TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande présentée par
Daven GIBBONS
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la Commission à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Windsor (Ontario) le 25 janvier 2007
Le juge-arbitre Guy Goulard
Le prestataire a travaillé pour Cash Store/Rentcash du 8 août 2005 au 16 septembre 2006. Il a présenté une demande initiale de prestations d'assurance-emploi qui a pris effet le 15 octobre 2006. La Commission a par la suite établi que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite et elle l'a exclu du bénéfice des prestations pour une période indéterminée à partir du 15 octobre 2006.
Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, qui a accueilli l'appel. La Commission a ensuite porté la décision du conseil en appel. Cet appel a été instruit à Windsor, en Ontario le 20 février 2008. Bien qu'il ait été avisé de la tenue de l'audience, le prestataire ne s'y est pas présenté. Il n'a par ailleurs pas communiqué avec le Bureau du juge-arbitre, ni avec la Commission. En appel, la Commission a soutenu que le conseil avait commis une erreur de fait et de droit en concluant que le prestataire n'avait pas perdu son emploi pour inconduite.
L'employeur a dit qu'il avait congédié le prestataire parce que ce dernier s'était rendu coupable de vol et de fraude en créant de faux comptes pour lesquels il émettait des cartes de paiement qui lui permettaient ensuite de retirer de l'argent dans un guichet situé près du magasin. L'employeur a fourni des précisions concernant les comptes qui avaient été ouverts et qui avaient servi à retirer de l'argent. Il a déclaré que la police avait, au terme de l'enquête qu'elle avait menée, confirmé que le prestataire avait été filmé en train d'utiliser les guichets qui avaient servi au retrait d'argent à partir des comptes frauduleux. Ni l'employeur ni la Commission n'a présenté de confirmation de la police selon laquelle une enquête aurait été menée, et personne n'a fourni les résultats de ladite enquête. Seules les déclarations non corroborées de l'employeur font état de la tenue d'une enquête. Il aurait été facile pour l'employeur ou la Commission d'obtenir de la police des éléments de preuve directe confirmant la tenue de l'enquête.
Le prestataire nie catégoriquement l'ensemble des allégations de l'employeur. Il déclare n'avoir jamais entendu parler d'une enquête policière et n'avoir jamais été accusé. Il soutient qu'il a réussi sans aucun problème à obtenir un autre emploi qui nécessitait une vérification de la sécurité. Il ajoute que si une enquête policière comme celle dont parle l'employeur avait eu lieu, il ne serait pas parvenu à obtenir le certificat de bonne conduite qu'exigeait son nouvel emploi. En outre, il dit qu'il a peut-être été filmé en train d'utiliser le guichet qui se trouvait près de son ancien lieu de travail puisqu'il s'était, à l'occasion, servi de ce guichet pour retirer de l'argent. Le prestataire n'a pas été en mesure d'expliquer comment les prétendues transactions avaient pu être effectuées alors qu'il était la seule personne à travailler à cet endroit, mais il nie toute implication dans ces activités frauduleuses.
Voici quelques-uns des faits déclarés par le prestataire :
Le conseil arbitral a examiné la preuve et a accueilli l'appel du prestataire pour les raisons suivantes :
« L'employeur n'était pas présent à l'audience pour donner des précisions sur l'information au dossier. M. Gibbons y était présent et le conseil a trouvé très crédible son témoignage direct. Il a clairement dit au conseil qu'il n'avait pas fait ce dont il était accusé et il a expliqué en quoi consistent les transactions en espèces et comment fonctionne l'entreprise. Il a mentionné au conseil qu'on lui devait une grosse somme d'argent pour les heures supplémentaires qu'il avait faites et que l'employeur avait refusé de les lui payer jusqu'à ce que la Commission des relations du travail lui ordonne de le faire. Il a également déclaré que la police ne lui a pas parlé et qu'il n'a [pas] fait l'objet d'accusations. Il travaille maintenant comme aide-gérant chez Bootlegger, dans la galerie marchande, [et] il a dû obtenir un certificat de bonne conduite ce qui lui a été remis sans difficulté. Il n'aurait pas pu en obtenir un s'il avait fait l'objet d'une enquête. Il n'y a aucun document sur cette enquête au dossier. Il a informé le conseil qu'il était possible qu'on l'ait filmé sur vidéo au guichet automatique bancaire de Price Chopper car il s'y rendait parfois pour retirer de l'argent, mais pas pour y faire ce que le propriétaire prétend qu'il y faisait. M. Gibbons s'est également donné beaucoup de mal pour passer en revue avec le conseil les comptes qu'on l'a accusé d'avoir falsifiés. Il les a pris un par un et a montré qu'il ne pouvait pas en être le responsable. Il a également souligné le fait que le gérant du magasin avait été congédié durant cette période pour la même raison que lui. Comment pouvait-on lui attribuer ces dossiers? Il n'y a aucune preuve, il ne s'agit que de ouï-dire de la part du directeur régional.
