EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
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RELATIVEMENT à une demande de prestations par
Karine LEBRETON
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la Commission de la décision d'un conseil arbitral rendue le 22 mars 2006 à Gaspé, Québec
DÉCISION
GUY GOULARD, Juge-arbitre
La prestataire a travaillé pour la Maison du Homard du 2 mai au 18 septembre 2004. Elle a présenté une demande de prestations renouvelée qui fut établie prenant effet le 19 septembre 2004. La Commission détermina par la suite que la prestataire était retournée travailler chez son employeur du 8 au 14 mai 2005, qu'elle avait alors quitté son emploi sans justification et que ceci ne représentait pas la seule solution raisonnable dans son cas. En conséquence, la Commission a imposé une exclusion d'une période indéterminée prenant effet le 8 mai 2005. Cette déclaration a donné lieu à un trop-payé de 1 390,00$. La Commission a également déterminé que la prestataire avait fait des fausses déclarations en ne déclarant pas avoir volontairement quitté son emploi. La Commission a imposé une pénalité au montant de 695,00$ et un avis de violation.
La prestataire en appela des décisions de la Commission devant un conseil arbitral qui accueillit l'appel unanimement sur la question de l'imposition d'une pénalité et d'un avis de violation et majoritairement sur la question du départ sans justification. La Commission a porté la décision du conseil sur la question du départ volontaire en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Gaspé, Québec le 24 juillet 2007. La prestataire était présente.
La seule question en litige est à savoir si les membres majoritaires du conseil arbitral ont erré en décidant que la prestataire avait établi une justification au sens de la Loi sur l'assurance-emploi pour avoir quitté son emploi.
Sur le relevé d'emploi, l'employeur avait indiqué que la prestataire avait volontairement quitté son emploi le 14 mai 2005. Il avait ajouté à la pièce 7 qu'il avait informé la prestataire qu'il ne pourrait lui donner autant d'heures que l'année précédente. La prestataire lui avait alors indiqué qu'elle aurait peut-être un emploi ailleurs qui lui fournirait suffisamment d'heures d'emploi pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi. L'employeur avait aussi indiqué que la prestataire n'était pas une employée exceptionnelle et qu'elle n'était jamais certaine de pouvoir se présenter au travail en raison de problèmes avec sa vieille voiture.
La prestataire avait indiqué que son employeur ne lui donnait que quelques jours de travail ici et là. Il ne pouvait lui assurer qu'elle pourrait accumuler les heures d'emploi requises pour faire établir une période de prestations et qu'elle devrait se chercher un emploi ailleurs. Elle avait ajouté que son employeur lui avait dit qu'il indiquerait "manque de travail" comme raison de la cessation d'emploi mais avait plutôt indiqué qu'il s'agissait d'un départ volontaire et qu'il avait indiqué cette raison pour ne pas avoir de problèmes avec l'assurance-emploi. Elle a indiqué qu'elle avait laissé son emploi en attente d'un autre emploi chez Restaurant/Motel Fraser à Chandler. Elle s'attendait de pouvoir commencer chez cet employeur vers la fin de juin ou début de juillet 2005. Elle y avait travaillé du 28 juin au 24 septembre 2005. La prestataire avait ajouté que c'était après qu'elle eut mentionné les Normes du travail à l'égard de son refus de lui accorder une pause que l'employeur avait indiqué qu'il ne pouvait garantir les même heures de travail que par le passé.
À la pièce 8, le propriétaire du Restaurant/Motel Frase avait confirmé que sa conjointe avait indiqué à la prestataire qu'elle pourrait avoir du travail pendant l'été mais n'avait fait aucune promesse et aucune date n'avait été confirmée.
Dans sa lettre d'appel au conseil arbitral, la prestataire a réitéré que son employeur l'avait avertie qu'il ne pouvait lui garantir les heures d'emploi qui lui permettraient d'établir une période de prestations et qu'il l'avait encouragée de se chercher un autre emploi. Elle a soumis qu'il lui avait dit qu'il indiquerait qu'il s'agissait d'un manque de travail. La prestataire s'était fiée aux propos de l'employeur et avait approché une personne du Restaurant/Motel Fraser pour s'enquérir de possibilité d'emploi chez cet employeur. On lui avait dit qu'on pourrait l'embaucher à l'été.
