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  • CUB 68255

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande présentée par
    SANDRA ROBBINS

    - et -

    d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Burnaby (Colombie-Britannique) le 21 septembre 2006

    DÉCISION

    Le juge-arbitre MAX M. TEITELBAUM

    Le présent appel a été interjeté par la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral. Ce dernier a confirmé la décision de la Commission, laquelle avait déterminé que la prestataire avait quitté son emploi volontairement et sans justification et qu'elle devait, par conséquent, être exclue du bénéfice des prestations.

    Une demande de prestations a été présentée par Mme Robbins et une période de prestations établie en sa faveur a pris effet le 9 juillet 2006 (pièce 2). Le relevé d'emploi présenté à l'appui de sa demande indiquait qu'elle avait travaillé pour Upper Canada Soap and Candle du 9 novembre 2005 au 7 juillet 2006, date à laquelle elle a quitté son emploi (pièce 3). Dans sa demande de prestations, la prestataire a avisé la Commission qu'elle avait quitté son emploi le 10 juillet pour déménager en Colombie-Britannique parce qu'elle s'était fiancée et qu'elle avait obtenu un emploi dans cette province, emploi qu'elle n'occuperait toutefois qu'à compter du 14 août 2006 (pièces 2-6 et 2-7).

    La Commission a communiqué avec la prestataire par la suite. Cette dernière a alors précisé que, au moment où elle avait démissionné et acheté ses billets d'avion pour la Colombie-Britannique, elle ignorait si elle aurait un emploi à compter du 14 août, et que ses démarches pour obtenir l'emploi visé n'avaient finalement pas abouti. Au cours de cet entretien téléphonique, la prestataire a en outre mentionné que son fiancé n'était pas le père de son fils (pièce 6).

    Se fondant sur l'information qui lui avait été présentée, la Commission a déterminé que la prestataire avait quitté son emploi volontairement et sans justification, étant donné qu'elle avait été incapable de démontrer qu'aucune solution raisonnable autre que la démission ne s'offrait à elle au moment où elle avait quitté son emploi. Selon la Commission, une autre solution raisonnable aurait été de trouver un emploi en Colombie-Britannique d'abord, puis de donner sa démission ensuite. En conséquence, la Commission a imposé à la prestataire une exclusion pour une période indéfinie à compter du 10 juillet 2006, en application des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi (pièce 7).

    Mme Robbins a interjeté appel devant un conseil arbitral, affirmant qu'elle estimait être traitée injustement et être pénalisée pour avoir apporté des changements dans sa vie et tenté d'améliorer sa situation et celle de son fils. Elle a argué qu'elle ne demandait pas des prestations pour une période de plusieurs mois et qu'elle souhaitait simplement obtenir de l'assistance d'un régime auquel elle avait cotisé pendant tant d'années. Même si elle avait bon espoir de trouver un emploi dans un délai d'un mois, cela faisait sept semaines qu'elle habitait la Colombie-Britannique et qu'elle était sans revenu, et ses factures étaient impayées parce qu'elle n'avait tout simplement pas d'argent (pièces 8 et 9).

    La majorité des membres du conseil arbitral ont rejeté l'appel de la prestataire, invoquant notamment les raisons suivantes :

    Constatation des faits et application de la Loi

    Le conseil tient pour avéré que la prestataire n'avait pas fixé de date de mariage et qu'elle n'avait pas trouvé un travail ailleurs avant de quitter son emploi (pièce 6). Par conséquent, le conseil tient pour avéré qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où la prestataire était obligée de suivre son conjoint, parce qu'elle et son fiancé n'ont pas vécu ensemble pendant au moins un an.

    Le conseil conclut que, si la prestataire avait peut-être de bonnes raisons de quitter son emploi, celles-ci ne constituent cependant pas une justification car elles relèvent d'un choix personnel.

    Pour rendre sa décision, le conseil s'est appuyé sur les affaires CUB 49011 et 42154A ainsi que sur l'arrêt Rena Astronomo (A-141-97).

    Le conseil tient pour avéré que la Commission a correctement appliqué les articles 29 et 30 de la Loi en l'espèce.

    Se fondant sur les décisions CUB 62673 et 54861, le membre dissident aurait accueilli l'appel de Mme Robbins, au motif qu'elle avait démontré qu'elle était fondée à quitter son emploi. Le membre dissident s'est exprimé comme suit :

    Dans la présente affaire, la prestataire croyait avoir trouvé un emploi. Le fait que celui-ci ne se soit pas matérialisé n'est nullement de sa faute.

    En ce qui concerne le projet de mariage de la prestataire, elle et son fiancé étaient engagés dans une relation sérieuse et solide.

    À la pièce 12-2, remise au conseil arbitral immédiatement avant l'audience, la prestataire déclare : « il fallait que mon fils termine son année scolaire et, si nous avions attendu jusqu'à un moment plus proche de la date du mariage, il aurait fallu lui faire quitter l'école au milieu de l'année. Par ailleurs, nous avons trouvé très rapidement une nouvelle maison, ce que nous n'avions pas prévu. » [Traduction].

    Le membre minoritaire accepte la prise en compte par la prestataire des besoins de son enfant et comprend qu'il peut être très perturbant de déménager en cours d'année scolaire.

    Le membre minoritaire accepte également le fait qu'en trouvant très rapidement une nouvelle résidence, la prestataire souhaitait déménager le plus tôt possible et alléger le fardeau financier du paiement de deux maisons, l'une en Ontario et l'autre en Colombie-Britannique.