Le conseil conclut que la preuve présentée par M. Gibbons a plus de poids que celle de l'employeur, car il a pu présenter des éléments de preuve sur tout ce qu'on lui demandait.
Le conseil conclut que M. Gibbons ne s'est pas rendu responsable d'inconduite. »
En appel de la décision du conseil arbitral, la Commission a soutenu que le conseil ne pouvait pas faire abstraction de la preuve de l'employeur sans expliquer ce qui le motivait à agir ainsi. Elle a par ailleurs signalé que le conseil n'avait pas pris en considération la preuve documentaire présentée par l'employeur.
Comme l'a indiqué le conseil, la preuve de l'employeur ne consistait qu'en des allégations non corroborées formulées contre le prestataire, voulant que ce dernier ait ouvert des comptes frauduleux et qu'il y ait eu une enquête policière à cet égard. Si une telle enquête avait été tenue, l'employeur ou la Commission aurait pu en obtenir la confirmation auprès de la police. Le prestataire a nié que la police avait communiqué avec lui et il a déclaré qu'il avait obtenu un certificat de bonne conduite pour son nouvel emploi, ce qui appuie davantage sa version des faits que celle de l'employeur. La preuve présentée ne permet pas de conclure que le prestataire était la seule personne à avoir pu ouvrir les comptes frauduleux. En effet, une autre personne aurait très bien pu ouvrir ces comptes par voie électronique. La déclaration non contestée du prestataire selon laquelle la police n'a jamais communiqué avec lui jette à tout le moins un doute important sur la véracité de la preuve de l'employeur.
Dans l'arrêt Fahari (A-732-95), le juge Robertson déclare ce qui suit :
« Nous ne croyons pas que le simple fait pour un employeur d'être convaincu que la conduite en question est une inconduite, et que c'était là le motif de la cessation de l'emploi, satisfasse au fardeau de la preuve qui incombe à la Commission en application de l'article 28. [...]
Nous estimons également que, en rendant sa décision, le conseil a, de façon appropriée, tenu compte des éléments de preuve présentés tant par la Commission que par le requérant, et que la conclusion du conseil à l'égard de la crédibilité du requérant ne pourrait être modifiée. »
En outre, dans l'arrêt Choinière (A-471-95), le juge Marceau insiste sur l'importance de fournir des éléments de preuve objectifs concernant les allégations d'inconduite formulées contre un prestataire. Voici ce qu'il dit :
« Nous ne le croyons pas, tenant compte de la jurisprudence de cette Cour qui s'est employée, à maintes reprises récemment, à répéter qu'on avait eu tort de penser un moment que l'opinion de l'employeur sur l'existence d'une inconduite justifiant le congédiement pouvait suffire à mettre en application la pénalité devenue si lourde de l'article 28 et qu'il fallait, au contraire, une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi. »
Il est clairement établi dans la jurisprudence que le conseil arbitral est l'instance à laquelle il revient d'établir les faits dans les cas d'assurance-emploi, et que le rôle du juge-arbitre se limite à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral est raisonnablement compatible avec les éléments de preuve portés à la connaissance de ce dernier (Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. [A-547-01], McCarthy [A-600-93], Ash [A-115-94], Ratté [A-255-95] et Peace [A-97-03]).
Dans l'arrêt Peace (supra), le juge Sexton écrit :
« Dans l'arrêt Budhai, précité, la Cour a conclu que l'application de l'analyse pratique et fonctionnelle, lorsqu'un juge-arbitre examine une décision rendue par conseil, laquelle décision comporte une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Sacrey, 2003 CAF 377, la Cour a également conclu que la question de savoir si un employé est fondé à quitter son emploi est une question mixte de droit et de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.
Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la Cour suprême a déclaré qu'une décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise. »
En l'espèce, le conseil a rendu une décision tout à fait compatible avec les éléments de preuve qui lui ont été soumis. Aucun élément de preuve corroborant les allégations d'inconduite formulées par l'employeur contre le prestataire n'a été fourni; or, si les propos de l'employeur étaient fondés, des éléments de preuve à cet égard auraient pu être présentés. Le conseil pouvait tenir pour avérées les déclarations du prestataire, qui vont à l'encontre de celles de l'employeur.
La Commission n'a pas prouvé que le conseil arbitral avait commis une erreur en rendant sa décision.
Par conséquent, l'appel est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
OTTAWA, Ontario
Le 14 avril 2008