La prestataire s'est présentée devant le conseil arbitral et a réitéré les raisons qu'elle avait déjà fournies pour avoir quitté son emploi. Elle avait ajouté qu'en raison de l'embauche d'un chef-cuisinier, il y avait moins d'heures de travail pour elle. Quand un membre du conseil lui demanda pourquoi elle n'avait pas attendu de pouvoir commencer son nouvel emploi chez Motel Fraser avant de quitter l'emploi qu'elle avait, la prestataire a répondu que son employeur ne l'avait jamais rappelée et il lui avait dit: "Si c'est comme ça, ma p'tite chérie, j'te fournirai une note expliquant le manque de travail." Elle avait aussi indiqué qu'en 2003 ses problèmes de voiture l'avaient empêchée de se rendre au travail à seulement une occasion.
Le conseil arbitral a revu la preuve et, sur la question du départ volontaire, les membres majoritaires ont accueilli l'appel de la prestataire pour les motifs suivant:
"Après avoir entendu l'appelante, nous la croyons crédible dans l'ensemble des faits portés au dossier ainsi que lors de sa comparution devant le conseil.
- Le manque de travail ne garantissant pas à l'appelante le nombre d'heures requis pour se qualifier à l'assurance-emploi est confirmé tant par elle que par son employeur (pièce 7);
- L'ajout d'un nouveau chef-cuisinier en début de saison, alors que dans les saisons antérieures cet emploi était occupé par l'employeur, ajoute une justification au motif du manque de travail;
- Le fait qu'elle informe son employeur qu'elle a droit, d'après les normes du travail, à une pause après 5 heures de temps consécutif, a pu nuire à ses chances de garder son emploi;
- Sa voiture soi-disant trop vieille pour se rendre au travail, alors que ce n'est pas le cas, ne semble pas un motif crédible;
- On peut croire que la possibilité pour l'appelante à avoir un autre emploi a pu inciter l'employeur à lui fournir une note justifiant le manque de travail.
En conclusion, et sur la base des faits recueillis, nous croyons à la crédibilité de l'appelante et, en nous référant à l'article 29c), vi et xiii, nous accueillons majoritairement la demande de l'appelante et rejetons celle de la Commission."
Le membre minoritaire, pour sa part, a rejeté l'appel de la prestataire au motif que cette dernière n'avait pas établi une justification au sens de la Loi pour avoir quitté son emploi. Il était, en premier lieu, d'avis que la prestataire aurait pu continuer à travailler pour son employeur, même si l'employeur lui avait suggéré de se chercher un emploi ailleurs. Il était aussi d'avis que la prestataire n'avait pas d'assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir rapproché puisqu'aucune date n'était fixée pour le début de l'emploi et qu'il n'y avait aucune assurance qu'elle aurait cet emploi dans un avenir immédiat. Malgré le fait que le membre minoritaire ait reconnu que l'employeur avait suggéré à la prestataire de se chercher un autre emploi, ce membre ne voyait pas ceci comme une incitation indue à partir. Finalement le membre minoritaire avait indiqué qu'à son avis la prestataire avait d'autres solutions raisonnables plutôt que de quitter son emploi tel que de continuer à travailler pour son employeur pour mieux évaluer la situation qui découlait d'une mauvaise saison de homard.
En appel, la Commission a soumis que les membres majoritaires du conseil arbitral avaient erré en fait et en droit en décidant que la prestataire avait établi une justification au sens de la Loi pour avoir quitté son emploi. La Commission a soumis que la décision du membre minoritaire était bien fondée sur la preuve ainsi que sur l'interprétation du paragraphe 29(c) de la Loi dans une jurisprudence bien établie. La Commission a soumis que la preuve avait démontré que la prestataire avait d'autres solutions plutôt que de quitter dans ses circonstances.
Le paragraphe 29(c) de la Loi sur l'assurance-emploi prévoit comme suit:
29(c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas.
