant de rendre ma décision. J'ai examiné attentivement ces documents datés du 16 mai 2007 que le Bureau du juge-arbitre a reçus le 22 mai 2007. Cependant, ils ne contiennent aucun renseignement nouveau. L'employeur répète tout simplement les arguments qu'il a exposés à maintes reprises.

    Après avoir examiné les documents figurant au dossier et avoir entendu les parties, je suis convaincu que la majorité des membres du conseil arbitral ont rendu une décision entachée d'une erreur.

    Les éléments de preuve qui m'ont été présentés démontrent clairement que l'employeur a modifié unilatéralement les conditions d'emploi. L'employeur a décidé de faire augmenter la productivité des employées en supprimant les pauses-café et en engageant des coursiers afin qu'elles n'aient plus à quitter leur machine à coudre.

    La majorité des membres du conseil n'ont pas accordé suffisamment d'importance aux changements unilatéraux apportés par l'employeur.

    Selon moi, la recommandation de la Commission devrait être acceptée. Les arguments que l'employeur a présentés au juge-arbitre avaient déjà été soumis au conseil arbitral; il n'a fait que répéter les arguments qu'il avait déjà exposés. Le fait est que des éléments de preuve permettent de conclure que la prestataire était fondée à quitter son emploi, comme le démontre la division au sein du conseil arbitral. Compte tenu de la preuve, nous pouvons certainement affirmer que la conclusion du membre dissident est raisonnable.

    L'appel de la prestataire est accueilli et la décision rendue à la majorité par le conseil arbitral est annulée.

    Max M. Teitelbaum

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 28 mai 2007

    2011-01-16