EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
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RELATIVEMENT à une demande de prestations par
Caroline SAURO
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RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la prestataire de la décision d'un Conseil arbitral rendue à Alma (Québec) le 28 février 2007
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : 07-A-33
DÉCISION
M.E. Lagacé, juge-arbitre
La prestataire interjette appel d'une décision unanime du Conseil arbitral qui maintient la décision de la Commission à l'effet de lui imposer une exclusion pour une période indéterminée aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi, au motif que la perte de son emploi découle de son inconduite au sens de la Loi.
La prestataire est présente et représentée lors de l'audition de son appel devant le juge-arbitre soussigné.
Les faits pertinents
La preuve présentée par l'employeur révèle que le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI) du Saguenay Lac-St-Jean met fin à l'emploi de la prestataire à la suite d'une enquête où on conclut à certains manquements graves et comportements répétitifs qui iraient à l'encontre du règlement portant sur les garanties minimales de protection à assurer à la clientèle recevant des soins dans cet établissement.
La lettre de congédiement qui réfère à cette enquête reproche à la prestataire des méthodes d'intervention et des approches avec les usagers jugées inadéquates et inacceptables tant quant au langage utilisé par la prestataire que dans sa façon d'exercer ses fonctions.
L'employeur ne donne pas d'avertissement préalable à la prestataire et, lors de son congédiement, il ne lui donne pas plus l'occasion de s'expliquer.
Devant le Conseil arbitral, la prestataire réfute la plupart des allégations et des principales accusations de son ancien employeur et explique les circonstances de ses interventions auprès des bénéficiaires du CRDI.
Diplômée en assistance aux bénéficiaires en établissement de santé, la prestataire ne possède pas de formation spécifique pour la clientèle d'un Centre de déficience intellectuelle. Elle n'a jamais reçu avant sa lettre de congédiement de réprimande pour son langage, n'a jamais eu l'occasion de s'expliquer ou de corriger sa façon de faire avec les bénéficiaires de l'établissement.
Si la prestataire ne nie pas tous les faits reprochés, il n'en demeure pas moins qu'elle donne des explications pour justifier chacun de ces faits et gestes reprochés.
Décision du Conseil arbitral
Le Conseil déclare qu'il « semble y avoir un lien entre le témoignage de la prestataire et les faits reprochés par l'employeur. La prestataire n'a pas réfuté ou nié les gestes reprochés, elle a plutôt banalisé l'ensemble des gestes reprochés. Mais le Conseil arbitral trouve que ces gestes sont suffisamment graves pour qu'ils résultent d'une insouciance ou d'une négligence tels qu'ils frôlent le caractère délibéré. » Partant de là, il conclut que la prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.
Le Conseil toutefois oublie dans sa décision que la seule preuve des gestes reprochés à la prestataire est contenue dans l'avis de congédiement qui rapporte des faits révélés par des tiers lors d'une enquête interne.
Aucun de ces tiers toutefois ne témoigne et aucun affidavit de ceux-ci n'est produit. Bien sûr, il y a un lien entre le témoignage de la prestataire et les faits reprochés par l'employeur en ce que la prestataire explique le contexte de chacun des faits qu'on lui reproche pour tout simplement se disculper des reproches. Il est inexact de conclure comme le fait le Conseil que la prestataire ne réfute pas ou ne nie pas les gestes reprochés. Il faut lire la transcription de son témoignage pour voir qu'elle n'admet aucun des reproches.
Il est surprenant que le Conseil, partant de là, accepte la version de l'employeur basée uniquement sur une preuve de ouï-dire pour retenir un comportement inacceptable de la part de la prestataire. Le fait qu'un employeur conclut qu'un prestataire a fait preuve d'inconduite ne signifie pas pour autant qu'il y a inconduite selon les termes des articles 29 et 30 de la Loi.
Prouver l'inconduite d'un employé, c'est établir qu'il s'est comporté autrement qu'il n'aurait dû. On ne fait donc pas cette preuve en établissant seulement que l'employeur a jugé répréhensible la conduite de son employé ou, encore, qu'il lui a reproché en termes généraux de s'être mal conduit. Pour qu'un Conseil arbitral puisse conclure à l'inconduite d'un employé, il doit avoir devant lui une preuve suffisamment circonstanciée pour lui permettre, d'abord de savoir comment l'employé a agi, et ensuite de juger si ce comportement était répréhensible (arrêt A-636-85 (C.A.F.); CUB 35474).
Même si les règles de preuve en matière d'assurance-emploi sont assez larges, elles doivent tout de même être concluantes. Or, en l'espèce, l'employeur fait état d'une enquête et de déclarations de membres du personnel mais ne fait témoigner aucune des personnes de qui émanent ces déclarations, et ne dépose même pas une déclaration assermentée de celles-ci. En somme, la preuve de l'employeur est strictement une preuve de ouï-dire contre laquelle le Conseil aurait dû se mettre en garde plutôt que de voir un lien entre les explications de la prestataire et les faits reprochés par l'employeur.
Il est vrai que les gestes reprochés par l'employeur sont graves s'ils sont supportés par une preuve orale directe plutôt que par une preuve de ouï-dire.
Considérant que la prestataire n'était jamais seule mais toujours assistée d'une autre préposée lorsqu'elle posait des gestes auprès des bénéficiaires du CRDI, comment se fait-il qu'aucun de ces préposés qui assistaient la prestataire n'a témoigné pour corroborer le ouï-dire de l'employeur?
Après avoir analysé toute la preuve en dossier, y compris la transcription du témoignage de la prestataire, le soussigné se doit de conclure que la preuve sur laquelle s'appuie le Conseil est loin d'être concluante et que la Commission ne s'est pas déchargée de son fardeau de prouver l'inconduite.
POUR CES MOTIFS, le juge-arbitre annule la décision du Conseil arbitral et fait droit à l'appel de la prestataire.
« M.E. Lagacé »
Juge-arbitre
Montréal (Québec)
Le 11 juillet 2007