    [...]

    Compte tenu de tous les fait et circonstances dans la présente affaire (sous-alinéa 29c)(xiv) de la Loi sur l'assurance-emploi), le membre minoritaire conclut que la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi afin de pouvoir poursuivre sa relation et installer un nouveau logement pour elle-même, son enfant d'âge scolaire et son fiancé, en prévision de leur mariage et, par conséquent, accueillerait l'appel.

    La prestataire interjette maintenant appel devant un juge-arbitre, invoquant les trois motifs d'appel prévus à l'article 115 de la Loi. Elle explique ce qui suit dans sa lettre d'appel (pièce 16.3) :

    Mon futur époux et moi nous sommes fiancés deux mois avant notre déménagement en Colombie-Britannique. Nous n'avions pas fixé de date avant notre arrivée en C.-B. parce que la mère de mon fiancé reçoit des traitements pour un cancer du sein et qu'il nous était impossible d'arrêter quelque plan que ce soit avant qu'elle ait reçu son pronostic.
    J'avais obtenu un emploi à temps plein une semaine avant notre déménagement en Colombie-Britannique, emploi que je devais commencer à occuper le 14 août 2006. Les démarches que j'avais faites ont malheureusement échoué, et je suis allée de l'avant avec ma demande de prestation d'A.-E. Sept semaines après mon arrivée en Colombie-Britannique, ma demande a été refusée parce que, selon ce qu'on m'a dit, la démission n'était pas la seule solution qui s'offrait à moi. J'aimerais bien savoir combien de gens réussissent à trouver un emploi à temps plein dans une autre province sans rien faire d'autre qu'envoyer un curriculum vitae.

    Aujourd'hui, j'ai un emploi et je continue ma vie auprès de mon futur mari et de notre fils, mais je suis très déçue par l'ensemble du régime. Je ne comprends pas pourquoi on accorde de l'importance au fait que mon fiancé ne soit pas le père de mon fils, comme S. Turton l'a noté dans mon dossier. Ce sont des prestations de chômage que j'ai demandées, pas des prestations d'aide sociale ni une pension alimentaire pour enfants. J'ai démontré que j'avais fait une recherche d'emploi avant et après mon arrivée en Colombie-Britannique, et j'ai souligné à quel point il était difficile de trouver un emploi dans une province lorsqu'on en habite une autre. Je ne voudrais certainement pas avoir abusé des régimes comme le font tant d'autres personnes, ou avoir touché des prestations d'aide sociale, comme me l'a recommandé un employé du bureau de l'A.-E. Je voulais simplement obtenir de l'assistance du régime auquel j'ai cotisé pendant tant d'années.

    [Traduction]

    Après avoir lu les documents versés au dossier et avoir entendu la prestataire, qui affirme avoir obtenu avant d'aller s'installer en Colombie-Britannique un emploi qu'elle devait commencer à occuper le 14 août 2006, je suis convaincu que ladite prestataire était fondée à quitter son emploi pour déménager dans cette province. La prestataire a quitté son emploi pour s'établir en Colombie-Britannique et s'y marier. Le mariage a maintenant eu lieu. Avant de quitter l'emploi qu'elle occupait en Ontario, elle avait cherché et trouvé un emploi en Colombie-Britannique.

    Dans le CUB 67172 (Malet-Veale), le juge-arbitre a traité de l'approche qu'il convient d'adopter pour interpréter et mettre en application l'alinéa 29c). Cet alinéa doit être interprété avec largesse, et il est nécessaire, pour l'appliquer, d'évaluer chacune des circonstances uniques et particulières du cas, afin de déterminer si le prestataire avait une justification. Le juge-arbitre a écrit ce qui suit :

    [...] la formulation de l'article 29 permet de conclure de façon tout à fait catégorique que pour déterminer si un prestataire est fondé à quitter son emploi, il faut examiner l'ensemble des circonstances uniques et particulières qui s'appliquent à son cas, de façon à établir si, selon la prépondérance des probabilités, le prestataire n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu'il l'a fait. Les alinéas de l'article 29 n'ont pas pour objet de restreindre, de circonscrire ni de limiter la discrétion d'un conseil arbitral. Il n'est pas obligatoire que la situation du prestataire corresponde à l'une des catégories énoncées dans ces alinéas pour que l'on détermine qu'il était fondé à quitter son emploi.

    Par conséquent, bien que le fait de vouloir déménager pour être plus près de sa famille puisse, dans le cas de certaines personnes, ne pas constituer une justification, il peut en être autrement pour d'autres personnes. Dans certains cas, il ne s'agit là que d'une bonne raison personnelle de quitter son emploi, mais dans d'autres cas, cette raison peut, selon les circonstances, être considérée comme une justification. Les juges-arbitres reconnaissent en général qu'un prestataire est fondé à quitter son emploi s'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable et prudente dans des circonstances similaires.

    Selon moi, ce raisonnement s'applique également aux faits de la présente affaire, et je suis d'avis, comme le membre dissident, que cette prestataire a démontré qu'elle était fondée à quitter son emploi et qu'elle ne devrait pas être exclue du bénéfice des prestations.

    En conséquence, j'accueille l'appel et j'annule la décision du conseil arbitral.

    Max M. Teitelbaum

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 17 mai 2007

    2011-01-16