(J'ai souligné)
La Loi exige que toutes les circonstances d'un prestataire soient prises en considération pour déterminer s'il a établi une justification pour avoir quitté son emploi. Comme l'indiquait le juge Stevenson dans le CUB 57874:
"Aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi, pour déterminer si une prestataire est fondée à quitter son emploi, il faut tenir compte de l'ensemble de ses circonstances y compris la situation économique. Ne pas en tenir compte ou ne pas leur accorder un poids suffisant constitue une erreur de droit. Je me reporte aux décisions que j'ai rendue dans les CUBs 35229, 46437 et 54416."
Les membres majoritaires du conseil ont pris en considération toutes les circonstances de la prestataire. Ils ont, entre autres, souligné que les propos de l'employeur à l'égard du manque de garantie d'heures de travail requis pour faire établir une période de prestations ainsi que la suggestion à la prestataire de se rechercher un autre emploi, étaient survenus après que la prestataire ait soulevé une question de Normes du travail quand l'employeur avait refusé de lui accorder une pause. Ces membres avaient aussi souligné et accepté le témoignage de la prestataire à l'effet que l'employeur lui aurait dit qu'il indiquerait manque de travail comme raison de la cessation d'emploi et que ceci était plausible compte tenu de l'embauche d'un chef-cuisinier. La majorité du conseil avait aussi souligné que l'épouse du propriétaire du Restaurant/Motel Fraser avait indiqué à la prestataire qu'elle aurait un emploi à la fin juin, ce qui s'était concrétisé par l'embauche de la prestataire.
Dans cette affaire la prestataire s'est trouvée dans une situation où elle a ressenti que suite à sa mention des Normes du travail, elle avait ressenti que son employeur voulait qu'elle quitte. Il le lui avait suggéré et avait indiqué qu'il inscrirait un manque de travail comme motif de la fin d'emploi. La prestataire pouvait certainement considérer que l'employeur l'incitait à partir. Elle s'était aussi assuré un autre emploi, même si ce n'était que dans quelques semaines.
La jurisprudence nous enseigne que le conseil arbitral est le maître dans l'appréciation de la preuve et des témoignages présentés devant lui. La Cour d'appel fédérale s'est exprimée comme suit sur ce sujet dans l'arrêt Guay (A-1036-96):
"De toute façon, dans tous les cas, c'est le conseil arbitral, le pivot de tout le système mis en place par la Loi, pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation, qui est celui qui doit apprécier."
La jurisprudence (Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), McCarthy (A-600-93), Ash (A-115-94), Ratté (A-255-95) et Peace (A-97-03)) nous enseigne de plus qu'un juge-arbitre ne doit pas substituer son opinion à celle d'un conseil arbitral, sauf si sa décision lui paraît avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Dans l'arrêt Ash (supra) la juge Desjardins écrivait:
"Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. Il y avait en outre une preuve abondante appuyant la conclusion de la majorité."
Dans l'arrêt Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (supra), le juge Létourneau indiquait que le rôle d'un juge se limite "à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier".
Et plus récemment, dans Peace (supra), le juge Sexton ajoutait:
"Dans l'arrêt Budhai, précité, la Cour a conclu que l'application de l'analyse pratique et fonctionnelle, lorsqu'un juge-arbitre examine une décision rendue par conseil, laquelle décision comporte une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Sacrey,2003 CAF 377, la Cour a également conclu que la question de savoir si un employé est fondé à quitter son emploi est une question mixte de droit et de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.
Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la Cour suprême a déclaré qu'une décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise."
Dans la présente affaire la décision majoritaire du conseil est entièrement compatible à la preuve au dossier. Les membres majoritaires ont pris en considération toutes les circonstances de la prestataire et ont déterminé qu'elle avait établi une justification au sens de la Loi pour avoir quitté son emploi dans ses circonstances.
Le juge-arbitre n'est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du conseil. Les compétences du juge-arbitre sont limitées par le paragraphe 115(2) de la Loi. À moins que le conseil arbitral n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'il ait erré en droit ou qu'il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le juge-arbitre doit rejeter l'appel.
La Commission n'a pas démontré que les membres majoritaires du conseil arbitral ont erré de la sorte. Au contraire, leur décision est entièrement compatible avec la preuve et les mesures législatives pertinentes tel qu'interprétées dans la jurisprudence.
Par conséquent, l'appel est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
OTTAWA, Ontario
Le 31 juillet 2007